Au milieu des interventions de Patrick de Carolis, Jacques Toubon ou encore du PDG de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, c’est peu dire que l’arrivée sur la terre battue de Diariata N’Diaye dénotait. Et son parcours tout autant.
Avec un slam, la jeune femme est d’abord revenue sur la genèse de son engagement contre les violences sexistes et sexuelles : animatrice d’ateliers d’écriture auprès de jeunes, elle était régulièrement confrontée aux témoignages de victimes, ou de témoins n’ayant pas su comment réagir. Elle est surtout marquée par l’absence de progrès au fil des années sur ces sujets et par la solitude des victimes - dont elle a elle-même fait partie. Ce constat la conduit à s’engager pour cette cause à partir de 2015, avec la création de l’association “Resonantes”.
“J’étais convaincue qu’il y avait d’autres personnes mieux placées que moi”
Pourtant, rien ne prédestinait celle qui se définit comme une “artiste slameuse qui écrit des chansons” à passer ce cap. “J’étais convaincue que ce n’était pas mon rôle de proposer, de faire. J’étais convaincue qu’il y avait d’autres personnes mieux placées que moi, plus expertes, qui devaient s’y atteler. Mais ça n’arrivait pas” explique-t-elle.
Très vite, aux côtés de ses actions de sensibilisation auprès des 15-24 ans, l’association prend un virage “tech”, avec le lancement de l’application App’Elles, qui permet aux victimes d’envoyer des alertes à leurs proches, d’organiser les secours et de trouver des ressources d'aide à proximité. Un terrain sur lequel la jeune femme ne se sentait pas non plus la plus légitime : “Quand je communiquais avec les équipes, je leur disais ‘il faut que l’appli fasse ça’, ‘est-ce qu’elle peut faire ça sans faire ça ?’ J’ai appris depuis” explique-t-elle, avant d’en conclure : “n'hésitez pas à sortir de votre zone de confort : sur un malentendu, vous allez peut-être sauver le monde.”
“Je leur réponds ‘c’est moi les slides’”
Les pouvoirs publics à qui elle présente une première version de l’application, entièrement autofinancée, lui claquent gentiment la porte au nez : l’entrepreneuse décide alors d’écumer les concours à la recherche de bonnes volontés pour l’aider à continuer à développer son projet. “Mon premier jury, c’était n’importe quoi : je n’avais pas réalisé que c’était un vrai concours. Pour moi, un jury, c’était le jury du bac… j’arrive on me demande ma clé USB avec mes slides. Je n’avais ni clé USB, ni slide. Je leur réponds ‘c’est moi les slides’, et j’enchaîne. Ça s’est super bien passé d’ailleurs.”
Sa persévérance lui a permis de fédérer de nombreux partenaires et d’améliorer progressivement son application, désormais utilisée dans 13 pays et traduite en 6 langues, et complétée par un bracelet connecté. Les ministères qui l’avaient envoyé balader en 2015 lui ouvrent maintenant leurs portes... “Ce qui fait la différence, c’est que depuis le début je travaille avec des gens qui ne connaissent pas grand-chose à la question des violences, qui ne sont pas spécialement engagés. Ça permet d’avoir une vision assez différente.”
“J’étais persuadée qu’il fallait faire comme tout le monde”
Une différence qu’elle assume désormais et tient à cultiver. “J’ai appris à me faire confiance. Au départ, quand je me suis lancée, j’étais persuadée qu’il fallait faire comme tout le monde. J’ai croisé plein de personnes qui me disaient que ce n'était pas comme ça qu’on portait un projet, que ce n’était pas possible. En faire une entreprise, ce serait plus simple. Mais j’ai toujours estimé que la lutte contre les violences ne pouvait pas être considérée comme un business.”
En 2019, c’est la consécration : App’Elles est primée au CES, à Las Vegas (“aux côtés de l’hélicoptère du futur” précise-t-elle). Un exploit d’autant plus fort que Diariata N'Diaye ne parle pas anglais… “Là, je me suis dit ‘j’ai bien fait de me faire confiance et d’y aller comme que je suis’. Ne pas être formatée par les écoles de commerce ou par toutes les personnes que tu croises au long de ton parcours, et rester têtue, c’est ce qui permet parfois de créer un outil qui change la donne” en conclut-elle.
Difficile pourtant de se réjouir du succès d’une telle application : pendant le confinement, l’application App’Elles a généré 6 400 alertes et émis 1 200 appels vers les services de secours.