La fermeture d’un grand nombre d’entreprises mi-mars n’a clairement pas été une décision facile à prendre d’un point de vue économique. Malgré les engagements pris par le gouvernement pour tenter de limiter les pertes, de nombreux secteurs commencent à souffrir sérieusement et les caisses des entreprises commencent à se vider alors que le déconfinement n’est pas encore envisagé. Dans ce contexte, tout est bon pour protéger sa trésorerie, y compris geler le paiement de ses créances.
Les demandes de recouvrements bondissent !
En France, les dates d’échéance de facture sont globalement à 30 ou 60 jours. “On accorde des paiements assez longs, ce qui engendre beaucoup de crédits interentreprises et donc beaucoup de trésorerie, dehors, en attente de paiement” , explique Alexandre Bardin, co-fondateur de Rubypayeur, une entreprise qui automatise la prise en charge du recouvrement.
En temps normal, la Banque de France estime à 700 milliards d’euros le montant des crédits interentreprises en cours et à 13 milliards d’euros les factures en souffrance. Autant de milliards qui mettent en péril la santé économique des petites entreprises. Ce problème systémique risque d’être renforcé par la crise.
“En général, nos clients attendaient 60 jours pour lancer un dossier de recouvrement. Le délai a été réduit par six, aujourd’hui, les choses sont lancées sous dix jours” . Ce qui ne fait que contracter l’économie et renforcer les tensions. Depuis le début du confinement, “le nombre de dossiers qui nous sont confiés a été multiplié par quatre” , indique Alexandre Bardin. Angoissés par l’incertitude de la crise, les entrepreneur·e·s cherchent à renforcer leur trésorerie pour éviter la banqueroute. “Ils ont peur que leurs clients soient eux-mêmes en défaillance”.
Une chute des paiements
Mais le chiffre le plus inquiétant est sans doute celui de l’écroulement des paiements. “Nous sommes tombés à 30% de paiements en phase amiable contre 80% en temps normal” , souligne Alexandre Bardin, inquiet. Si certains secteurs sont clairement impactés comme le tourisme et la restauration, l’entrepreneur déplore surtout l’utilisation qui est faite de la crise. “Nous recevons toujours le même message, laconique, indiquant qu’en raison de la crise, ils ne peuvent pas payer” . Pas d’explication, pas de justification, aucune proposition d’échéancier, le temps semble figé pour ces débiteurs-ci.
Ce sentiment d’impunité que semble ressentir ces entrepreneurs, est sans doute lié à la fermeture des tribunaux. “Ils savent qu’il faudra sans doute un long moment avant qu’on les oblige à payer” , estime Alexandre Bardin. Et à ce jeu, il n’y a pas d’exception, tous les types de sociétés étant concernés. Du côté des grands groupes, “le problème que l’on rencontre est leur manque d’organisation. La facture doit passer par plusieurs étapes et pendant le confinement, personne n’est disponible pour la valider” , explique Alexandre Bardin.
Le gouvernement ouvre une cellule de crise
Le gouvernement, qui met la main au portefeuille depuis le début du confinement, est bien conscient de ce qui se joue derrière cette crise des factures en souffrance. Le 24 mars dernier, le ministre de l’Économie, Bruno le Maire, prenait la parole pour appeler les dirigeants à la “solidarité” et prévenir que “toutes les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en termes de délais de paiement n’auraient pas accès” aux garanties proposées par l’État concernant les prêts bancaires. De toute évidence, le discours n’a pas eu l’écho souhaité.
Le 31 mars dernier, Bruno Le Maire et François Villeroy de Galhau, ont organisé un comité de crise sur le sujet. Tenu par vidéoconférence, ils réunissaient les organisations professionnelles patronales ainsi que les chambres de commerce, le médiateur des entreprises à Bercy, Pierre Pelouzet et Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit à la Banque de France. La solution trouvée pour rappeler à l’ordre les réfractaires était très simple : les contacter pour leur faire retrouver la raison.
Si Alexandre Bardin salue l’initiative, il ne cache pas son scepticisme. “Ils ne vont pas contacter les 3,9 millions d’entreprises que compte le territoire” lance t-il. Le tissu économique français comptabilise environ 98 à 99% de PME dont la trésorerie est souvent bien plus fragile que celles des grands groupes. La croissance des impayés les met clairement en péril et pourrait créer un effet domino qui pourrait bien “faire chanceler des entreprises qui paraissaient plus stables et plus solides”.