Le numérique est vecteur de lien social, y compris pour ceux qui l'utilisaient le moins. Ainsi, 73% des plus de 55 ans ont davantage utilisé leur ordinateur pendant le premier confinement, précise une étude menée par Avira dans quatre pays d'Europe dont la France. Et ce bond des usages s'est principalement concentré sur les technologies de communication : deux tiers (68%) de ces seniors connectés l'ont utilisé pour envoyer des mails alors que 59% l'ont dédié à la visio-conférence.
Une tendance qui n'a pas échappé aux startups. Ainsi les Grenoblois de Lovebox, une boîte qui permet d'envoyer des mots doux à ses proches, ont non seulement vu leurs ventes s'envoler au point d'être en rupture de stock au printemps mais également le profil de leurs utilisateurs changer. "Jusqu'à la crise, la moitié de nos utilisateurs étaient des couples et l'autre moitié des familles pour un usage intergénérationnel, détaille Jean Grégoire, cofondateur de la startup. Aujourd'hui, c'est plutôt deux tiers d'usage intergénérationnel et un tiers au sein des couples." La startup Sunday, qui permet d'envoyer des photos directement sur la télévision d'un proche, a elle aussi vu ses ventes s'accélérer, notamment grâce à une commande de 1500 produits par la fondation Boulanger, impliquée dans l'opération Un monde de liens auprès des Ehpads.
"Les établissements de santé ont été submergés de demandes, constate Nelly Meunier, cofondatrice de la startup. Cela met en lumière la rupture sociale dramatique que vivent les aînés, confinés dans leur chambre, qui reçoivent peu ou pas de visite et souffrent de plus en plus de démence." Dans ce contexte, les technologies de communication deviennent "des outils presque vitaux dans certaines situations" , explique l'entrepreneuse. "Les utilisateurs auraient pu se passer d’un produit qui n'est pas considéré comme essentiel : il ne nourrit pas au sens propre du terme même s’il nourrit le coeur ; mais il est au contraire très apprécié par les seniors" , renchérit Jean Grégoire.
Des produits adaptés aux usages
Cette hausse du recours aux nouvelles technologies par les seniors n'est pas sans présenter quelques défis pour les jeunes pousses. D'abord en matière de support client. "On s'est rendu compte du changement au niveau de notre service client parce que les seniors sont moins à l'aise avec la technologie et la Lovebox doit être configurée en se branchant sur le wifi, ce qui peut être assez complexe pour certains" , reconnaît Jean Grégoire. Alors qu'une seule personne était jusque-là dédiée au SAV, ce sont aujourd'hui quatre personnes qui effectuent des rotations à ce poste.
Il faut aussi penser à adapter le produit à ces usagers très particuliers. "Il existe une rupture naturelle de l’usage des technologies en fonction des générations. Les produits technologiques restent des produits complexes malgré tout" , rappelle Nelly Meunier. La Sunday box, pensée dès le départ pour les seniors, a ainsi privilégié la facilité d'utilisation, avec des fonctionnalités simplifiées du côté de l'utilisateur senior tandis que les efforts technologiques sont portés sur l'application mobile utilisée par les proches, plus jeunes et mieux rodés aux nouvelles technologies. "Il faut éviter la gadgetisation des produits, rester simple pour les seniors, tout en les améliorant grâce aux fonctionnalités les plus demandées."
Un travail d'équilibriste d'autant moins évident à réaliser lorsque le produit n'est pas spécifiquement dédié aux seniors, comme la Lovebox. "Comme elle fonctionne avec le wifi et que de nombreux seniors n'ont pas forcément de box chez eux ou doivent passer par le wifi commun de l'Ehpad qui n'est pas toujours de bonne qualité, nous avons débuté au printemps le développement d'une option qui permet d'intégrer une carte Sim à la box" , explique le cofondateur de la startup. La fonctionnalité sera disponible au printemps. En parallèle, l'entreprise a sorti la nouvelle version de sa boîte à amour qui permet désormais d'envoyer des images en couleurs et des photos.
"Nous avions hésité à repousser ce projet mais on s'est rendu compte que c'était justement ce que cherchaient les seniors. Cette période nous a aidés à re-prioriser le développement de certaines fonctionnalités." Un pari gagnant pour l'entreprise, qui avait rempli ses objectifs annuels dès les premiers mois de l'année, vise désormais les 9 millions d'euros de chiffre d'affaires pour l'année 2020 et a d'ores et déjà renforcé ses équipes avec l'embauche d'une dizaine de salariés.