L’initiative Scaleup Europe prend vie ce jeudi 4 mars 2021. Appelée de ses vœux en décembre 2020 par le président de la République, Emmanuel Macron, son objectif est de favoriser l’émergence de grandes entreprises du numérique à l’échelle européenne. Acteurs économiques et institutionnels travailleront de concert dans les prochains mois pour formuler des propositions concrètes aux dirigeant·e·s des pays membres de l’Union européenne. Le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, nous explique la philosophie et l’ambition de l’opération alors que se profilent deux échéances majeures : la présidence française du Conseil de l’Union européenne et l’élection présidentielle de 2022.
Quelle est la philosophie de l’initiative Scaleup Europe ?
Cédric O : La présidence française du Conseil de l’Union européenne se tiendra au cours du premier semestre 2022. Cette initiative, annoncée en décembre 2020 par le président de la République, vise à étendre la dynamique observée dans le cadre de la French Tech à toute l’Europe. Il faut réussir à faire du continent une marque, pas seulement en matière de régulation mais aussi d’innovation. Scaleup Europe doit s’inscrire dans la continuité du succès rencontré par la French Tech. C’est la raison pour laquelle l’initiative est pensée en lien avec les scaleups européennes, comme le Britannique Graphcore, l’Estonien Bolt, le Roumain UiPath ou encore l’Allemand N26. Du côté français, on retrouve Alan, Ÿnsect, InnovaFeed, Mirakl, Klaxoon, CybelAngel et Joone. Ces entreprises seront ainsi amenées à plancher sur quatre axes de travail ces prochains mois, avec le soutien d’institutionnels (ESA, Cnes, CNRS, etc.) et de grands groupes (Ericsson, BMW, Airbus, Sodexo, etc.).
Financement, talents, relation aux corporates et DeepTech : pourquoi avoir mis en avant ces différentes thématiques, justement ?
C. O : Chaque sujet fera l’objet d’un groupe de travail distinct. Ce sont ainsi entre 150 et 200 personnes qui seront impliquées. D’abord, le financement reste le nerf de la guerre. Si les startups performantes trouvent assez facilement les sommes dont elles ont besoin, ça n’est pas toujours le cas en vue d’introductions en bourse. Cela sera l’un des sujets pour 2021. Porter les conclusions du rapport Tibi [qui a, entre autres, trait au financement de l’innovation, N.D.L.R.] au niveau européen enverrait un très bon message à l’international.
Les talents, eux, sont au cœur de la compétitivité des entreprises. Il convient de leur donner toute leur place dans cette initiative, car l’obstacle principal qui se dresse sur le chemin de l’Europe est finalement peut-être plus à trouver sur ce front que sur celui du financement. À ce sujet, le président de la République avait déjà permis des avancées en lançant le French Tech visa afin de simplifier l’installation des collaborateurs de startups non-européens. Il nous faut encore progresser, franchir un cap. Cela pourra passer par un accord entre Européens pour harmoniser la procédure. Un autre accord qui devra être mis sur la table, c’est celui sur la coordination en matière de fiscalité. Je pense notamment aux stocks-options. L’objectif étant de marketer l’Europe comme un tout, pour être à la pointe.
Comment comptez-vous faire vivre l’initiative tout au long de l’année ?
C. O : S’il s’agit au départ d’une initiative présidentielle, on relève une forte adhésion des entreprises européennes. La dynamique à l’échelle continentale est, en effet, essentielle. Les quatre groupes de travail se réuniront à intervalles réguliers de mars à juin. Leurs propositions visant à favoriser l’émergence de scaleups seront remises au président de la République lors du salon VivaTech en juin prochain. Au-delà de la présidence française du Conseil de l’Union européenne début 2022, cela fixe une autre échéance importante.
Il reviendra au gouvernement de décider de ce qui relève du domaine législatif ou non. Finalement, beaucoup d’aspects liés à la French Tech ne relèvent pas de la Loi. Il faudra donc être imaginatif. Scaleup Europe est une belle initiative qu’il convient de faire aboutir. Il s’agit d’une évolution du Scaleup Tour initié par le président de la République pour attirer les investissements étrangers, et qui avait donné des résultats satisfaisants. Une centaine d’investisseurs avaient alors rencontré 80 startups françaises, ce qui avait débouché sur 14 deals. Une accélération a bien été constatée : 300 millions d’euros avaient été investis.
Faire émerger des géants suppose leur régulation. Le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, a jugé que cette dernière crée "la condition de la confiance" chez les consommateurs. Quelles doivent être les prochaines actions de l’Europe en la matière, à l’heure où l’administration américaine de Joe Biden semble encline à la discussion ?
C. O : Le président de la République a déjà eu l’occasion de dire que le RGPD ne peut pas constituer notre seule réponse face aux Gafam [Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, N.D.L.R.]. L’émergence de grandes entreprises européennes du numérique est une nécessité. Il en va aussi bien de notre compétitivité que de notre souveraineté. Les textes votés par l’Europe, parmi lesquels figurent le DSA (Digital Services Act) et le DMA (Digital Market Act), sont importants. Il faut toutefois bien comprendre que les entreprises créent, elles aussi, des standards. Le fait que Joe Biden et son administration bougent sur la question de la fiscalité des géants du numérique est positif, mais leur approche restera différente de la nôtre. C’est pourquoi il nous faut déterminer ce que l’on veut faire de notre côté, pour imposer nos exigences en concertation avec nos propres acteurs économiques.
Nous sommes à près d’un an de l’élection présidentielle. Faut-il voir dans l’initiative Scaleup Europe et dans la volonté de faire du numérique une priorité de la présidence française du Conseil de l’Union européenne l’un des axes d’attaque d’Emmanuel Macron, s’il était candidat à sa succession ?
C. O : On ne découvre pas le fait que le numérique soit une priorité du président de la République. Cela a été un fil rouge au long de son quinquennat. Jamais un gouvernement n’a autant investi dans le domaine, que ce soit en matière de financement de l’innovation ou de sa régulation. Il y aura évidemment une continuité au-delà de 2022, si nous devions être reconduits. Cela dit, la dynamique purement française trouvera ses limites. Il faut que nous puissions atteindre la masse critique dans le domaine, d’où l’intérêt de se mobiliser à l’échelle européenne et même plus largement. Le président de la République avait lancé, lorsqu’il était à la tête du G7, le "Giec de l’intelligence artificielle" [en référence au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, N.D.L.R.]. Poursuivons les efforts en ce sens.