Republication du 5 mars 2021
Dans le contexte de crise sanitaire, 11 millions de personnes ont expérimenté le télétravail en 2021. Cette pratique, qui suppose une plus grande autonomie des salarié·e·s, est plus difficile à gérer quand les managers comptent dans leurs équipes des stagiaires ou des alternants. De ce fait, bon nombre d’entreprises sont, depuis un an, plus réticentes à recruter ce type de profils. Pourtant, des solutions existent.
Voici une série de conseil pour recruter et manager au mieux des salarié·e·s en stage et en alternance dans son entreprise.
Pour un recrutement fiable
Ne pas laisser place au doute dans le choix des candidats
"Avec le passage des entretiens en visioconférence, le taux d’erreur de casting peut être plus important, explique Stéphane Roder, PDG de la startup AI Builders, qui compte doubler ses effectifs en 2021. Comme pour les autres collaborateurs, il faut monter d’un cran ses critères de recrutement avec les stagiaires et alternants" . Dans sa startup, ce dernier avoue être devenu encore plus sélectif avec la crise de Covid-19, et ne plus laisser de place au doute : "si vous hésitez sur un profil que vous avez rencontré en visio, ne le retenez pas… À distance, on ne voit que la partie émergée de l’iceberg" , tranche-t-il.
Aussi, certaines qualités parfois considérées comme secondaires deviennent majeures en période de télétravail. "Le Covid-19 a réinstauré un fonctionnement très darwinien en entreprise : ceux qui s’en sortent sont ceux qui s’adaptent. En plus de la performance, nos yeux s’arrêtent donc sur des profils qui font preuve de souplesse et d’autonomie" , poursuit l’entrepreneur, qui précise que les étudiants sont souvent des profils parfaits dans ces contextes car ils savent s’adapter rapidement au changement.
Adrien Ducluzeau, fondateur du cabinet de recrutement La Relève, préfère lui miser sur la personnalité que sur l’expérience. "Une entreprise doit avant tout rechercher quelqu’un de vif, qui 'tilte' rapidement" , explique-t-il, tout en admettant que déchiffrer cette qualité pendant un entretien à distance est forcément plus compliqué.
Faire plusieurs entretiens
À défaut de se voir en réalité, mieux vaut doubler, voire plus, les entretiens avec les différents candidats qui ont retenu l’attention de l’entreprise. Chez AI Builders, chaque stagiaire ou alternant passe trois rendez-vous virtuels : un avec le CEO lui-même, puis avec un associé et enfin avec un consultant : "Cela nous permet de croiser nos ressentis et de décider plus sereinement" , confirme Stéphane Roder.
Même son de cloche pour le fondateur de La Relève, qui fait passer au moins deux entretiens avec des personnes différentes, et les fait aussi durer un peu plus longtemps que ceux qui se déroulaient en face à face auparavant. Adrien Ducluzeau conseille par ailleurs de dédier un temps à la réalisation d’un cas pratique, si le métier le permet, pour "voir comment réfléchit le candidat" .
Chez Student Pop, où les soft skills sont des critères clés dans le processus de sélection, une première étape est réalisée en visio, puis le choix est affiné grâce à des entretiens dans les locaux. "Rien de mieux pour créer du lien que de voir le candidat en vrai, martèle Estelle de Seze, confondatrice de la startup. Cela permet aussi aux futurs stagiaires ou alternants de sentir l’atmosphère de l’entreprise, de commencer à s’imprégner de sa culture…" .
Prendre des références
"Appeler les anciens recruteurs des personnes qui postulent à un stage ou une alternance est un bon moyen d’éviter l’erreur de casting" , insiste Adrien Ducluzeau. Chez La Relève, le processus de prise de référence est automatisé via un outil, LVDF ("le vrai du faux"), qui permet de récolter les avis d’anciens employeurs. "Cela permet notamment de faire la différence entre quatre stagiaires qui ont à peu près les mêmes profils ou d’en savoir plus sur certaines compétences clés, comme la maîtrise des langues, ou les faiblesses, poursuit-t-il. C’est un moyen fiable de détourner les discours rodés de candidats venus d’écoles de commerce, qui ont appris à se vendre en entretien" . Attention tout de même, d’un point de vue légal, la prise de référence doit se faire uniquement avec l’accord du candidat concerné.
Identifier les écoles correspondant aux profils recherchés
Cela peut paraître basique, mais passer directement par les structures de formation pour dénicher des pépites est un véritable gain de temps quand on cherche stagiaires et alternants. "Chez Student Pop, nous identifions les écoles dont les rythmes d’alternance et les contrats correspondent à ce que nous cherchons pour ensuite tisser des partenariats et qu’elles nous envoient une sélection de CV intéressants" , précise Elsa Cagniard, DRH de la jeune pousse.
Personnaliser les questionnaires de candidatures en ligne
Les étudiants, souvent stressés à l’idée de ne pas trouver un stage ou une alternance, postulent en masse et sans se renseigner sur chaque structure ni même lire les annonces précisément. Pour éviter cela, Student Pop personnalise sa fiche de poste et les éléments demandés à chaque jeune. "À chaque étudiant, nous demandons de nous écrire pourquoi ils ont postulé chez Student Pop en particulier, ce qui les oblige à regarder ce qu’on fait et si ça peut matcher entre leur recherche et notre structure, détaille Estelle de Seze. Ceux qui ne répondent pas à cette question voient leur candidature éliminée d’office" .
Pour manager efficacement
Soigner l'intégration
Comme pour tout salarié, l’entreprise n'a qu’une chance pour faire une bonne impression au début du contrat de chaque stagiaire ou alternant. C’est pour cette raison qu’une attention particulière doit être mise sur l’intégration de ces jeunes recrues. "Nos stagiaires et alternants viennent directement dans les locaux au début et, avant cela, on leur envoie une série de mails pour les préparer, notamment avec des documents pour qu’ils comprennent les outils qu’on utilise, notre façon de fonctionner, qui fait quoi…" , développe Adrien Ducluzeau. De son côté, AI Builders est en train de créer un "book" d’onboarding pour tous les collaborateur·rice·s, stagiaires et alternants compris, pour ritualiser le process.
Privilégier ces profils pour le travail en présentiel
"S’il y a bien une population dans l’entreprise qui a besoin de sortir et se sociabiliser, ce sont les stagiaires et les alternants, affirme la cofondatrice de Student Pop. Ils sont souvent seuls dans leur chambre de bonne ou dans une collocation clapier… À l’école, ils passent déjà leurs journées en visio, donc notre politique consiste à laisser la place aux jeunes dans les bureaux en temps de pandémie" . Une vision largement partagée par le directeur de La Relève : "Pour éviter la dépression et garder le lien, il faut garder un minimum de présence pour ces profils" . Ce dernier fait venir ses stagiaires et alternants deux jours par semaine dans leurs locaux.
Continuer de les former
Il ne faut pas oublier qu’embaucher un·e stagiaire ou alternant·e engage aussi l’entreprise à former l’étudiant·e, c’est une obligation. "Travail à distance oblige, les formations aussi passent au format en ligne… Nous offrons donc à nos consultants, alternants compris, des cours gratuits sur Coursera" , précise Stéphane Roder. AI Builders utilise aussi des outils comme le logiciel d’animation PowToon qui produit des vidéos explicatives animées sur différents sujets, comme : qu’est-ce qu’un schéma directeur? Comment collaborer avec tel ou tel métier? Quelle est l'histoire de la société?
Revenir aux basiques du management
Sur la gestion à distance du travail de ces profils étudiants, "rien de mieux que les bons vieux fondamentaux du management : une liste de tâches à effectuer, des 'deadlines' et, entre temps, des points sur l’état d’avancement de chacune d’elles, assure le PDG de AI Builders. Le tout est que cela soit très clair et adapté à leur niveau de compétences. Ensuite, comme dans un management à l’ancienne, cela permet de faire monter crescendo leurs capacités et responsabilités" .
Faire des feedbacks réguliers
Si cela fait partie du B.A-BA d’un management réussi, les feedbacks doivent être intensifiés pour les stagiaires et alternants, avec la généralisation du télétravail. "Il n’y a plus de moments informels, de petites discussions de couloir qui permettent de savoir si le collaborateur va bien ou s’il a des difficultés sur une de ses tâches par exemple… Les relations sont robotisées" , déplore Stéphane Roder. Pour contrer au mieux à ces conséquences, les managers ont des appels quotidiens avec les salarié·e·s pour faire un point. Le PDG d'AI Builders organise aussi un "short talk" une fois par mois avec chacun de ses collaborateurs, y compris les stagiaires et alternant·e·s, pour discuter ouvertement, "pas forcément du travail" , et puissent remonter de potentiels problèmes.
"Je parle souvent des 3C : communiquer, communiquer, communiquer" , s’amuse Adrien Ducluzeau qui organise entre managers et stagiaires pendant les deux premiers mois des entretiens quotidiens d’une heure, pour assurer un suivi approfondi. "Il faut être beaucoup plus vigilant sur l’état moral et psychologique des équipes : pendant le confinement ou même simplement en télétravail, un stagiaire ou un alternat peut aller mal. Des visios et points réguliers permettent de prendre le pouls, confirme Estelle de Seze. On doit tout démultiplier : le management doit devenir d’ultra-proximité et on doit intensifier nos efforts d’intégration de ces jeunes collaborateurs dans l’entreprise. L’idée est de penser constamment comment on incarne les liens en trois dimensions alors qu’on se retrouve en une seule dimension" .