Dans un monde de l’entreprise où la performance et la productivité sont reines, la maladie, la fatigue et les baisses de moral n’ont pas vraiment leur place. Des titres de postes comme le fameux "chief happiness officer" le montrent : il faut être au top à chaque instant. Mais la réalité finit par prendre le dessus sur le fantasme, surtout en période de crise mondiale, et les maladies chroniques - caractérisées par une durée de plus de six mois, une chronicité et un impact sur la vie quotidienne - comme la sclérose en plaque ou certains cancers, ne s’arrêtent pas au seuil du bureau. Souvent invisibles, elles n’en ont pas moins des conséquences au quotidien et au travail : fatigue extrême, douleurs, limitation des mouvements, besoin de pause... et conduisent souvent à une augmentation des arrêts maladie. Favoriser leur prise en charge améliorerait la vie des salarié·e·s mais aussi celle de l'entreprise.
La maladie est toujours un tabou en entreprise
Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de Wecare@work et remise d'un cancer, a développé un baromètre pour évaluer la place de la maladie en entreprise. En 2013, 80% des personnes interrogées - dont une grande proportion de l'échantillon était atteint de maladie chronique - estimaient qu’il y avait un tabou important sur le sujet au sein de leur société contre 51% en 2019. "L’évolution est encourageante mais cela signifie tout de même qu’une personne sur deux n’ose pas en parler" , regrette l’entrepreneuse.
La maladie reste en effet un sujet encore délicat en entreprise, tant du côté des salariés que des dirigeant·e·s et des managers. Or, d’après le livre blanc réalisé sur cette problématique par Ariane Conseil - cabinet qui accompagne les entreprises sur les enjeux de santé, de handicap et de qualité de vie au travail - 73% des personnes qui en parlent voient leurs conditions de travail s’améliorer.
Garder un emploi, un vrai souffle
En réalité, il s’agit d’une question très personnelle. "Quand j’ai appris pour mon cancer, je ne me suis pas posé de questions, j’en ai immédiatement parlé à mon employeur" , confie Anne-Sophie Tuszynski. Pour certaines personnes, "il faut déjà un temps avant d’accepter le diagnostic" tandis que d’autres craignent que cela ne se répercute sur leur emploi. Et ils n’auraient pas forcément tort.
Un "salarié atteint de maladie chronique sur quatre quitterait ou perdrait son emploi dans les trois ans après le diagnostic" , annonce la fondatrice de Wecare@work. Or, conserver un emploi et continuer à travailler est essentiel pour les patients. "D’un point de vue financier dans un premier temps mais aussi et surtout pour avoir une place et une utilité dans la société" , analyse Anne-Sophie Tuszynski. Stéphanie Galvan, directrice générale d'Ariane Conseil, dresse un constat tout aussi désolant : "après avoir perdu leur emploi, ils doivent se former pour apprendre un nouveau métier, ils n’ont pas des parcours linéaires" . Sans parler de toutes celles et ceux qui doivent carrément renoncer à certaines carrières ou sont licenciés.
Les grands groupes, bons élèves
C’est un véritable cercle vicieux. Le sujet n’étant pas mis sur la table, rares sont les études réalisées pour évaluer l’ampleur du phénomène, ce qui rend difficile la prise en main du sujet par les dirigeant·e·s. Or, les salariés malades chroniques sont nombreux. Stéphanie Galvan, directrice générale d’Ariane Conseil, "un salarié sur six serait atteint de maladie chronique" .
On critique souvent les grandes entreprises pour leur mollesse à agir. Dans le cadre de l’intégration des salariés atteints de maladie chronique, elles sont pourtant les plus actives. "Elles ont souvent les moyens financiers et humains pour se pencher sur ces enjeux et possèdent généralement une cellule de travail sur le handicap qui s’en charge" , observe Anne-Sophie Tuszynski en regardant la liste de ses clients. "Ce qui ne signifie pas que les TPE et les PME ne peuvent rien faire, il existe des solutions et des aides pour toutes les tailles de société" , assure la fondatrice de Wecare@work. Pour aider les petites structures, elle a développé un programme de sensibilisation en e-learning avec des vidéos de 45 minutes et s’apprête à lancer un assistant numérique pour accompagner salariés et managers.
Ouvrir le dialogue
L’intégration et la conservation des salariés atteints de maladie chronique dépendra forcément du métier et de la maladie en question. Mais la première chose à faire pour une entreprise consiste à communiquer leur engagement à tous les échelons. Un premier dialogue doit être ouvert avec les employés, notamment celles et ceux touchés par une maladie chronique. "Il faut recueillir leur ressenti, entendre et comprendre leurs difficultés et écouter leurs besoins ou leurs idées de solutions" , insiste Anne-Sophie Tuszynski. Ensuite, c’est à l’entreprise, avec un tiers d’imaginer et mettre en place des solutions adaptées, en fonction de son budget et ses possibilités" . En parallèle, les managers doivent être formés pour mieux comprendre leurs équipes et adapter leur vie au travail.
À titre d’exemple, Stéphanie Galvan donne celui d’une entreprise industrielle dont plusieurs salariés souffraient de la maladie de Crohn. Ne pouvant pas prendre des pauses plus longues lorsqu’ils étaient en crise, le taux d’absentéisme était important. En mettant en place un intérimaire “volant” capable de prendre le poste de n’importe lequel d’entre eux, les arrêts maladie ont rapidement diminué. Les solutions sont diverses et peuvent simplement conduire à une reconfiguration du plan de travail avec un nouveau siège ou une lumière tamisée par exemple. Mais de manière générale, c’est la flexibilité de l’organisation qui facilite la vie des salariés malades avec la mise en place du télétravail, l'aménagement des horaires.... "C’est plus compliqué si l’emploi du salarié est ancré dans un cadre très strict" , reconnaît Stéphanie Galvan. Il est aussi possible de proposer un changement de poste au sein de la société, en accord avec l’employé. Les solutions existent pour faciliter la vie de celles et ceux qui ne sont pas la majorité, et qui sont donc trop souvent oubliés, reste à tendre l'oreille et la main.