Republication d'un article du 28 avril 2020
La résilience fait partie de ces mots que nous avons tous entendu parler… sans vraiment savoir ce qui se cache derrière. À l’heure du confinement, de la crise économique et de l’incertitude à venir … même le gouvernement baptise son opération militaire de soutien contre le coronavirus - « opération résilience ». Le point sur ce mot devenu incontournable.
Qu'est-ce que la résilience et à quoi sert-elle en entreprise ?
Pour faire court et officiel (dixit Larousse) ce terme signifie :
" Aptitude d'un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques "
La résilience est ce qui résume les histoires incroyables de personnes - ou entreprises - surmontant des traumatismes. Citons, par exemple, des personnes comme Philippe Croizon ( un amputé des quatre membres ayant relié les cinq continents à la nage et participé au Paris Dakar) ou de Nick Vujicic (conférencier handicapé) ou encore Aaron Fotheringham (inventeur du fauteuil roulant freestyle). Plus près de notre quotidien d’entrepreneur·e, la résilience a transformé des entreprises (comme BN, PSA, Guy-Degrenne) ou de célèbres startups (Deezer, AlloResto, Linkedin, Apple, Microsoft…).
Pourquoi ne pas s’inspirer de leurs méthodes pour traverser la crise actuelle ? C’est cette fameuse résilience qui va vous y aider !
Un avantage est que la résilience répond à 100% au spectre des crises d’entreprises. Elle agit sur l’individuel et le collectif, le professionnel et le personnel, l’anticipation et la réactivité, la mobilisation et la motivation, le managérial et le stratégique, le micro et la macro, le recentrage et la disruptivité…
Un conseil, ne vous attardez pas sur les définitions pour ne pas vous y perdre. On croise vite des définitions en écologie, informatique, mécaniques et des origines grecques - signifiant rebondir – et une popularisation par l’anglais "resiliency". L’important n’est pas le mot, mais ce que l’on en fait !
Résister, ce n’est pas résilier : une image parfois fausse
Souvent la résilience est résumée par " la capacité à traverser des crises ". Le défaut de cette définition est de faire perdre à la résilience son principal intérêt en la privant de sa capacité à faire changer et grandir.
Explication avec " l’élastique et la balle ". L’élastique est formidable ; on peut le malaxer, le jeter par terre…il reste intact. Mieux, si vous essayez de le rompre, il revient toujours à sa position. Maintenant, observez une balle. Elle aussi reste intacte si vous la malaxez, la jetez par terre…La différence est que plus vous mettrez d’énergie à la jeter ; plus elle rebondira haut. Bref - au lieu de traverser une crise et rester comme avant - la balle transforme l’énergie négative pour aller plus haut.
C’est cette notion du rebond (transformer l’énergie négative en énergie positive et de sortir plus grand d’une crise) qui donne tout l’intérêt à la résilience et permet de la définir.
Focus confinement : Boris Cyrulnik confirme que le confinement est dans une phase de résistance et non de résilience. Votre mission, si vous l’acceptez, utiliser le confinement au lieu de le subir (et donc transformer cette résistance en résilience).
Une image souvent idéalisée
Très souvent les résilients sont vus comme des guerrier·e·s, des super-héros ou super héroïnes. Et que dire de ceux à qui – depuis l’enfance- ont entendu " n’abandonne jamais, ne lâche rien ! ". Non seulement c’est faux, mais surtout c’est le meilleur moyen de penser ne pas être capable d’en faire autant ! Clairement, cette image est parfois idéalisée par certains résilients pour se valoriser et -soyons sincère - par nous pour avoir le prétexte de ne pas pouvoir le faire…
Philippe Croizon le résumait :
" Nous sommes tous et toutes résilients. Il faut arrêter de croire que nous sommes des super-héros… moi aussi je doute, j’ai peur, je craque…mais je n’abandonne jamais ! Je me couperais en quatre pour le faire comprendre ! Il faut que les autres ne fassent pas mon erreur en attendant un traumatisme pour se rendre compte de leurs capacités de résilience "
Nous sommes toutes et tous résilients !
Il est important de comprendre que la résilience est versatile et irrégulière. Vous pouvez l’être sur un sujet et pas sur un autre. Vous pouvez surmonter une lourde épreuve mais pas une seconde fois. En outre, la résilience c’est aussi le mouvement. Résilier c’est agir (en se donnant le droit à l’erreur) et non ne rien faire ou se plaindre. Résilier c’est donc aussi passer par toutes les phases de la courbe du deuil Kübler-Ross, donc le refus, la résistance, le déni, la colère. La résilience n’est donc pas toujours " positive ".
Résumons :
- Résister n’est pas résilier
- Résilier c’est transformer l’énergie négative en force
- Résilier c’est aussi avoir le droit de douter, d’avoir peur
- Résilier n’est ni universel, ni permanent, ni constant
- Résilier n’est pas toujours voir le verre à moitié plein
- Résilier c’est aussi prendre du recul et oser trancher pour s’adapter (utile au point de pivot !)
- Ce n’est pas une force de super-héros
- Nous sommes toutes et tous résilients
- Il ne faut pas attendre une crise pour développer cette force
Se préserver de notre cerveau parfois bête comme ses biais
Pourquoi ce n’est pas si facile ? Déjà parce que vous n’avez rien demandé ! Une crise ou un traumatisme sont très souvent subits et injustes et irréversibles (confrères et consœurs du confinent comptabilisant vos clients qui annulent en cascade, vous vous reconnaîtrez…). Mais aussi par notre cher cerveau - qui ressemble plus dans sa logique - à Homer Simson qu’à Superman. Car, notre cerveau nous joue des tours par ses dérapages que sont les biais cognitifs.
Effectivement notre cerveau, si merveilleux soit-il, commet énormément de dérapages. Il est fondamental de connaître ses principaux pièges à éviter :
Le biais d’angle mort : comme le démontre une étude récente, même si nous savons toutes et tous que nous allons mourir, notre cerveau nous protège de ce stress en nous faisant oublier cette certitude. C’est pour cette raison que même si on sait que nous traverserons des crises personnelles, professionnelles, individuelles et collectives, nous n’anticipons pas en ignorant cette évidence.
L'effet rétroviseur : notre cerveau est efficient et donc supprime l’inutile et pour nous préserver en supprimant plus les souvenirs négatifs que positifs. Traduction, le cerveau déforme et idéalise le passé. Ce qui fait que l’on est persuadé que…" C’était mieux avant " (homéostasie pour les intimes).
L'impuissance apprise : vous vous souvenez ? Notre cerveau pour nous protéger dérape souvent. Ici, face à une situation répétitive et envahissante et qui nous donne un sentiment d’être victime, le cerveau est programmé pour abandonner. Ce sont les fameux " Je n’y arriverai jamais ! ", " Ce n’est pas ma faute ! " ou " Je ne peux rien y faire ! ".Méfiez-vous de votre cerveau ; il lui suffit de 5 minutes pour vous faire abandonner… Alors, demandez-vous ce que fait le vôtre dans les situations de confinement ou de fermeture forcée de votre startup ?
A quoi bon être résilient si le monde va si mal ?
S’abriter derrière la perspective d’un monde sombre pour ne pas essayer est encore un piège de sécurité de notre cerveau. C’est, en particulier, le résultat des trois biais cognitifs précédents qui se cumulent ici à deux autres points :
Optimisme VS pessimistes : pas de cours de sémantique ici, mais de faire comprendre qu’il est fondamental de saisir cette différence. Car, comment être résilient sans croire à l’avenir et donc sans une dose d’optimisme ?
L’importance n’est pas d’être optimiste ou pessimiste, l’important est de ne pas être positif ou négatif…. La nuance est que les premiers sont dans le mouvement et l’action alors que les seconds restent inactifs et dans le constat. Bref, les optimistes et pessimistes essayent, tentent, se battent (en étant plus ou moins convaincus de l’issue) alors que les positifs et négatifs rêvent ou râlent en disant ce qu’il faudrait faire…sans jamais rien faire.
Le monde va mal : encore ici des freins qui vous empêchent d’avancer et de bouger votre startup… Pour les combattre, pratiquez un peu d’auto-défense intellectuelle en vous méfiant du biais de sélectivité (qui ne vous fait voir que les informations allant dans votre sens) , du biais de disponibilité (qui fait que si vous voyez douze fois une information votre cerveau croit qu’elle s’est produite douze fois) ou encore du biais de négativité (qui nous fait plus retenir les informations négatives que positives).
Pensez-y: pour aller plus loin, ( surtout si vous êtes confinés ) lisez des livres comme celui du sociologue Jacques Lecomte " le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez ! " et découvrez les biais par ce site.
Pour résumer :
- Si vous n’éduquez pas votre cerveau, ; méfiez-vous-en !
- Soyez optimistes ou pessimistes en agissant mais fuyez les positifs et négatifs immobiles !
- N’oubliez pas que d’être optimiste c’est comme des essuie-glaces, ça n’empêche pas la pluie de tomber mais ça aide à avancer !
Comment faire pour booster sa résilience ?
Comme la motivation, la résilience ne se décrète pas. Oubliez tout de suite les " motive toi ! " et " Bouge toi ! ". De plus, il existe plusieurs formes de résilience, chaque histoire, chaque situation est différente et surtout…vous êtes unique. Pour agir :
- Il n’existe pas de recette universelle
- Eduquez votre cerveau à l’autodéfense
- Prenez conscience que vous - et votre entreprise - allez passer par les étapes du deuil et vouloir y échapper serait une erreur
Alors, même si votre chemin de résilience sera unique avec toutes ses singularités et erreurs, il est utile de savoir qu’il passera par 4 grandes étapes. A vous de découvrir dans quelles étapes vous et votre entreprise êtes.
Faire face
Ce premier pas est - comme pour se jeter à l’eau - le plus complexe et indispensable :
- Osez faire face à votre propre déni
- Acceptez que la situation soit irréversible
- Ne cherchez pas de coupables mais des solutions
- Autorisez-vous l’erreur et l’échec, mais jamais, de ne pas essayer
- Faites alliance avec vous-même et appuyez-vous sur les six leviers
Avoir (retrouver) confiance en soi
N’oubliez pas que la crise est justement l’occasion de grandir et donc de vous révéler. C’est donc l’opportunité pour trouver ou retrouver cette confiance.
- Prenez (reprenez) le contrôle interne de vous et de votre entreprise
- Identifiez et soyez focalisés sur l’objectif majeur
- Osez savourer les victoires intermédiaires par la technique des petits pas
Donner du sens
Autre étape complexe, donner du sens à une situation imposée, injuste. Appuyez-vous en particulier sur les quatre leviers de résilience " réinterprétez l’histoire " en fin d’article.
Affrontez le déni extérieur
Le négativisme, et défaitisme du monde extérieur sont des freins majeurs qu’il faut savoir combattre. La résilience c’est savoir (comme au judo) utiliser cette force négative extérieure contre l’adversaire.
- N’oubliez pas que l’ego (pas l’orgueil…) se construit sur l’alter
- Utilisez les oppositions, les tabous pour renforcer vos convictions
- Sachez que vous osez faire ce que vos détracteurs n’osent pas faire
Quels sont ces 6 leviers pour aider ma résilience ?
Encore une fois, chaque parcours de résilience est différent, chaque personne et chaque situation également. Il existe donc une multitude de leviers, dont voici les six communs à l’immense majorité des résiliences de crise. L’important est d’anticiper en sachant quels sont ses leviers propres pour ne s’ajouter ce travail au cœur de la crise. Bien entendu, il est autant utopique que contre-productif de vouloir tous les travailler. L’idée est de savoir, chez vous, vos proches, vos collaborateurs, dans votre entreprise, sur quels leviers vous pourrez-vous appuyer.
- Avoir des tuteurs de résilience
Il est fondamental d’avoir au moins une personne sur qui vous appuyer en particulier chez vos associés, votre entourage proche. Notez que ces tuteurs n’ont souvent pas conscience de leur rôle (et vous non plus) et que la forme manque souvent au fond.
De vous faire entendre ce que vous devez entendre et non ce que vous voulez entendre n’est pas toujours agréable…
Pensez-y : prenez le temps de faire une matrice-socio dynamique de votre entourage professionnel et personnel car ce levier est certainement le plus commun à toutes les situations de résilience.
- Pratiquer l’auto-défense intellectuelle :
Pour se battre, il faut croire en une issue favorable. Pour rester convaincu de cela, vous devez protéger votre intellect d’une multitude de raisons d’abandonner. Citons, par exemple , vos propres dérapages vus précédemment sans oublier ceux des autres. Mais surtout, voici le pire de tous ces biais : La dissonance cognitive. Il s’agit du fait que votre cerveau - lorsqu’il est face à des preuves lui démontrant que ce qu’il pense depuis des années est faux - préfère modifier ces preuves et la réalité que de remettre en cause ces croyances… Ce bais très puissant explique à la fois la réticence au changement et le fait que des personnes - à qui vous apportiez des preuves de leur erreur – nient et vous soutiennent que vous leur avez dit le contraire.
Pensez-y : luttez contre ce biais en étant votre meilleur ennemi. Oser remettre en cause vos jugements, certitudes, avis doit être votre hygiène de travail et celle de vos collaborateurs.
- Nettoyez les filtres :
Il est primordial de savoir se préserver et ayant un filtre entre vous et les relations toxiques ! Même si ce n’est pas facile, fuyez les relations ne vous tirant pas vers le haut -même ponctuelles - et rompez celles vous freinant ou tirant vers le bas.
Tout comme vous nettoyez les filtres de votre aspirateur pour qu’il fonctionne toujours correctement ; ayez une routine - pour vous et votre entreprise – pour quotidiennement purger ce qui vous freine.
Pensez-y : dans cet esprit, vous pouvez par exemple vous sensibiliser à l’image du " pigeon jouant aux échecs " pour nettoyer le filtre vous protégeant de la bêtise humaine.
- De l’auto-discipline
Les résilients s’imposent une forte discipline et intensité de travail et ce n’est pas un hasard. C’est cet état d’esprit qui les protègent par effet filtre tout en entrainant leur esprit à ne pas abandonner. Ainsi, ils s’imposent fréquemment une forte rigueur dans des disciplines intellectuelles ou sportives.
Pensez-y : si ce n’est pas déjà fait, pratiquez intensivement, un sport, l’apprentissage d’une langue, dessinez, peignez, apprenez un instrument de musique et instaurez cet esprit dans votre startup.
- Ecrivez la grande histoire
Par expérience, que vous deviez affrontez une concurrence déloyale, un incendie destructeur, un virus dans le serveur ou même un cancer ou la perte d’un enfant, la seule solution – à terme - est de réinterpréter cette histoire en essayant de lui donner un sens. Résilier ainsi passe souvent par trois étapes :
1/ Ego : utilisez la crise pour renforcer votre ego (et non l’orgueil !). Il faut oser se rendre compte que de survivre à une épreuve vous rend déjà plus fort que la majorité de vos concurrents et que votre entourage.
2/ Altruisme et anticipation : c’est prendre conscience et ensuite vouloir que votre expérience – quelle que soit l’issue - serve aux autres afin de leur éviter de la vivre ou simplement de mieux l’affronter
3/ La grande histoire : c’est parler et vous appuyer sur votre traumatisme. Ainsi, par exemple la personne qui a perdu son entreprise - suite à une maladie grave - va raconter son histoire pour que d’autres entrepreneurs anticipent cette possibilité et s’en préservent.
- Voyez le beau, l’humour
Comme des survivants en camp de concentration ont survécu en regardant un coin de ciel à travers les barreaux, de voir le beau dans le quotidien est une force inestimable.
Encore une fois, vous ne devez absolument pas cocher toutes les cases de ces 6 leviers pour résilier dans une crise. Sachez juste que si vous avez une âme d’artiste ou un bon sens de l’humour ; vous avez une arme résiliente.
Vous savez quelle est l’erreur numéro 1 lors des crises et traumatismes ? Croire que ça ne nous arrivera pas ! Par définition, une crise est imprévisible, elle dépasse l’entendement et ne répond à aucune règle.
Jean Christophe Meslin est pompier managérial (consultant formateur en gestion de crise spécialiste du management). Il a modélisé le management altruiste (management de gestion de crise s’appuyant sur la résilience et l’altruisme).