S'attaquer à Apple n'est a priori pas sans conséquences. Dans une tribune avec Arno Pons, Nicolas Brien, chief excutive officer de l'association de startups France Digitale, dénonçait les abus de position de dominante du géant américain sur les app mobiles. Déployant sa force de lobbying, la contre-attaque d'Apple a été à la fois rapide et féroce. "Le lendemain, les membres d’Apple appelaient un à un les membres de mon conseil d’administration pour critiquer mon attitude et essayer d’introduire des divergences dans l’organisation, déplore Nicolas Brien auprès de Maddyness. C’est la première fois que je fais face à une telle rafale de pression."
Pour comprendre ce qui a déclenché cette guerre ouverte entre des entreprises du numérique et l'un des géants mondiaux du secteur, il faut revenir quelques semaines en arrière. En décembre dernier, l’Union européenne présentait le Digital Market Act et le Digital Service Act, marquant son envie de combattre la surpuissance des GAFAM. À son niveau, France Digitale a décidé d'affronter Apple. L’association a récemment rejoint Coalition for App Fairness au nom de ses 2000 adhérents pour lutter contre le monopole de la plateforme.
Des startups françaises effrayées par Apple
Le ralliement de France Digitale à ce projet de coalition résulte d’un mouvement qui s’est initié durant le premier confinement. "Des dizaines de startups adhérentes - sur les 2000 que nous comptons - nous ont fait remonter des difficultés avec Apple durant le premier confinement. Elles témoignaient anonymement et étaient effrayées à l’idée que leurs déclarations deviennent publiques , explicite Nicolas Brien. Ce n’est pas normal qu’une entreprise et un géant entretiennent une telle relation."
En réalité, les tensions entre Apple et les startups ne sont pas nouvelles. En 2013 déjà, la suppression d’AppGratis de l’App Store avait fait couler beaucoup d’encre, mettant en lumière une prise de décision unilatérale sans possibilité de faire appel pour la startup. Mais d’où vient alors cette prise de conscience soudaine de la part des startups françaises ? Si elle résulte de la convergence de plusieurs facteurs, la pandémie a probablement joué un rôle. "De nombreuses startups se sont penchées sur la structure de leur coût pour réduire leurs dépenses. Elles se sont rendues compte du prix que leur facturait Apple", détaille Nicolas Brien. Jusqu’ici rien de bien nouveau.
Mais lorsque celles-ci ont tenté de re-négocier la commercialisation de leur application sur l’App Store, Apple a opposé un refus catégorique. "Pourtant, les géants de la tech ont eu une attitude assez proactive pendant le confinement l’an dernier : Facebook a distribué des crédits aux startups et PME en difficulté; Microsoft a offert des mois de cloud à certaines entreprises; mais, à ma connaissance, Apple n’a rien fait pour accompagner l’écosystème tech français" , déplore le chief executive officer.
France Digitale s’intéressait déjà à la question de ce monopole depuis quelques années. "Nous avons deux personnes qui travaillent à temps plein sur le sujet à Bruxelles, nous sommes capables d’animer des coalitions européennes." Cette présence est primordiale pour faire face au lobbying de la marque à la pomme et pousser la mise en place d’un Digital Market Act encore plus fort. Face à un géant comme Apple, une seule solution : l’union. Les startups l’ont bien compris en lançant Coalition for App Fairness en 2020. "Cette coalition était très américaine et nous avons pensé qu’il fallait aussi que l’Europe réalise la même chose" , confie Nicolas Brien. France Digitale a finalement rejoint ses rangs, incitant par la même occasion, toutes les sociétés qui le souhaitaient à se joindre au mouvement.
Un monopole bien ficelé
Les critiques contre Apple sont multiples. En s’engageant au sein de la coalition, France Digitale se bat pour plus de transparence et de clarté dans les process. "Dans un écosystème, il y a de petits et de grandes entreprises qui sont très performantes et c’est normal. Mais il faut aussi que nous avancions à armes égales et qu’on développe des stratégies de défense" , estime Nicolas Brien qui ne veut surtout pas voir "une partie des 200 milliards d’euros du plan de relance" tomber tout droit dans la poche d’Apple.
Nicolas Brien rappelle que plusieurs procédures sont en cours : "La Commission européenne a ouvert deux enquêtes sur son système de paiement Apple Pay et sa boutique en ligne App Store et une plainte pour abus de position dominante a été déposée par l'IAB France, MMAF, SRI, et l'UDECAM contre la volonté d'Apple de supprimer les identifiants ne permettant plus aux annonceurs de réaliser des publicités ciblées et récupérant de facto le monopole publicitaire sur ses smartphones."
Le sous-comité antitrust de la Chambre des représentants américaine emploie lui-aussi le terme de monopole dans son rapport d’enquête pour parler de l’attitude du géant numérique. Il faut dire que la machine est bien rodée. Pour pouvoir accéder et proposer son application aux terminaux mobiles iPhone, iPad et iWatch, les développeurs doivent respecter les règles éditées par le distributeur sans toujours bien les comprendre, notamment celle touchant à la propriété intellectuelle. Si Apple ne supprime pas toujours les applications, elle serait "devenue maître du 'sherlocker", méthode consistant à s'inspirer généreusement de certaines fonctionnalités pour développer ses propres services" , développe Nicolas Brien. À ces critiques, il faut ajouter les 30% de commission pris par Apple sur le prix des applications et des service d’abonnement qui étranglent certains développeurs.
La coupe est pleine et les startups françaises et européennes comptent bien le faire savoir publiquement.