"Il y a un an, jamais je n’aurais imaginé être ici aujourd’hui !" , s’exclame Anissa Mekrabech, affairée entre deux colis. L’opportunisme caractérise souvent les entrepreneurs. Cette Toulousaine de 31 ans l’a bien compris. Dès le printemps, elle a fondé une startup de masques fabriqués en France. Par cette après-midi automnale, les expéditions explosent. Dans les cartons, des protections dotées d’une visière transparente pour permettre de voir la bouche. Taille XS, S, M. L’entrepreneuse a tout de suite compris qu’il y avait un marché porteur. Et pour cause : atteinte de surdité moyenne depuis l’âge de six ans, elle s’appuie parfois sur la lecture labiale pour s’assurer d’avoir correctement saisi le sens d’une conversation.
"J’entends parfois les voix déformées, comme si c’était une langue étrangère. Dès que les gens ont commencé à porter des masques au mois d’avril, c’est devenu très gênant" , se souvient-elle. Lors du premier confinement, elle doit se procurer des médicaments, se rend à la pharmacie. "J’ai remis l’ordonnance à la pharmacienne et me suis reculée d’un mètre pour respecter le marquage au sol. Elle portait un masque chirurgical donc je ne pouvais pas lire sur ses lèvres. Elle avait tout de même besoin de précisions quant à mon traitement et la communication a été difficile, je n’ai pas osé poser de questions car je savais que je n’allais pas bien entendre" . C’est le déclic.
Stress et repli sur soi
La jeune femme est bien placée pour savoir combien une difficulté de communication engendre souvent du stress, du repli sur soi et une exclusion sociale progressive. "Il faut que je fasse quelque chose" , se dit-elle. En un week-end, elle imagine un premier prototype, créé un site Internet et lance une campagne de financement participatif. Objectif : 5 000 euros. Elle en récoltera 18 500. Sa sœur et une amie rejoignent le projet et l’aventure commence. Etre entrepreneuse et handicapée n’est pas toujours évident. "Mal entendre exige des efforts constants et des adaptations. Quand nous nous sommes installées dans ces locaux par exemple, j’avais tout le temps peur de ne pas entendre arriver un livreur, se souvient-elle. On a donc installé une sonnette suffisamment puissante".
Anissa Mekrabech a aussi su utiliser sa surdité dans son aventure : "Mon handicap m’apporte une crédibilité plus forte pour entreprendre sur ce sujet" , souligne cette autodidacte. Sur son CV, pas de diplôme d’école de commerce ni de première expérience en vente ou gestion. Anissa Mekrabech s’est formée seule. "J’ai appris qu’il faut oser se lancer dans l’aventure sans attendre que tout soit parfait. Je sais aussi que l’aventure entrepreneuriale exige de la rigueur, de la discipline, de l’humilité" .
Cette rigueur, elle l’a apprise à l’aéroport Paris-Charles de Gaulle. Sa première vraie expérience professionnelle y a duré 5 ans. Elle est alors agent de trafic. À chaque escale d’un avion, elle doit s’assurer que tout le monde est à son poste, que le plein de carburant, de plateaux repas et le ménage seront assurés dans les temps et parfaitement. Elle décrit : "Il me fallait prendre des décisions sous la pression, faire preuve de rigueur et d’organisation. Des qualités qui me sont très utiles aujourd’hui. Pour gérer les achats de matière première, faire le lien entre les fournisseurs et les ateliers de fabrication, je dois sans cesse coordonner les actions, et cela, je l’ai appris à l’aéroport".
Audacieuse et créative
Avant de rejoindre Toulouse, la ville où elle a grandit, elle suit son conjoint en Guyane pendant un an. Sur place, il n’y a que peu de choix pour s’acheter vêtements et sac, estime-t-elle. Son père est mercier. Elle a la fibre créatrice et a débuté la couture à l’âge de six ans. Audacieuse, la jeune femme achète une machine à coudre et créé ses propres modèles. De retour en Occitanie, c’est décidé, elle se lance dans l’entrepreneuriat pour la première fois. "Je vendais des articles de maroquinerie et prenait réellement possession de ma vie. Cela a été très formateur" , sourit-elle. Désormais concentrée sur la vente de masques à visières transparentes, l’entrepreneuse se dit "fière d’avoir osé entreprendre malgré le handicap" et espère "inspirer d’autres personnes dans la même situation".
Pour les accompagner, il existe une association créée en 1987, l’Agefiph. Par ce biais, toute personne ayant obtenu la Reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé (RQTH) peut solliciter un accompagnement individualisé. Près de 3 000 créateurs et créatrices d’entreprise y ont recours chaque année. Il est possible de solliciter une aide forfaitaire de 5 000 euros pour démarrer son activité à condition de disposer d’un apport personnel d’au moins 1 500 euros. Face à la crise sanitaire et économique liée au virus de la Covid-19, l’Agefiph a aussi mis en place des mesures exceptionnelles supplémentaires, valables jusqu’au 31 décembre 2020, parmi lesquelles des aides financières et des heures d’accompagnement pour relancer ou réorienter l’activité.
Anissa Mekrabech, elle, tisse aussi des liens avec l’écosystème entrepreneurial haut-garonnais. "Je suis en contact avec T-Zic, une entreprise toulousaine qui a mis au point une machine pour désinfecter les objets dont les masques en quelques secondes. Nous discutons pour imaginer comment nous pourrions collaborer. Leur machine facilite la logistique dans les entreprises. Elle allonge la durée de vie de nos masques. Nos produits se complètent" , se réjouit-elle. Celle qui n’osait pas avouer son handicap à ses enseignants étant enfant est désormais pleine d’assurance pour l’avenir.