Republication du 21 septembre 2020
Né en 2007, le modèle des Digital Native Brands (DNVB) a inspiré des milliers d'entrepreneur·euse·s, et aujourd'hui la quasi-intégralité des produits de la vie courante ont été lancés sous une version DNVB. Cet engouement s'explique notamment par les faibles barrières à l’entrée : on dénombrait, en 2019, 170 DNVB de matelas sur le marché américain. Conséquence directe de l'afflux de nouveaux entrants : une concurrence effroyable sur les marge et les coûts d'acquisition. Ce phénomène a été encore accentué par le fait que les DNVB partagent pour la plupart la même cible de digital-natives.
Ainsi, alors que leur modèle reposait sur la désintermédiation pour récupérer des marges (et les partager avec les clients dans une logique de "prix juste"), la plupart des DNVB sont devenues dépendantes de l'acquisition en ligne et leurs marges sont intégralement capturées par Google et Facebook. Cela explique pourquoi de plus en plus de DNVB ouvrent des points de vente physiques. Mais de même que les marques aux magasins physiques peinent dans l'e-commerce, les pure players du web ont des difficultés à appréhender la distribution physique et pour des raisons parfaitement symétriques : il s'agit d'un autre métier.
L'omnicanal-natif, naissance d'un nouveau modèle
Dans ce contexte, nous voyons émerger une nouvelle catégorie de commerce, structurellement omnicanale : les ONVB pour Omnichannel-Native Vertical Brand. Le concept d'omnicanalité n'a rien de nouveau, mais c'est bien le
côté "natif" des ONVB, qui rend ce modèle de commerce si innovant. En effet, les ONVB sont des marques conçues dès le premier jour pour opérer sur plusieurs canaux de distribution (e-commerce, boutiques, pop-up stores, revendeurs). Ainsi, la marque, l'audience, les produits, le niveau de marge, la politique de prix, l'organisation interne, les recrutements, les process, les outils interne (CRM, paiement, gestion des stocks), l'expérience client, la communication, etc. tout est conçu pour une approche omnicanale. L'ONVB ne subit pas le poids de modèles, process ou outils historiques l'empêchant de saisir les opportunités de différents canaux de distribution.
Une moindre dépendance à l'acquisition payante
En ligne, les ONVB sont beaucoup moins dépendantes de l'acquisition payante, jusqu'à pouvoir ajuster les efforts d'acquisition en fonction des conditions de marché. Par exemple, si la pression concurrentielle s'intensifie sur l’acquisition en ligne d’un produit, une DNVB n'aura d’autre choix que de maintenir ses dépenses d'acquisition, quitte à en dégrader les performances et rogner sur les marges alors qu'une ONVB pourra arbitrer entre ses différents canaux et par exemple intensifier sa présence chez ses revendeurs ou ouvrir des nouveaux
pop-up stores. Bien sûr, une telle agilité demande d'être capable de mesurer en temps réel la performance des divers canaux d'acquisition.
Une audience plus large et l'international à portée de main
La plupart des DNVB ne distribuent pas leurs produits via des revendeurs. D'abord parce qu'elles ne le souhaitent pas afin de protéger leur image de marque et garder un côté exclusif. Ensuite parce qu'elles ne le peuvent pas, leur merchandising et storytelling rendant difficile la vente par un tiers. Les ONVB quant à elles sont libres de se déployer largement en indirect, la marque (en général plus grand-public) étant compatible avec cette stratégie. Ils peuvent par conséquent adresser des audiences plus larges et moins sensibles au caractère exclusif de la marque.
Cette cible, moins saturée que celle des digital-natives qui a été sur-sollicitée ces 10 dernières années, se retrouve être plus disponible, plus nombreuse et surtout moins chère à acquérir. L'installation de pop-up stores en centre commercial est un exemple typique de canal d'acquisition activé par
les ONVB. Cela permet d'exposer la marque et ses produits à des millions de visiteurs pour un prix très compétitif. C'est aussi l’occasion pour la marque d'interagir physiquement avec les clients (storytelling, retours clients, etc.), stratégie complétée par un effet "événementiel" très différenciant. La plupart des DNVB ne peuvent répliquer cette stratégie car elles ont un positionnement plus haut de gamme et s'interdisent d'associer leur marque à un centre commercial, d'autant plus que leur audience ne les fréquente pas.
Par ailleurs, l'offre produit et l'expérience d'achat n'ont pas été conçus pour cela et la plupart des DNVB ne savent pas gérer des dizaines de points de vente (quel emplacement, quelle surface?; quel assortiment de produits?; est-ce que cela a du sens pour les clients?; est ce que le niveau de marge le permet? quel type et quelle qualité de service?; quel profil de vendeur recruter?; comment unifier la chaine d’approvisionnement et le parcours client?; comment éviter le channel conflict, etc.).
Pour les DNVB, l'omnicanal se réduit donc le plus souvent à une boutique en centre-ville avec un trafic moins important et des coûts plus élevés. Il en va de même pour l'opportunité de se développer à l’international, palier très difficile à franchir pour une pure DNVB, dont le modèle n'a depuis 12 ans créée aucun leader mondial dans une catégorie produit. Les ONVB peuvent utiliser les forces du digital et des DNVB pour tester des nouveaux marchés à moindre frais puis s'appuyer sur leurs partenaires de distribution (concept stores, réseaux d’enseignes, etc.) pour déployer la marque en volume.
Déjà quelques succès d'ONVB
Les premières ONVB ont été développées à l'instinct par des entrepreneurs visionnaires. La plus ancienne est peut-être Bobbies, lancée en 2010 avec un simple showroom, rapidement suivi d'un e-commerce puis d'une stratégie de vente indirecte, et enfin d'une première boutique en 2013. Ou Balibaris, qui a démarré en ligne en 2010, ouvert ses boutiques moins de 2 ans après, rapidement suivi d'une stratégie auprès de revendeurs. En 2014, Merci Handy lançait ses gels antibactériens colorés en e-commerce et surtout en indirect avec aujourd’hui près de 3000 distributeurs.
Cabaïa (ndlr :le fonds Spring Invest y a investit), est une marque d’accessoires (bonnets, sacs à dos, chaussettes…) lancée en 2015 dans une démarche nativement omnicanale. La marque qui double de taille tous
les ans réalise aujourd’hui 7 millions d’euros de chiffre d’affaires via un site e-commerce, 40 pop-up stores et un réseau de 1000 distributeurs. Son succès est une bonne illustration du modèle ONVB : forte créativité sur les
produits qui apporte de la différentiation, gestion au cordeau du réseau de revendeurs et des points de vente physiques, maîtrise totale de la performance des dépenses d’acquisition online.
Un modèle plus exigeant mais plus attractif
Nous voyons les ONVB comme une évolution, une maturation du modèle DNVB. Elles reprennent les principales forces du modèle, le focus sur l'expérience client, les lancements lean (en général mono produit) et à
quantité maîtrisée, le positionnement de marque engagée, transparente et proche de son audience, l'utilisation des réseaux sociaux pour la communication directe et la co-création des produits avec les utilisateurs…
Mais la barrière à l'entrée pour les ONVB est beaucoup plus élevée. La marque doit être plus forte, le storytelling doit pouvoir survivre à la vente indirecte. De plus, par construction, le modèle exige un éventail de compétences
plus large, incluant notamment tout ce qui touche à l’ouverture et à la gestion d'un réseau de points de vente et de revendeurs. Le modèle est également plus long à construire avec en moyenne 2 à 3 ans pour être opérationnel sur tous les canaux, contre environ 6 mois pour un DNVB.
Contrairement à la vague massive des DNVB entre 2008 et 2020, nous ne devrions donc pas voir autant de créations d'ONVB. Mais cette moindre pression concurrentielle permet d'espérer de meilleures marges pour les ONVB qui auront réussi. C'est pour cela que ce modèle intéresse de plus en plus d'entrepreneurs chevronnés du retail, et donc d'investisseurs, ayant bien compris que le futur allait s'écrire avec l'omnicanal.
Xavier Faure et Alexandre Guillot son respectivement co-fondateur & partner, et principal au sein du fonds d'investissement Spring Invest.