Republication du 25 novembre 2020
Des rêves de gosse, Laurent David en avait deux. Et il a réussi à les réaliser l’un après l’autre. Aux manettes de la direction commerciale Europe de l’Ouest du géant américain Apple pendant une décennie, l’entrepreneur renoue aujourd'hui avec ses racines. Il a repris un domaine viticole situé sur le territoire de Saint-Émilion, en Gironde, une commune connue pour ses vins. Un projet que celui qui n’a jamais renoncé aux allers-retours Londres-Bergerac – ses terres natales – mûrissait "de longue date".
Une plongée au cœur d'un Gafam
C’est au cours de ses études de commerce que Laurent David a commencé à nourrir une passion pour la technologie. Une première expérience comme commercial pour le groupe Ingenico, l’un des acteurs principaux des terminaux de paiement à l’échelle mondiale, lui a donné l’opportunité de voyager. "J’ai prospecté en Espagne pour trouver des clients à qui vendre des cartes à puce. Ce job m’a permis de me rendre en Amérique du Sud et en Afrique. À 25 ans, goûter à une telle liberté est un luxe", juge le Bergeracois, conscient de sa chance. Intéressé par son expertise des services mobiles, le Finlandais Nokia lui confie dès 1999 son développement commercial en France… avant de le propulser, à peine 5 ans plus tard, à la tête de son département multimédia pour la région France et Benelux. "C’était l’époque où l’Internet n’était pas encore disponible sur les téléphones… et où on recevait son horoscope par texto", sourit Laurent David, rétrospectivement.
L’accès à l’Internet sur mobile. C’est justement l’événement qui le conduit à s’intéresser à Apple. "Quand Steve Jobs a présenté l’iPhone sur scène, un beau jour de janvier 2007, c’est toute l’industrie qui a pris une claque" , se remémore ainsi l’entrepreneur, affirmant avoir "pressenti le potentiel" du produit. Déterminé à participer au lancement du premier smartphone grand public, Laurent David passe "littéralement 12 entretiens" avant que la firme de Cupertino l’embauche en tant que directeur commercial France. "J’ai assisté à la cérémonie donnée sur les Champs-Élysées en novembre 2007. Je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi phénoménal, l’engouement était total."
Basé à Londres pendant cette période, il reste très attaché au Sud-Ouest français. Il fait parallèlement l’acquisition de quelques parts dans une propriété viticole, sous l’appellation Pessac-Léognan. Mais la rentabilité lui semble alors "à peine satisfaisante" et l’expérience "tout aussi décevante".
Une reconversion motivée par la passion
C’est ce déclic qui pousse Laurent David à multiplier ses virées en Dordogne. "Il existe un vol à 35 euros l’aller entre Londres et Bergerac", glisse-t-il, arguant qu’il s’agit d’un des atouts qui lui a permis de préparer sa reconversion "pendant 5 ans". Au fil de l’eau, il rencontre des vignerons qui sont unanimes quant aux difficultés pour commercialiser leurs productions. "Or j’ai tout de même acquis quelques notions en matière de ventes au fil des années", plaisante l’ancien directeur commercial Europe de l’Ouest d’Apple, qui a reçu le vote du Brexit par les Britanniques comme une invitation à "rentrer" chez lui, en France. Entre-temps, il s'est constitué un réseau… qui lui a permis de jeter son dévolu sur un petit vignoble d’une superficie de 1,6 ha : le Château Edmus, un grand cru bio fondé en 2007 par un œnologue.
"J’avais pourtant un épais cahier des charges", souligne Laurent David, qui cherchait entre autres "un stock de vin déjà constitué" pour démarrer la commercialisation au plus vite. Si les anciens propriétaires ont vendu leur bien, ils restent actionnaires et l’accompagnent dans la reprise. Quelque 6 000 bouteilles sont actuellement produites chaque année. "Je travaille en mode agile, je n’ai pas de personnel à plein temps", indique l’entrepreneur, qui assure avoir tiré des leçons de ses années chez Apple. Exigence, esthétisme ou encore communication épurée : il estime "tout faire pour éviter l’usine à gaz". C’est la raison pour laquelle plusieurs startuppeurs de la WineTech l’ont contacté pour le convaincre d’occuper la présidence d’une association nouvellement créée afin de fédérer les acteurs du secteur.
La WineTech, le mariage de deux expériences
Sobrement nommée "La Wine Tech", cette structure est, pour Laurent David, un "lien entre [sa] vie d’avant et celle d’aujourd’hui". L’homme d’affaires avait précédemment voulu financer des vignerons, sans trouver de mécanisme pour y parvenir. "Ce n’est pas comme dans la tech, où des fonds d’investissements sont établis", soulève-t-il. Sa première action consiste à recruter 30 wine angels – sur le modèle des business angels de la tech. "Nous avons reçu une centaine de candidatures. Ce seront des appuis solides, puisqu’ils seront des investisseurs-ambassadeurs", espère Laurent David, précisant que le ticket de départ est de 15 000 euros. Investisseur, il l’est d’ailleurs lui-même. Pour garder un pied dans la technologie, qu’il affectionne toujours, il a soutenu financièrement une poignée d'entreprise de la WineTech.
"La recherche de financements est permanente dans le secteur", affirme l’ancien directeur commercial Europe de l’Ouest d’Apple. "La Wine Tech", qui réunit 50 startups (parmi lesquelles figurent Oé ou Cuvée Privée), agit telle "une caisse de résonance" – sur les réseaux sociaux, notamment. "Quelque part, elle est un signal à destination de ce secteur traditionnel : des poches d’innovation émergent et notre label est un gage de qualité", avance-t-il, incitant les jeunes pousses à collaborer entre elles. De grands comptes cherchent, par ailleurs, à s’associer à l’initiative. "La même chose a lieu chez Apple : la technologie derrière l’assistant vocal Siri a été rachetée à des Français. Le but pour eux est d’accéder à une innovation outsourcée."
Fort de sa double-casquette de vigneron et de président de "La Wine Tech", Laurent David veut bâtir un pont entre les différents maillons de la chaîne de valeur. "Tout le spectre doit être représenté, de l’amont [robotique ou autres capteurs dans les vignobles, ndlr] à l’aval [solutions pour le commerce, ndlr]."
Sa conviction, il la tient pourtant d’un simple constat : la France, qui dispose d’un savoir-faire en matière viticole, a tous les atouts pour peser à l’échelle mondiale. "Il s’agit désormais de mettre en place les pièces du puzzle. Pour continuer à exceller, il faut innover", assène inlassablement Laurent David, qui pointe le fait que, déjà, "des Argentins et des Australiens" frappent à sa porte en quête d’un jumelage. Un signal faible qui lui laisse penser que les WineTech tricolores, dont les levées de fonds plafonnent pour l'heure à quelques millions d’euros, seront bientôt suffisamment mûres pour se lancer dans la course face à des entreprises américaines qui, elles, brassent des dizaines de millions – à l'instar de la célèbre application Vivino.