2 juin 2020
2 juin 2020
Temps de lecture : 8 minutes
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À quoi ressemblera le management d'après-crise ?

Le confinement a défini de nouvelles priorités pour les salariés, dont les entreprises et les managers vont devoir tenir compte si elles veulent pouvoir continuer d'attirer des talents.
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Depuis plusieurs mois, la France vit une crise sanitaire, économique mais aussi managériale. Confinement oblige, les entreprises ont été désorganisées par les arrêts maladie, l'arrêt de la production et le télétravail forcé. Les salariés ont dû, du jour au lendemain, trouver des solutions pour organiser leur vie professionnelle tandis que leurs managers ont, eux, déployé des trésors d'imagination pour superviser et motiver leurs équipes à distance. De quoi préfigurer ce qui nous attend dans le monde d'après-crise ?

À l'occasion de la fin du déconfinement progressif, qui s'achève ce 2 juin, la Fondation Jean Jaurès publie une étude sur le sujet, intitulée Le management est-il mort ? L’avenir des " RH " à l’ère du télétravail dans laquelle elle esquisse les grandes lignes de ce nouveau management et formule dix recommandations aux managers afin de bien gérer la transition. Un management "collectif, humble, empathique" qui "ne pourra pas se contenter de calquer des méthodes issues d’une époque où l’on ne risquait pas sa vie et celle de ses proches en sortant de chez soi" , souligne le rapport.

(Re)donner du sens

Première urgence pour les managers : redonner du sens au travail de leurs équipes. Le confinement a eu pour effet de braquer les projecteurs sur un certain nombre de professions "en première ligne" qui n'avaient pour seul point commun que de contribuer à maintenir une activité minimale du pays et permettre aux Français de (sur)vivre : les soignant·e·s, bien sûr, mais aussi les caissier·e·s de supermarché et les tenancier·e·s d'épicerie ou encore les éboueurs·euses. Autant de professions qui ont trouvé pendant la crise une revalorisation non pas financière - qui viendra peut-être dans un second temps - mais sémantique, sociétale.

En creux, d'autres professions ont été considérées comme non essentielles à l'activité du pays et, de manière granulaire, des entreprises. Quand certains salariés carburaient pour faire face à la crise, d'autres étaient mis en chômage partiel, parfois au sein d'une même entreprise voire d'une même équipe. Ce sera là le premier défi des managers : écouter et remobiliser ces troupes disparates et équilibrer le traitement entre ceux qui étaient "au front" et ceux qui sont restés en deuxième ligne. "Les gens ont besoin de comprendre, souligne la Fondation Jean Jaurès dans son étude. Comprendre comment l’entreprise ou l’organisation qui les emploie va se remettre en marche. Comprendre ce qui va devoir évoluer et changer dans la structure pour laquelle ils travaillent. Comprendre leur rôle dans ce dispositif. Cela va donc impliquer un nouvel exercice de la communication et de dialogue entre les différentes parties prenantes."

Autre challenge à relever : faire coller l'image de l'entreprise aux nouvelles aspirations des salariés, notamment en matière de sens. Les grands groupes se sont engagés dans cette voix il y a déjà plusieurs années avec les politiques de RSE mais les startups ne pourront plus faire l'impasse. "Le salarié jugera son employeur à l’aune de son comportement pendant la pandémie. La question du sens rejoindra la question de l’image de marque employeur" , prévient la Fondation. Dans les petites structures, ce sera notamment aux fondateurs de garantir cette image de marque, d'adopter les bons réflexes - notamment sanitaires - pour rassurer leurs salariés sur l'attitude de l'entreprise... et en faire, discrètement, un atout pour attirer les talents !

Organiser la solidarité à l'intérieur et à l'extérieur de l'entreprise

La marque employeur se travaille notamment grâce à la solidarité. La Fondation Jean Jaurès note ainsi que "les paradigmes darwiniens habituels des lois du marché et de la libre concurrence, selon lesquels les plus forts survivent, ne sont plus les seuls d’actualité. L’adaptation nécessaire à notre survie nous conduit à plus de solidarité et à mettre en place des systèmes d’entraides économiques. Être solidaire s’avère être une condition sine qua non de survie" . Exit la loi de la jungle ? Celle-ci prend plutôt une nouvelle définition, comme l'explique Cédric Bruguière, auteur de l'étude. "Quand on évoque la loi de la jungle, on pense d'emblée à la raison du plus fort, à une forme de compétition exacerbée. Mais la loi de la jungle, c'est aussi la solidarité. Beaucoup d’espèces s’en sortent parce qu’elles sont solidaires, à l'instar des arbres qui soutiennent un arbre malade via l’entremêlement de leur réseau de racines. Cette solidarité existe en parallèle de la compétition."

La marque employeur se travaille d'abord auprès de son premier cercle. Et c'est notamment en soutenant les acteurs complémentaires ou même concurrents à son entreprise sur sa chaîne de valeur qu'une société bâtira sa légende. "Pour éviter de disparaître dans l’année qui suivra la pandémie de Covid-19, toutes les unités de travail n’ont pas d’autre choix que d’être solidaires : solidaires entre elles, solidaires avec la concurrence, solidaires avec leurs clients, solidaires avec leurs fournisseurs, solidaires avec leur écosystème" , martèle le rapport. Soutenir l'écosystème dans lequel l'entreprise évolue, c'est d'abord garantir sa propre survie. Et c'est d'autant plus crucial pour les startups et les petites entreprises qui ont bien souvent des fondations trop fragiles pour pouvoir seules leur assurer de les maintenir debout. Aux fondateurs de veiller à construire et maintenir des liens solides avec le reste de leur écosystème.

Cette solidarité doit ensuite se décliner à l'intérieur même de l'entreprise, organisée par les managers. En effet, ils vont devoir prêter une attention particulière aux contraintes liées à la maladie (certains salariés ont pu être touchés par le coronavirus et auront besoin de se soigner puis récupérer) ou à la prise en charge de proches (des équipiers obligés de garder leurs enfants alors que les écoles sont fermées ou de veiller sur leurs parents âgés). Les managers vont devoir marcher sur une ligne de crête, organisant le passage de relai entre les salariés touchés et ceux qui sont préservés de ces contraintes... sans toutefois accabler ces derniers de travail. Les nouveaux managers seront "moins dans le contrôle, davantage dans une démarche collaborative" , prévient Cédric Bruguière. C'est aussi en favorisant le dialogue social, avec les salariés directement ou leurs représentants, que les managers parviendront à tenir cet équilibre.

Composer davantage avec l'envie d'indépendance

En parallèle de ces impondérables personnels, les managers vont aussi devoir composer avec des envies apparues pendant le confinement. Ainsi, comment expliquer aux 47 000 Français qui se sont engagés bénévolement pendant la crise, par exemple auprès des hôpitaux, et y ont trouvé du sens qu'ils vont devoir y renoncer une fois que l'activité aura repris à plein ? L'entreprise aura tout intérêt à intégrer dans l'équation cette nouvelle variable, qui dope l'engagement et la motivation des salariés. Mais devra pour cela repenser son organisation et la supervision de ses troupes.

Cela tombe plutôt bien car l'essor du télétravail impose dans tous les cas de revoir les normes de la présence des salariés au bureau. "Le télétravail pourrait pousser, pour les organisations les plus matures en la matière, le passage à une autre étape en développant le travail à distance dans des tiers-lieux (espace de coworking, succursales, locaux disponibles dans d’autres entreprises), proches du domicile du travailleur à distance" , note le rapport de la Fondation Jean Jaurès. Certains GAFAs ont déjà passé le cap du télétravail ad vitam aeternam, les startups tricolores, plutôt en pointe en la matière, pourraient bien elles aussi redéfinir les standards du travail présentiel.

Les managers vont, là aussi, devoir jouer les équilibristes entre la prise en compte de ce besoin d'indépendance et la nécessité de maintenir la cohésion au sein de l'entreprise. D'autant que cette aspiration à l'indépendance pourrait se traduire par un détachement quasi total du salarié vis-à-vis de l'entreprise, en souhaitant se lancer en freelance, par exemple. "Le confinement a incité chacun à revoir son propre rapport au travail et la perspective de travailler " sans patron " à son propre compte risque de faire sourire certains, prophétise la Fondation. Cette recherche sinon d’autarcie du moins d’autonomie risque de se répercuter dans l’approche professionnelle. Non seulement cet essor probable de l’entrepreneuriat sous toutes ces formes crée de nouveaux micro-marchés, mais elle crée aussi l’écosystème qui va avec : entreprises de conseils pour entrepreneurs, consultants en gestion, comptables, etc."

L'État aura son rôle à jouer. "Il faut protéger les personnes qui travaillent indifféremment de leur statut. L'État devra sécuriser les changements du salariat à l’entrepreneuriat et vice versa, en envisageant par exemple de structurer la protection des indépendants pour qu’ils puissent avoir des droits qui se rapprochent de ceux des salariés" , note Cédric Bruguière.

De leur côté, les startups sont de plus en plus nombreuses à encourager l'intrapreneuriat... jusqu'à ce que les projets se concrétisent parfois en-dehors de l'entreprise. C'est aussi en soutenant ces démarches personnelles que les jeunes pousses créent un écosystème qui leur est favorable, tout en bichonnant leur marque employeur.

Les 10 propositions de la Fondation Jean Jaurès pour dessiner le management post-crise

  1. Instaurer un entretien de retour pour chaque salarié
  2. Nourrir le besoin de sens
  3. Envoyer le boss en première ligne
  4. Intégrer le télétravail comme nouvelle modalité d'organisation du travail
  5. Créer une charte des aidants familiaux
  6. Cesser d'ignorer la pénibilité
  7. Alléger le management dans le secteur public
  8. Promouvoir une économie plus solidaire
  9. Renforcer l'accès à la formation
  10. Écrire de nouvelles règles

 

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