Republication du 25 janvier 2021
Suite à un conflit avec un actionnaire minoritaire et l'éclatement de la bulle autour de l'impression 3D, l'entreprise de fabrication d'imprimantes 3D, Dagoma, a été placée en redressement judiciaire en 2019. Pourtant l'histoire avait bien commencé et aurait pu faire l'objet d'un bon storytelling.
Les deux fondateurs de la startup, Matthieu Régnier et Gauthier Vignon, ingénieurs, se sont rencontré à Shangaï au sein de leur ancienne entreprise où ils découvrent l'impression 3D, encore très onéreuse. Ils décident de la démocratiser en fabriquant en France une imprimante à un prix défiant toute concurrence en utilisant du bioplastique et en limitant les importations de l'autre bout du monde. Le challenge est ambitieux mais les commandes affluent. Trop vite, peut-être. Pour faire face à cette affluence, les fondateurs lèvent des fonds, une fois puis deux. Avant de vivre des heures sombres.
De leur succès immédiat à leur liquidation judiciaire en passant par leur départ des États-Unis, Matthieu Régnier nous a dévoilé l'envers du décors de Dagoma qui a pris un nouveau départ le 1er janvier 2021.
Quelle était votre ambition et votre vision du marché quand vous vous êtes lancés mi-2014 ?
Nous n'avions pas une vision très claire du marché. On voyait qu’il y avait déjà beaucoup d’acteurs présents mais ils opéraient plus sur la partie logiciel 3D alors que nous nous sommes positionnés sur les machines. Nous étions convaincus que la technologie 3D était pertinente et que le marché allait forcément exploser à un moment donné. Dès le départ, nous avons eu cette volonté de créer une micro-usine locale en France - ce que nous avons fait - pour commencer à vendre sans trop engager de frais. Mais contre tout attente, le marché était déjà là et ça a pris très vite. En 2016, nous avons quasiment dépassé les 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. C’est presque allé trop vite.
Quelle était votre stratégie de développement ?
Nous avons toujours imaginé un développement B2C et B2B mais il fallait bien segmenter et commencer par un des deux. Au départ, on avait pensé à créer des machines en intégrant des solutions de logiciel avec mise en réseau des makers pour que les particuliers puissent demander à des personnes proches de produire pour eux telle pièce ou tel objet. Mais nous avons trouvé un point de tension : la qualité du produit fini dépendait du maker et on ne trouvait pas ça concevable. On voulait avoir une homogénéité dans les pièces produites et la qualité. On a donc décidé de se concentrer sur la fabrication d'imprimante.
À l’époque, les professionnels n’appréciaient pas vraiment l’impression 3D, surtout la technique Fused Deposition Modeling (modélisation par dépôt de fil fondu, NDLR) que nous utilisions. Ce choix du B2C relevait plus du feeling, on pensait pouvoir raconter une belle histoire avec notre produit.
Face à ce succès immédiat, comment avez-vous réagi ?
C’est hyper excitant, exaltant et stimulant. On l’a vécu comme on pouvait. On était constamment challengé sur notre modèle de production, ce qui nous a permis de le renforcer. Mais on était toujours en retard et pendant trois années de suite à Noël, nous n’avons pas répondu à toutes les demandes. Nous avons dû arrêter les ventes à partir de novembre pour pouvoir les honorer.
La production est moins valorisée que du Saas et s’avère beaucoup plus consommatrice de cash. Pour pouvoir fabriquer nos machines, nous avions besoin d’avoir du stock. Une partie des pièces n’étaient pas disponibles en France et nous ne voulions pas avoir un impact inconsidéré sur la planète. À travers nos machines, nous vendions le fait de pouvoir produire en local. Nous avons fait des choix non négociables dès le part comme le fait d’imprimer nos pièces dans notre usine. Aujourd’hui, nous en avons fabriqué plus d’un million.
C’était hyper complexe à gérer. Pour réussir à faire de la production, il faut soit vendre très cher - ce que nous n’avons pas voulu faire - soit avoir beaucoup de cash, ce que nous avons commencé à avoir en 2017.
Pour faire face à cette crise de croissance, on a levé 600 000 euros auprès de plusieurs petits investisseurs, ce qui a permis de très peu diluer le capital. Puis nous avons levé 2 millions d’euros l’année suivante et 2 millions l’année encore d’après. Mais nous avons choisi un mauvais investisseur ce qui nous a coûté cher en temps et en investissement.
"Je conseille aux entrepreneurs d’être prudents sur les pouvoirs d'un actionnaire minoritaire qui possède 33% des parts."
Comment vous analysez cette erreur de casting ?
Nous avons choisi une personne qui n’avait pas compris et pas envie de ce business là en réalité. Quand une personne du board n’accompagne pas l’entreprise, c’est très démotivant pour les équipes. Les tensions ont débuté très rapidement. On a connu deux années très difficiles et notre actionnaire a bloqué notre stratégie car il ne voulait pas sortir de la société.
Notre première levée nous a pris entre 6 et 9 mois. La seconde nous a pris deux mois. Nous avions besoin de fonds, un actionnaire est arrivé, nous nous sommes seulement rencontrés deux fois et nous avons accepté de lever des fonds avec lui. Nous n’avons pas posé assez de questions mais son changement de comportement était imprévisible. Je conseille aux entrepreneurs d’être prudents sur les pouvoirs d'un actionnaire minoritaire qui possède 33% des parts.
La situation s’est dégradée très vite, fin 2017 - début 2018. Il y a eu des freins très forts en interne et, en parallèle, un marché grand public qui s’est effondré de 24%, 17% et 20% en trois ans. Cet actionnaire ne voulait pas qu’on s’ouvre au marché professionnel, qu’on travaille sur la partie logicielle ni qu’on ouvre à de nouveaux investisseurs. Nous n’arrivions plus à communiquer. Il s’était également engagé à réinvestir mais n’a pas tenu sa promesse.
Quels choix stratégiques avez-vous fait pour tenter de sauver Dagoma ?
Nous nous étions lancés quelques mois auparavant aux États-Unis. Nous n’étions pas encore rentables là-bas, le décollage était difficile. Pour réduire les coûts, nous avons fermé notre entreprise américaine et nous sommes revenus en France où nous avons aussi dû faire des coupes.
Nous avons pu recourir à la rupture conventionnelle collective qui est un très bon modèle pour organiser le départ des salarié·e·s. Il se base sur le volontariat et permet de bénéficier d’un package de départ pratiquement équivalent à celui d’un licenciement économique. On a travaillé avec 33 de nos collaborateur·rice·s sur un reclassement, c’était un soulagement pour nous en tant qu’entrepreneurs. Mais on s’est retrouvé du jour au lendemain à 37 au lieu de 70.
On a été hyper transparent, peut-être même un peu trop. On a partagé notre cash tous les mois, le nombre de jours ou de mois de visibilité. Cela leur a permis d’avoir une lecture hyper objective et un peu glacial de la situation. C’est la motivation de notre équipe qui nous a permis de tenir.
La situation étant bloquée, nous avons demandé à notre avocat ce qu’on pouvait faire et il nous a conseillé de demander un mandat ad hoc au tribunal de commerce pour prouver que nous faisions bien notre travail de dirigeants. Cela a un coût mais c’est très bénéfique. C’est une procédure confidentielle. Pendant ce temps-là, on a été accompagné par un mandataire qui nous a apporté une autre vision de notre situation. Après un an et demi d’accompagnement, on a essayé de faire racheter l’entreprise en express via une procédure de cession, reprise, liquidation qui prend trois jours.
La solution n’ayant pas marché, nous avons lancé une procédure de sauvegarde pour décaler les créances. Quelques mois plus tard, l’entreprise est rentrée en redressement judiciaire pour conflit avec un actionnaire, de mars 2020 à décembre 2020 plus précisément.
Début décembre 2020 nous avons fait une proposition de reprise de l’entreprise avec un rachat par moi-même et un nouvel associé. Nous gardons tout : le nom de l’entreprise, les contrats, les bureaux, les actifs…
Quels sont vos projets maintenant pour Dagoma ?
On a fait une bonne année en 2020. Les makers se sont mis à fabriquer du matériel pour le personnel médical. Nous avons été contactés par une association pour réaliser des visières pour le milieu hospitalier. Nous les avons vendues à prix coûtant. En tout, nous avons aidé à la fabrication de 250 000 pièces. Cela a permis à des professionnels et des entreprises de nous connaître et de voir le potentiel de l’impression 3D. Ils viennent vers nous alors qu’avant ils n’étaient pas conquis.
Maintenant, avec ce nouveau départ, on a envie de continuer sur notre lancée. On va continuer la gamme pour les particuliers et commencer à commercialiser une gamme pour les professionnels. La demande est très large mais l'impression 3D encore très mal comprise, il y a encore beaucoup d’éducation à faire.
À plus long terme, on envisage de faire entrer de nouveaux investisseurs pour continuer à nous développer sans être bridée. On a aussi un projet de plateforme qui permettra à tous d’accéder à de la prestation de fabrication au sens large avec récupération des produits chez des professionnels près de chez soi, toujours dans une logique de fabrication locale pour réduire l’impact environnemental.