Si la crise a profité aux applications de visioconférence, l’engouement pour le podcast a lui aussi connu un bel essor. Une étude réalisée par Happydemics pour Audion révèle que 46% des Français·es ont écouté davantage de contenu audio pendant le confinement. "Avec la pandémie, le format audio a pris tout son sens, les discussions semblent beaucoup plus chaleureuses que sur les réseaux sociaux où seul l’écrit domine" , détaille Patrick Amiel, co-fondateur et CEO de 321Founded.
L'investisseur en sait quelque chose : il fait partie de ces néo-utilisateurs de Clubhouse, une application qui réunit pour l'instant essentiellement des entrepreneurs, journalistes, investisseurs et observateurs de la tech. Pour ne citer qu'eux, Elon Musk, Mark Zuckerberg et Xavier Niel y ont fait une apparition ces dernières semaines. Créé il y a un an, le réseau social américain, uniquement basé sur l’audio, serait déjà valorisé plus d'un milliard de dollars. "Dans trois mois, certains patrons du CAC 40 accepteront de participer à une discussion sur Clubhouse après avoir été briefés par leur DirCom" , prédit Patrick Amiel.
Dis moi qui tu connais, je te parrainerai
Mais qu'est-ce qui attire ces initiés et ces patrons en vogue à venir échanger sur Clubhouse alors qu'ils pourraient très bien le faire sur WhatsApp, Zoom ou Livestorm en toute discrétion? Pour les non initiés, qui n'auraient pas encore testé Clubhouse, c'est justement cette sélection qui semble leur plaire. Ce nouveau réseau fonctionne sous forme de room. Une fois entrée dans l’application, on peut créer des conférences, entrer dans celles qui sont publiques, écouter ce qui s’y dit et, si l'animateur nous y autorise, intervenir pour exposer son point de vue. "On voit ce que font les personnes qu’on suit et on reçoit des recommandations en fonction de nos centres d’intérêt. C’est un peu comme un programme télé qui se construit au fil du temps" , suggère Patrick Amiel.
Analyse d’expérience pour les uns, publicité pour les autres, le réseau social a réussi son pari : faire parler de lui, et qui plus est, sans une once de publicité payante. Initialement ouvert aux grands patrons de la Silicon Valley puis, sur invitation limitée aux seuls détenteurs d’un iPhone, Clubhouse n'irait-il pas à contre courant des besoins d'inclusion et de diversité pointés dans le milieu de la tech - en favorisant délibérément l'entre soi ? “Ce positionnement un peu VIP avec un accès limité à l’application au départ, est un argument marketing" , analyse Patrick Amiiel. Finalement, cultiver cet entre soi est une manière d'asseoir sa légitimité.
"Typiquement, faire appel à de grands investisseurs, au départ, a pour but d’attirer l’attention des entrepreneurs en leur disant : ce sont des gens intéressants, venez les écouter. Il fallait s’assurer que les premières conférences étaient intéressantes afin de s'assurer que les gens reviennent" , souligne l'investisseur.
Dans la réalité, Clubhouse est réservé pour l'instant à une élite. "Il y a de gros volumes d'entrepreneurs sur l'appli, j’ai actuellement 12 invitations à distribuer" , reconnaît-il. De nombreux acteurs de l’écosystème tech y sont ainsi déjà présents. Pour peu qu'on connaisse déjà une ou deux personnes qui gravitent dans le monde de la tech, on trouvera toujours un moyen d'y accéder. Mais une intrusion dans ce cénacle restera plus délicat aux non initiés. Etudiants, salariés, observateurs devront de trouver un mentor pour les parrainer et leur ouvrir les portes de ce club, encore, très select. Vous l'aurez compris : Clubhouse demeure pour l'instant difficile d'accès au grand public.
Une opportunité pour les marques
Une fois à l'intérieur, "c’est hyper instructif pour un entrepreneur·euse d’écouter un VC expliquer ce qu’est un bon deal flow" , donne comme exemple Patrick Amiel, pour qui ce système de parrainage favoriserait aussi les échanges. "Toutes les personnes présentes peuvent participer, c’est beaucoup plus interactif qu'une conférence qu'on écoute passivement" ... à condition qu’on vous octroie la parole. Rien oblige les utilisateurs à devenir conférencier et partager leur savoir. Mais si vous voulez recevoir les notifications des personnes que vous suivez, vous devrez aussi laisser l'application accéder à tous les contacts de votre répertoire. Clubhouse, un aspirateur à données?
Cet espace ouvert et entièrement gratuit - du moins pour le moment - laisse une grande place aux patrons du CAC40 et aux marques. C'est sans doute elles qui pourraient bientôt affluer sur l'application. “Il y aura toujours du monde pour venir écouter un grand PDG parler business. Du côté des grandes marques aussi, il y a quelques choses à faire. Bientôt, Sephora ou L’Oréal organiseront, elles aussi, des conférences sur la beautytech pour asseoir leur légitimité", imagine déjà Patrick Amiel. Quelque soit le conférencier, Clubhouse ouvre les portes d’un auditoire qualifié et c'est clairement une aubaine pour les annonceurs. À condition d'être bon en animation. "J'ai déjà quitté des rooms au bout de trois minutes. De nouveaux métiers pourraient naître pour animer les échanges dans un avenir proche." Patrick Amiel a de son côté franchit le pas : il a décidé d’animer une émission tous les lundis dans laquelle il invite une jeune pousse. "Elle explique rapidement sa difficulté et on ouvre les discussions avec les participant·e·s pour qu’ils apportent leurs idées."
À la faveur de sa notoriété grandissante, la question du business model de Clubhouse commence sérieusement à se poser. D'autant que Twitter n'a pas attendu pour riposter. En fin de semaine dernière, le réseau lançait Twitter Spaces sur un modèle quasi-identique où la parole prend le pas sur l’écrit, une fonctionnalité encore en bêta test pour quelques utilisateurs·rices.