30 mai 2020
30 mai 2020
Temps de lecture : 7 minutes
7 min
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Que manque-t-il aux startups françaises de la Spacetech pour décoller ?

A l'ombre des "GAFA" de l'espace, les startups tentent de se faire une place dans la Spacetech. Si la réputation de la France dans l'aérospatial n'est plus à faire, les jeunes pousses déplorent toutefois un manque de financements.
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Article initialement publié en janvier 2020

Saviez-vous que l’airbag doit son existence à la recherche aérospatiale ? Que les systèmes anti-vibrations développés pour protéger les équipements lors des lancements se retrouvent dans les avions, les ponts, les cafetières voire les chaussures ? Pourtant, les applications de la Spacetech sont vastes, à tel point qu'il est parfois difficile d’en définir les contours. 

Toute startup qui opère dans ce milieu n’a pas vocation à construire un lanceur, un satellite ou un bras motorisé qui se retrouvera sur la Lune. Les opportunités et les obstacles rencontrés ne sont donc pas les mêmes pour tous les acteurs de la Spacetech aujourd’hui en France. Il n’empêche que, malgré ses compétences historiques, l’Hexagone peine à faire émerger des Space X, Virgin Galactic, OneWeb, Blue Origin, etc. Que manque-t-il donc aux sociétés françaises de la Spacetech pour décoller ? 

Il existe aujourd'hui des GAFA spatiaux, ce qui est extrêmement motivant au quotidien, car ce n’est plus une ambition abstraite. Mais cela intervient dans un contexte très particulier et compliqué, caractérisé par l'émergence de services pour l'espace depuis l'espace, une verticalisation considérable de la concurrence, une thématique nouvelle sur les constellations d'orbite basse à plusieurs altitudes, et une forte dualité

Julien Cantegreil, PDG et fondateur de Spaceable, auditionné par le Sénat

Le rôle ambivalent des "GAFA" de l'espace

Ce qui crée une situation très particulière pour les jeunes pousses de la Spacetech : “une concurrence mondiale forte, frontale et immédiate”. Julien Cantegreil, après avoir travaillé un peu partout sur la planète, a pris la décision de s’installer en France pour lancer son entreprise de surveillance de l’état des satellites, dans le domaine du Space situational awareness (SSA).

Je m’étais dit qu’on avait une industrie spatiale très forte, il y avait un bon discours sur le financement, et puis l’agence spatiale européenne s’engage sur les bons sujets : l’environnement, la data, l’espace pour l’espace

Julien Cantegreil

“Nos fournisseurs sont européens, et notre technologie intègre le machine learning et l’IA : Paris était une place évidente”, assure le fondateur de Spaceable. Néanmoins, faire grandir une entreprise de la Spacetech en France n’est pas une sinécure.  “Pour une petite structure, mener de tels projets de R&D (dans la Spacetech, NDLR) est très lourd. (...) Nous allons poursuivre nos investissements dans l'innovation, mais avons besoin pour cela d'être aidés. Or les subventions qui nous sont proposées sont bien souvent trop faibles, ce qui nous contraint parfois à refuser des partenariats, faute de pouvoir les financer, et à freiner nos innovations, ce qui est particulièrement frustrant”, regrettait devant le Sénat en octobre dernier Virginie Lafon, directrice générale d’i-Sea. 

Des financements trop faibles

Un constat partagé par le PDG de Spaceable, lancée en 2018. “Nous, on ne sort pas d’école avec un projet sur lequel mettre 200 000 euros. On a besoin de bien plus, à hauteur de tout ce qu’on a investi. Pour porter une entreprise au niveau mondial, ce sont des tours de table à 20 À 50 millions de dollars qu’il nous faut”, estime Julien Cantegreil. Si toutes les startups ne nécessitent pas des fonds importants, du fait de la variété des secteurs dans lesquels elles exercent, la faible ampleur des financements est un écho récurrent dans la Spacetech française. 

“Dès qu’il faut lever 10 millions de dollars, il n’y a plus personne. Le fonds de deeptech de 400 millions d’euros annoncé par Bpifrance est limité à 250 000 euros par startup. Cela ne suffit pas”, déplorait dans Challenges en mars 2019 François Chopard, fondateur de l’accélérateur Starburst. 

Et il ne suffit pas de financer beaucoup, il faut financer sur le long terme. Un rapport publié il y a quelques jours par Space Angels, investisseur emblématique de la Spacetech, souligne que 73% des investissements - au niveau mondial - sont encore concentrés sur l’amorçage et les séries A.

Nous faisons face à un besoin d’innovation et de prise de risques sans précédent, qui nécessite un accroissement très important de l’effort de R&D public

Alain Wagner, directeur des ventes institutionnelles espace d'Airbus Defence & Space

L’investissement public est clairement indispensable, d’autant qu’il se situe à des niveaux extrêmement élevés aux États-Unis et en Chine, ce qui fragilise toute notre filière”, assurait-il. Si même les géants de l’industrie s’en inquiètent, que dire des startups ?

Une lente mais réelle prise de conscience des investisseurs

Pourtant, Bruno Naulais voit les investisseurs moins frileux qu’au début du siècle. Ce manager du réseau ESA Bic, une constellation d’incubateurs spacetech portée par l’agence spatiale européenne, considère que “dans la décennie 2010-2020, les investisseurs se sont aperçus qu’il y avait de belles opportunités dans l’utilisation du spatial”.

L’une des missions du projet ESA Bic est d’ailleurs “d'évangéliser” les investisseurs. Et Bruno Naulais sait de quoi il retourne : s’il a créé ESA Bic au début des années 2000, c’est que lui-même avait échoué quelques années auparavant à créer une startup dans ce qui n’était pas encore la Spacetech. “À mon époque, j’ai eu beaucoup de problème avec les investisseurs”, se souvient-il. “Pour eux, le time to market était bien trop long, c’était réservé aux grands groupes.” Ce qui ne l’empêche pas de reconnaître la faiblesse du financement late stage aujourd’hui. “Il n’y a plus de prise de risque. On a des gens qui s’appellent capital riskers et qui font tout sauf prendre des risques. Cette prise de risque est bien meilleure en Suisse et en Angleterre”, pointe-t-il.

Un fonds créé par le Cnes

Ce n’est pas pour autant qu’il n’existe rien du tout pour soutenir les startups françaises de la Spacetech. Le réseau des incubateurs ESA Bic s’appuie sur des structures d’accompagnement existantes pour fournir un accès privilégié à des investisseurs, des partenariats avec l’industrie, des événements dédiés, etc. 

Autre soutien public, la création en 2018 par le Centre national d’études spatiales (Cnes) d’un fonds d’investissement, CosmiCapital. S’il est censé être abondé à hauteur de 80 à 100 millions d’euros, son portfolio de Startups accompagnées est pour le moment videArianeGroup et le Cnes ont par ailleurs mis en place un accélérateur afin de soutenir la recherche sur les lanceurs civils. Ce programme, nommé ArianeWorks, est hébergé à Paris par l’accélérateur Starburst

La force du modèle américain réside dans le fait que les startups font intégralement partie de l’écosystème. Elles ont des revenus faibles, mais un impact considérable sur l’industrie. Dans un écosystème, il faut des grands groupes, des agences, mais aussi des startups dont le rôle est de travailler sur une prise de risque forte, de faire preuve d’une agilité inédite, de faire baisser les coûts standards et de tenter des marchés nouveaux. Cela suppose des autorisations, une confiance, une rapidité de l’aide

Julien Cantegreil

Les pièces du puzzle se mettent lentement en place et d’ailleurs, le fondateur de Spaceable croit “que le pays peut se transformer”. “Je pense que le marché spatial va se développer de manière tellement puissante que l’inertie française ne pourra pas durer”, confie-t-il. Et les chiffres semblent lui donner raison. Entre 2000 et 2017, plus de 16 milliards d’euros ont été investis dans la Spacetech dans le monde selon un rapport de Bryce Space and Technology, dont plus de la moitié sur les cinq dernières années. Rien qu’en 2019, les entreprises du secteur ont récolté environ 5,3 milliards d’euros d'après Space Angels ; de quoi construire une belle rampe de lancement pour la Spacetech.

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