Avis de tempête sur les startups
L’arrivée de la pandémie et le confinement obligatoire pour endiguer sa propagation ont mis à mal de nombreuses sociétés. Les startups les plus prometteuses, soigneusement sélectionnées pour faire partie de la crème du Next 40, n’ont pas échappé à la règle. Face à une perte de revenus parfois totale – notamment dans le secteur du tourisme – les dirigeants ont parfois dû se résoudre à prendre des mesures drastiques et difficiles.
C’est Wistiki qui a ouvert le bal des mauvaises nouvelles. Mi-avril, en plein confinement, le fondateur de la startup annonçait la mise en liquidation judiciaire de sa société. Lancée en 2014 sur le marché des objets connectés, celle-ci proposait un produit permettant de retrouver un sac ou une paire de clés facilement. Les problèmes rencontrés par les utilisateur·rice·s ont rapidement mis à mal sa notoriété. Si la crise a accéléré la chute de la startup, le fondateur de cette dernière reconnaît des problèmes structurels en amont. L'entreprise a été rachetée pour la modique somme de 25 000 euros. Pour réussir à la relever, le nouveau propriétaire souhaite élargir les produits et les services.
Un mois plus tard, au printemps, c’était au tour du moteur de recherches Qwant de tailler dans sa masse salariale mais aussi dans ses dépenses. L’année avait déjà commencé sur les chapeaux de roues pour la startup qui se séparait de son PDG, Eric Léandri, suivi de Tristan Nitot, son VP Advocacy, quelques mois plus tard. Deux signes de mauvais augure que la suite de l’année n’aura pas réussi à contrer. Mi-juin, une information fuitait sur l’annonce du licenciement d’un quart des effectifs de l’entreprise, à Paris, Ajaccio et Épinal. Le nouveau PDG de l’entreprise, Jean-Claude Ghinozzi, a également décidé de réduire les ambitions de Qwant à la baisse, fermant sa filiale Qwant music et son service de paiement pour se concentrer sur son moteur de recherche et sa version junior, ainsi que son dispositif de cartographie.
Cela ne va pas fort non plus chez Sigfox. Face à son manque de rentabilité depuis son lancement en 2009, l’entreprise, spécialisée dans les télécommunications et l’IoT, a fini par céder son réseau allemand au fonds luxembourgeois Cube Infrastructure Managers. Suite à cette annonce, on apprenait que la startup se séparait de 47 de ses membres, soit 13 % de ses effectifs. Pourtant, Ludovic Le Moan, son co-fondateur, reste confiant sur une entrée en bourse. Non pas en 2021, comme prévu, mais en 2022. Si un changement de stratégie pourrait s’avérer salvateur d’un point de vue économique, la société est engluée dans d’autres difficultés, managériales cette fois-ci.
Après un été marqué par une timide reprise, Evaneos a finalement dû se résoudre à réduire ses effectifs. Début novembre, la startup a annoncé la suppression de 50 postes d’ici à la fin de l’année, soit 20 % de sa masse salariale. Optimiste quant à la durée du confinement et ses conséquences économiques, Eric La Bonnardière a pris conscience de l’ampleur du phénomène. S’il assure que l’entreprise dispose de la trésorerie nécessaire, il préfère apparemment limiter les dépenses et les investissements dans le développement de sa société aux États-Unis pour se concentrer sur l’Europe.
Fragilisée par la crise, The Family a aussi fini par prendre une décision radicale en divisant par deux ses effectifs et en quittant l’ensemble de ses locaux, parisien, londonien et berlinois, pour se lancer dans le 100 % dématérialisé. "Le Covid a été un énorme choc parce que toutes nos sources de revenus (les événements, les formations, les opérations financières…) ont disparu du jour au lendemain, détaillait Alice Zagury, cofondatrice de The Family dans une interview donnée à Maddyness. On s’est dit qu’il y avait deux façons de réagir : survivre à tout prix et compter sur les dispositifs d’urgence ou basculer The Family en full remote." Un choix opéré par d’autres startups qui ont choisi d’abandonner leurs bureaux au profit du flex office ou du 100 % remote avec toutes les contraintes qu’ils possèdent.
Un investissement soutenu et dirigé vers les startups établies
Cette année ne fait pas exception à la règle, puisque les investissements se sont maintenus à un fort niveau dans l’écosystème. Si les investisseurs se sont montrés un peu plus frileux à mettre un ticket dans les tours d’amorçage, ils n’ont jamais autant parié sur les startups bien établies. Pas moins de huit opérations affichent un montant supérieur à 100 millions d’euros. Une consolidation qui tend à répondre à l’ambition affichée par Emmanuel Macron d’atteindre les 25 licornes tricolores d’ici à 2025 – le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, a depuis indiqué à Maddyness vouloir "ne pas se limiter à ces chiffres" et "faire émerger des leaders mondiaux" ces prochaines années.
Avec une opération à hauteur de 257,8 millions d’euros, Mirakl a marqué l’histoire des levées de fonds au mois de septembre. Jamais une startup française n’avait autant levé. Sa solution, qui permet aux retailers de créer leur propre marketplace, lui permet d’exploser le précédent record établi par Meero l’année dernière (205 millions d’euros). Fondée en 2011 et membre de l’indice Next 40, la scaleup rejoint à son tour le cercle restreint d’entreprises valorisées à plus de 1,5 milliard d’euros… tout comme Deezer ou Blablacar avant elle, entre autres.
Ÿnsect a, elle aussi, franchi une étape majeure dans son développement en bouclant sa série C à hauteur de 315 millions d’euros grâce à un nouveau tour de table de 190 millions d’euros cette année. Avec sa farine d’insectes destinée à nourrir les animaux, la scaleup représente un espoir de l’innovation française dans le domaine de l’alimentation. Un créneau par ailleurs investi par InnovaFeed qui, avec une levée de 70 millions d’euros, est aussi en forme.
Huit après sa création, Contentsquare obtient le statut de licorne grâce à une levée à hauteur de 154 millions d’euros. La scaleup, spécialiste de l’analyse des comportements des visiteurs de sites web et d’applications mobiles, dépasse ainsi le milliard d’euros de valorisation.
Ses efforts n’avaient pas suffi l’an dernier. ManoMano se rapproche à nouveau du statut de licorne en 2020, forte d’un tour de table de 125 millions d’euros. Expert de la vente de matériel de bricolage et de jardinage depuis 2012, la scaleup enregistre une opération plus importante chaque année depuis 2016. Alors que son internationalisation est bien lancée, les prochains mois devraient être décisifs… et lui permettront, peut-être, de rejoindre le club.
Lydia a également marqué l’année grâce à sa série B à hauteur de 112 millions d’euros, qui constitue un record en matière de levées de fonds dans la FinTech française. Le spécialiste du paiement mobile, qui nourrit de fortes ambitions en Europe, a largement profité de la crise sanitaire et de l’accélération du sans contact. Un bon présage pour la suite, alors que des homologues chinois (WeChat Pay) et américain (Venmo) semblent, eux aussi, confortés.
S’il est une autre startup tricolore qui a bénéficié du contexte lié au Covid-19, c’est bien Back Market. L’expert de la vente d’appareils électroniques reconditionnés a réuni 110 millions d’euros. Précédemment épinglée en matière de satisfaction client, l’entreprise a encore fort à faire pour s’imposer au-delà des frontières hexagonales – et particulièrement aux États-Unis.
Membre du French Tech 120, Qonto a bouclé une série C à hauteur de 104 millions d’euros en début d’année. La néo-banque entend élargir son panel de services et obtenir le sésame de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation (ACPR) pour baliser son avance sur la concurrence, qui se fait de plus en plus vive… et ainsi peser plus lourd dans l’écosystème.
La levée de Kinéis à hauteur de 100 millions d’euros est, pour sa part, symptomatique des ambitions tricolores dans la SpaceTech. Des startups se lancent en nombre sur ce créneau, mais Kinéis jouit d’une avance appréciable du fait de ce financement ainsi que de partenariats commerciaux. Ce qui fait d’elle l’une des startups à suivre dans ce domaine émergent.
Les startups sous les feux de la rampe
2020 avait commencé par une exposition médiatique unique pour l'entrepreneuriat français. À une heure de grande écoute, à la télévision française, pendant six semaines, des porteurs de projets ont tenté de convaincre plusieurs personnalités emblématiques de la tech — Frédéric Mazzella, Marc Simoncini et Eric Larchevêque notamment — d'investir dans leurs entreprises et projets. De l’avis des startups interrogées par Maddyness, qu’elles aient été financées ou non par les investisseurs, le bilan de ce passage sur M6 dans l'émission "Qui veut être mon associé" demeure très positif.
Une visibilité sans précédent, qui a eu de quoi ravir toutes celles et tous ceux qui travaillent à la promotion des jeunes entreprises françaises innovantes. À ce titre, 2020 aura été l'année étalon pour juger de l'intérêt de deux labels attribués aux startups françaises les plus prometteuses – le Next40 et le FrenchTech 120. Critiqués pour les critères retenus – essentiellement liés à la performance économique –, les deux labels ont suscité des convoitises par l'accompagnement opérationnel et la visibilité qu'ils offrent. Des atouts d’autant plus incontournables que cette première année a été marquée par la crise et que les entreprises avaient besoin de réponses claires sur le PGE, le chômage partiel ou une écoute particulière de la Banque de France pour obtenir des financements.
De plus, les retombées en termes de communication ont, sans surprise, constitué l’un des atouts majeurs du French Tech 120, auprès des médias, des clients, en France ou à l'étranger. Mais l'un des axes d'amélioration concerne la pédagogie de dispositifs encore mal compris par une grande partie de l’écosystème, un an après leur mise en place. Autre sujet de discussion, contrairement à ce qui était attendu, les investisseurs semblent en effet peu réceptifs à la hype autour du label. Notamment parmi les entreprises du Next 40, beaucoup évoquent le fait qu’elles étaient déjà très courtisées avant d’être sélectionnées, y compris par des investisseurs étrangers.
Lancé en janvier 2020, le programme FrenchTech 120 a rassemblé 123 scaleups. La liste devrait évoluer : 25 à 40 % de renouvellement est attendu pour la deuxième promotion. L'un des objectifs majeurs de la saison 2 sera donc de prouver que l'introduction en bourse – pour deux labels aux noms calqués sur les indices CAC 40 et SBF 120 – d'une ou deux entreprises de la FrenchTech demeure un réel objectif et non un simple affichage politico-économique.
L’inclusion met les startups face à leur responsabilité
En terme de discrimination, l’année avait mal commencé pour la Startup Nation avec le scandale du Slip français. En janvier, une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux montrait deux de ses salarié·e·s filmé·e·s lors d’une soirée privée dont le thème était "Africa" . L’un est déguisé en singe et l’autre, grimée en noir – un "blackface" –, porte un boubou et un turban. Les deux y dansent sur Saga Africa et l’homme ponctue la scène de cris d’animaux. "Choquée" de ce comportement, la direction de la startup a mis à pied les deux employé·e·s impliqué·e·s.
Si dans cet événement réside la preuve qu’il reste encore du chemin à parcourir pour créer un écosystème inclusif, l’année 2020 témoigne aussi d’avancées concrètes dans le champ de la diversité. La question de la représentation est devenue incontournable pour la tech en France. L’implication sociale des startups se note déjà par la multiplication des rapports et études pointant le manque de diversité dans le secteur. Quantifier pour mieux dénoncer et faire avancer.
En septembre dernier, le Conseil National du Numérique (CNNum) publiait un rapport, coécrit avec l’association Diversidays, qui émettait 15 recommandations pour renforcer l’insertion professionnelle des "citoyens des territoires ruraux et des quartiers populaires de la ville" dans les métiers du numérique. Remis à quatre membres du gouvernement, les pistes comprenaient notamment l’idée de la mise en place d'une semaine de sensibilisation et de lutte contre les stéréotypes en entreprise ou la création d’un bac pro dédié au métier de développeur·euse.
Un autre état des lieux, mené par le collectif RH Firstalent, souligne la bonne volonté des startups de diversifier leurs recrutements. En effet, les jeunes pousses semblent s’emparer du sujet puisque 70 % des participant·e·s à l’enquête affirment appliquer une politique dédiée. D’ailleurs, des organismes et mouvements prolifèrent pour les aider à devenir plus inclusives dans leurs pratiques de recrutement et de management. C’est le cas de #TechYourPlace, un mouvement lancé en décembre dernier par Diversidays et la Fondation Mozaïk. L’idée est d’accompagner les jeunes entreprises dans leurs engagements en mettant à leur disposition des outils concrets d’action, comme la possibilité d’être évalué·e par la plateforme Mixity, qui quantifie la diversité de différentes structures.
De leur côté, les VCs commencent timidement à prendre des engagements pour répartir leurs investissements de manière plus paritaire et diversifiée. Tous les ans, le fonds Atomico dresse un rapport annuel, "State of European Tech", dans lequel une longue partie est consacrée aux questions d’inclusion et de discriminations. Le constat est sombre : les équipes masculines ont capté en 2020 90,8 % des capitaux européens levés et 77 % des participants noirs à l’étude estiment que l’égalité des chances est un leurre. Pour y remédier, le fonds anglais lui-même a pris des engagements : dans un post Medium, celui-ci a promis que 40 % des startups qu’il soutiendrait désormais seront fondées par des personnes dites sous-représentées dans la tech.
Si l’égalité femme-homme est loin d’être acquise, des mesures concrètes ont aussi été adoptées cette année pour la promouvoir. Le Parental Act, signé par 105 entreprises au départ – il compte aujourd’hui 391 signataires –, en est un bon exemple. Cette charte, qui propose un mois de congé entièrement rémunéré au "deuxième parent" à la naissance d’un enfant, est tout sauf une question secondaire. Le congé parental, pris dans 97 % des cas par les femmes, rime avec suspension d’activité et perte significative de salaire, donc un frein voire un blocage à la carrière. Cette alternative permet donc à l’autre parent d’alléger la charge mentale de la mère et de promouvoir l’égalité en entreprise et dans les opportunités professionnelles.
Signé par des startups comme BlablaCar, Alan, Talentsoft, Qonto, Happytal, Agricool ou Shine, le Parental Act a même permis de faire du lobbying auprès du gouvernement, qui s’est inspiré de l’initiative. En septembre dernier, celui-ci a annoncé la réforme du congé paternité : un allongement de 14 à 28 jours à partir du 1er juillet 2021. Espérons que cette vague de bonnes initiatives se poursuive après 2020.