Donald Trump ou Joe Biden ? Plus que quelques semaines de suspense avant que le vote pour l'élection présidentielle américaine ne départage, le 4 novembre prochain, les candidats républicain et démocrate. Ce jeudi 15 octobre, pas de débat virtuel refusé par le Président américain, mais un duel télévisé à distance qui sera suivi de près par les dirigeants et salariés des entreprises Tech. La réélection possible de Donald Trump les inquiète, quand bien même le magnat de l'immobilier aime pourtant à se présenter comme le candidat des entreprises. Il faut dire que le président a drastiquement baissé l'impôt fédéral sur les sociétés durant son mandat : de 35%, il est officiellement passé à 21%, tombant en fait à 11,3% selon les calculs du Washington Post.
Pas suffisant pour emporter l'adhésion des géants de la Tech comme des startups, qu'elles soient américaines ou étrangères installées aux États-Unis. "Donald Trump s'est avéré être le candidat des entreprises qui n’ont pas besoin d’employés immigrés, ce qui est un gros problème notamment dans la Silicon Valley" , analyse la politologue franco-américaine Nicole Bacharan. Le gel des visas des travailleurs étrangers décrété au printemps a achevé de creuser le fossé entre les entreprises innovantes, particulièrement en recherche de talents étrangers, et le président qui a fait de "America First" son slogan. "Il y en avait peu mais aujourd'hui plus aucun visa de travailleur hautement qualifié n'est délivré. Donald Trump n'est pas le candidat des entreprises qui veulent recruter partout dans le monde" , tranche la politologue.
L'épineux problème des visas pour les travailleurs étrangers
À la décharge du président en exercice, le problème ne date pas de l'élection de Donald Trump. "Immigrer légalement aux États-Unis était déjà très difficile avant son arrivée au pouvoir, concède Nicole Bacharan. Cela fait dire depuis des années aux entreprises technologiques que vu le parcours du combattant surmonté par les potentiels employés étrangers pour pouvoir travailler, ce sont par essence des gens de qualité !" Mais la politique de Donald Trump, qui soutient de manière très radicale l'emploi local au détriment de l'arrivée sur le territoire américain de talents étrangers, a aggravé la situation.
Et ça ne fait pas les affaires ni des géants de la Tech, employeurs majeurs de la Valley, ni des startups françaises installées outre-Atlantique. "L'administration Trump veut encore durcir les conditions d’obtention du visa H-1B, notamment concernant le seuil de salaire pour pouvoir l'obtenir. Cela pose de nombreuses questions. Or, l'incertitude est très difficile à gérer dans le milieu des affaires" , souligne Sacha Honigbaum, responsable des partenariats du réseau French Founders, basé à New York. D'autant que, contrairement à ce qu'espère le président milliardaire, ce ne sont pas les talents nationaux qui pourront compenser le manque de salariés étrangers.
"Le vivier actuel de talents américains n'est pas suffisant dans les domaines les plus pointus. Les Français sont d'ailleurs particulièrement appréciés pour leurs compétences scientifiques, par exemple"
Nicole Bacharan, politologue
Sans possibilité de recruter des talents étrangers une fois installées sur place, les startups françaises pourraient-elles revoir leurs perspectives de développement aux États-Unis ? C'est peu probable, selon Sacha Honigbaum. "Les États-Unis restent un marché très attractif : l'un des plus compliqués, certes mais aussi l'un des plus grands marchés au monde, où la consommation bat son plein. Ils resteront un marché crucial et central pour la Tech française et européenne." Si les entrepreneur·se·s tricolores installé·e·s outre-Atlantique ne devraient donc pas plier bagage tout de suite, celles et ceux qui envisagent de réaliser leur rêve américain pourraient mettre leurs projets en pause durant quelques mois encore. "Aucune décision d'installation ne devrait se prendre d'ici la fin d'année. Et en cas de réélection de Donald Trump, l'attractivité du pays en prendrait un coup" , atteste le responsable des partenariats de French Founders.
Moins charismatique qu'Obama, Biden profite de la comparaison avec Trump
Dans ce contexte, Joe Biden pourrait-il devenir le candidat des startups ? Il est déjà celui des Gafam : selon les chiffres publiés par Wired, 95% des contributions des salariés d'Alphabet, Microsoft, Amazon, Facebook, Apple et Oracle à la campagne d'un candidat à la présidentielle vont au candidat démocrate. Un soutien financier bien plus marqué qu'en 2016 qui signale la portée des enjeux de cette élection. Et quand on connaît l'importance de ces entreprises dans les précédentes campagnes, cela peut considérablement peser dans la balance. "En 2008, les Gafa ont lancé Barack Obama comme une startup dès les primaires, parce qu'il était l'incarnation de l’avenir et du cool. Ils ont parié sur lui et ont énormément aidé à son élection à la fois financièrement et techniquement" , rappelle Nicole Bacharan.
À cet égard, Joe Biden ne dispose pas du même capital sympathie parmi les Gafam et les startups, notamment parce que les élus démocrates au Congrès ont récemment rappelé qu'ils entendaient bien limiter les pouvoirs des géants de la Tech. Il en faut cependant plus pour mettre fin à l'idylle entre la Tech et les Démocrates. Si les Gafam "sont devenus des géants du capitalisme qui veillent sur leurs profits" , la présidence de Donald Trump leur a permis de prendre conscience "qu'ils sciaient la branche sur laquelle ils sont assis en contribuant à l'effondrement de la démocratie" , estime la politologue. D'autant que l'élection du candidat démocrate "rouvrirait l'horizon" en matière d'immigration légale, notamment pour les profils les plus qualifiés. "Joe Biden est un peu plus rassurant sur la question des visas, avec une vision long-termiste" , acquiesce Sacha Honigbaum.
"Pour les entreprises qui souhaiteraient recruter à l'étranger, il vaut mieux que Joe Biden soit élu parce qu'il n'est pas anti-immigration comme Donald Trump, tranche Nicole Bacharan. Et si ce dernier est réélu, mieux vaut pour les startups françaises qu’elles partent s’installer ailleurs !"
Attention toutefois à ne pas faire de Joe Biden l'incarnation de tous les espoirs qui seront immanquablement déçus. "Il faudra du temps pour revenir à une situation idéale en matière d'immigration légale, prévient l'experte. Les structures de l'administration ont été tellement écrasées de règlementations qu'il ne sera pas possible de tout reconstruire en un jour." Que l'élection consacre Donald Trump ou Joe Biden, le problème des visas est donc loin de pouvoir se résoudre du jour au lendemain. Qu'à cela ne tienne, la solution pourrait bien venir... de la restriction des déplacements liée au coronavirus. "Les entreprises se sont réorganisées, ont modifié leurs comportements en vue d'un travel ban qui dure" , souligne ainsi Olivier Pailhes, CEO d'Aircall, qui compte une centaine d'employés américains à New York. "Si cela devait se prolonger encore, ça pousserait les entreprises présentes aux États-Unis à travailler avec des salariés à distance." Un bon moyen de contourner le problème du gel des visas...