Installée au coeur de la Silicon Valley, la French Tech San Francisco assiste depuis plusieurs mois à un véritable scénario de film américain. Une grande partie des salariés ont déserté les entreprises (comme ceux de Google poussés au télétravail jusqu'en 2021), des magasins restent désespérément clos et les frontières sont fermées à l'immigration. Pour comprendre comment la tech américaine fait face à la crise et donner un peu de visibilité aux startups françaises qui rêvent de s'installer outre-Atlantique, Maddyness a interrogé Réza Malekzadeh, ambassadeur au sein de la French Tech San Francisco.
La crise aux États-Unis, quelle gestion ?
Le gouvernement français n'a pas hésité à prendre les mesures nécessaires pour assurer les arrières de ses entreprises et éviter les faillites en pagaille. Les États-Unis, connus pour leur libéralisme, ont eux aussi mis la main au portefeuille. Pour sauver les emplois autant que sa campagne électorale, Donald Trump a lancé, fin mars, un plan de sauvetage (CAREs) de 2 200 milliards de dollars composé d'un programme dédié aux entreprises de petite taille, le Paycheck protection program. Doté d'une enveloppe de 350 milliards de dollars (augmentée par la suite), celui-ci avait pour objectif d'aider les entreprises à contracter des prêts afin d'éviter une explosion des licenciements. Car, aux États-Unis, "les entreprises n'hésitent pas à licencier immédiatement lorsqu'une crise survient mais à réembaucher rapidement dès que la situation s'améliore" , explique Réza Malekzadeh.
Peut-on vraiment comparer le PGE (prêt garanti par l'État) et le Paycheck Protection Program ? Pas vraiment. Pour l'obtenir, "les startups installées sur le sol américain ont dû prouver une perte de chiffre d'affaires importante due au Covid-19 ainsi qu'une absence de cash sur leur compte en banque. Les montants des prêts étaient également bien plus faibles qu'en France et limités par le gouvernement américain" . Quant au remboursement de la créance, celui-ci doit débuter dans les 7 mois suivant sa contraction tandis que les entreprises françaises ont 12 à 60 mois pour se libérer de celle-ci.
La différence se situe également dans "la responsabilité pénale et judiciaire forte" incombant aux startups contractant ces prêts. "Les entrepreneurs doivent répondre à toutes les conditions sous peine de devoir rembourser tout ou partie de leur prêt" , précise Réza Malekzadeh. Résultat, avant de faire une demande, les "dirigeants d'entreprises doivent vraiment s'interroger sur leurs besoins, leur capacité à rembourser ce prêt et vérifier qu'ils remplissent bien les conditions requises".
Dès l'arrivée du Covid-19 sur le territoire américain, French Tech San Francisco a ainsi aidé les startups françaises installées sur place à se frayer un chemin dans cette jungle juridique américaine et à trouver des avocats spécialisés pour les soutenir dans leurs démarches.
Une situation économique ralentie mais pas arrêtée
Les médias français se sont fait le relais des situations les plus dramatiques rencontrées par les entreprises américaines comme le licenciement de 3 500 salarié·e·s d'Uber par visioconférence. Mais concrètement, quelle a été et quelle est la situation sur place ? "De manière générale, l'activité économique a beaucoup ralenti" , confesse Réza Malekzadeh, surtout à cause de la distance. Si Zoom et l'ensemble des outils de communication ont connu un boom d'utilisateurs durant le confinement, rien ne remplace une bonne conversation en face à face pour un investisseur ou un recruteur. "Il faut réinventer les process de recrutement, cela prend du temps mais il n'y a pas vraiment d'arrêt". En réalité, la situation dépend réellement des secteurs. Tout comme en France, les "entreprises de logiciel, de cloud ou encore de cybersécurité continuent à croître, à lever des fonds et à embaucher. Les choses sont juste plus lentes" .
Réza Malekzadeh insiste sur la fracture sociétale engendrée indirectement par le Covid-19. Si les salarié·e·s des grandes entreprises de la tech sont autorisé·e·s à télétravailler, "les cols bleus, c'est-à-dire, le personnel de nettoyage et les gardiens qui s'occupaient des bureaux" sont remerciés. Il y aura des répercussions à moyen et long terme qui sont encore invisibles actuellement.
Au niveau des marchés, aucune surprise à l'horizon. Les entreprises se recentrent sur les investissements essentiels. "Les must-have comme les solutions de cybersécurité ou les infrastructures qui permettent de passer son offre en e-commerce profitent de la situation", celles proposant des produits et des services plus secondaires vont "voir leur activité ralentie d'un ou deux trimestres minimum" , estime Réza Malekzadeh. Le marché américain reste bien vivant mais reclus sur lui-même.
Ce n'est pas le moment de se lancer sur le marché américain
Le président américain a profité du Covid pour fermer définitivement la porte aux entrepreneur·e·s française·s en gelant complètement les visas. "Même avant le confinement, l'administration Trump avait déjà durci les conditions pour limiter l'immigration. C'est davantage une question politique qu'économique" , reconnaît Réza Malekzadeh. Même pour les Français·e·s déjà installé·e·s depuis plusieurs années sur le territoire américain, l'administration américaine faisait traîner le renouvellement des visas. Le Covid-19 et la campagne électorale n'ont rien arrangé. "La Californie ne vote pas Trump et les GAFAM ne représentent pas assez de salariés pour faire infléchir le gouvernement et réussir à pousser l'ouverture des frontières" .
Résultat, les startups françaises vont devoir prendre leur mal en patience ou choisir de se lancer sur ce marché à distance. "Pour recruter des talents, il faut être sur place, c'est impossible pour le moment et si Trump est réélu, la situation risque d'empirer" , estime Réza Malekzadeh. Certains pays comme le Canada l'ont bien compris et n'hésitent pas à réaliser de grandes campagnes de publicité pour attirer les investisseurs et les entrepreneurs étrangers. Le continent nord-américain n'est pas un mauvais choix. "Les marchés sont proches, le fuseau horaire est le même" mais d'autres solutions peuvent être envisagées comme le "marché asiatique, très tourné vers l'e-commerce ou le consumer good".
Même si la situation s'arrange, les entrepreneur·e·s devront se poser la question du coût et des bénéfices réels d'un lancement sur le marché américain. Mais si vous décidez finalement de vous lancer dans quelques mois aux États-Unis, le seul et unique conseil de Réza Malekzadeh est "de choisir un très bon avocat spécialisé dans ce domaine" .