Depuis plusieurs années, le Gouvernement a pour ambition de favoriser l’accès à la commande publique des entreprises innovantes, tout en incitant les acheteurs publics à avoir recours aux solutions développées par ces dernières. Malgré cet objectif maintes fois réaffirmé, l’innovation et les entreprises innovantes peinent encore à trouver leur place dans l’achat public. Le plan de relance du secteur annoncé récemment par le Gouvernement était l’occasion d’entériner cet objectif. En vain.
L’innovation publique : utile et encouragée mais qui tarde à se concrétiser
Dispositifs de télémédecine, impression 3D, outils de télétravail, mobilité douce, urbanisme tactique (pistes cyclables et mobiliers urbains transitoires) sont autant de solutions imaginées et développées par les entreprises innovantes (au sens large), et qui trouvent un débouché Public. La crise du Covid-19 a confirmé l’importance de la place occupée par les entreprises innovantes auprès des acteurs publics et l’intérêt pour ces derniers d’acquérir leurs solutions.
Cependant, les obstacles sont nombreux : peu d’outils contractuels adaptés à l’acquisition de ces solutions, procédures de mise en concurrence trop normées voire fastidieuses et coûteuses pour des entreprises souvent jeunes ou de taille limitée, absence d’information sur les besoins des acheteurs côté entreprises, et sur les solutions existantes, côté Public.
Pour y remédier, la doctrine de l’État a dernièrement évolué d’un soutien jusqu’alors certes nécessaire mais uniquement financier (crédit d’impôt, subvention) vers une logique d’accompagnement économique de ces entreprises en acquérant leurs solutions et en facilitant l’accès à la commande publique.
L’objectif affiché est double : participer au développement de ces entreprises et, dans le même temps, moderniser l’Administration et les services publics par l’acquisition simplifiée de leurs solutions. Dans cette optique, le Gouvernement expérimente, depuis décembre 2018, un dispositif dérogatoire des règles de la commande publique : l’acheteur peut ainsi acquérir une solution innovante, sans publicité ni mise en concurrence, jusqu’à 100 000 euros HT (contre 40 000 euros HT pour une solution "classique").
Lors de la présentation de ce dispositif, le 17 janvier 2019, Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie exprimait la volonté de l’État de faire de la commande publique, " un vrai levier de développement économique " des entreprises innovantes, espérant que " l’ensemble des acteurs de la commande publique se saisissent de cette mesure et profitent d’offres innovantes tout en soutenant la croissance de nos PME ". Sur le papier, ce dispositif est éminemment séduisant puisqu’il permet d’acquérir directement des solutions innovantes. Force est de constater que l’expérimentation n’a pas encore trouvé son public, tant du côté privé que…public.
Les dernières études menées par Bercy révèlent ainsi qu’elle est peu connue et, lorsqu’elle l’est, les acheteurs se montrent frileux à y recourir, l’innovation – par son caractère justement innovant – présentant une part d’inconnu qu’appréhende difficilement l’acheteur dans ses procédures, la sécurité juridique primant.
Côté privé, les entreprises ignorent encore cette possibilité, voire toujours que l’acheteur public est un acheteur potentiel… Il y aurait alors un véritable travail de formation et de pédagogie à faire afin d’accoutumer ces acteurs à l’innovation et l’achat public, pour réunir ces deux mondes qui s’ignorent encore trop.
La sortie de crise : une occasion manquée de rassembler entreprises innovantes et acteurs publics.
La sortie de crise aurait pu être l’occasion pour le Gouvernement de réaffirmer son ambition initiale de concilier ces acteurs. Mais jusqu’alors, les mesures de relance annoncées en faveur des entreprises innovantes ne sont que financières (création d’un fonds " French Tech Souveraineté ", lancement d’une offre de prêts…), comme un retour à la logique purement financière, sans mesure en faveur de l’achat public comme l’appelaient pourtant certains acteurs majeurs de l’écosystème de l’innovation (France Digitale, Syntec Numérique).
Si l’objectif demeure le développement des entreprises innovantes tout en modernisant l’Administration, on peut s’étonner de l’absence de mesures telles que notamment la formation accrue des entreprises à la commande publique, via leurs structures d’accompagnement notamment, ou encore un soutien financier de l’État aux collectivités qui voudraient acquérir des solutions innovantes.
Espérons alors que, dans les semaines à venir, le Gouvernement prendra des mesures de relance en ce sens, car en l’état, le plan de soutien aux entreprises innovantes conjugué à l’intérêt tout relatif rencontré par l’expérimentation, laisse présager un recul dans la volonté de l’État de favoriser l’innovation dans la commande publique.
David Smadja et Laurent Bidault sont avocats au sein du Cabinet DJS Avocats, cabinet spécialisé en droit de l’innovation et en droit public des affaires