Les transporteurs font partie des métiers de première nécessité et ne sont donc pas concernés par le confinement. De quoi leur permettre de passer entre les gouttes de la crise ? Sûrement pas. Avec l'arrêt de nombreuses lignes de production et, au contraire, l'accroissement de la demande de produits essentiels, les acteurs de la logistique connaissent autant un ascenseur émotionnel qu'un casse-tête technique. "Il y a en effet une contraction globale de la demande de transport, témoigne Arthur Barillas, cofondateur d'Ovrsea. Mais il existe de grandes disparités entre les différentes industries : le médical, la pharmacie et parapharmacie sont en forte hausse et le luxe et l'alimentaire marchent à plein régime quand le retail et la mode sont en berne."
Néanmoins, le secteur a su apprendre de ses erreurs pour gérer au mieux la crise actuelle. Après la crise de 2008, le secteur avait pris conscience de ses faiblesses, face à une dépression économique d'un nouveau genre. "Dans les temps difficiles, la recherche d’économies de coût lors de la mise à disposition des produits au consommateur devient un impératif concurrentiel d’autant plus crucial que toutes les entreprises d’un secteur vont chercher à poursuivre le même objectif de rentabilité, rappelait en 2009 Gilles Paché, membre du Centre de recherche sur le transport et la logistique, dans l'article Quels impacts de a crise sur la logistique, publié dans la Revue française de gestion. La crise actuelle, certes plus brutale quant à ses effets, n’échappe pas à la règle, mais elle s’inscrit dans un environnement radicalement nouveau : celui d’une plus forte interdépendance entre entreprises au sein des chaînes logistiques (ou supply chains)."
À l'époque, cette interdépendance met à mal les acteurs du secteur, confrontés à un brutal ralentissement de la demande alors que l'offre ne s'était pas encore ajustée, accroissant les stocks et dopant les coûts de logistique alors que tous les acteurs économiques tentaient par tous les moyens de les réduire. Cette fois-ci, les entreprises ont très vite anticipé l'arrêt des ventes. "Les clients importateurs annulent le transport de marchandises et le réapprovisionnement pour éviter les sur-stocks" , assure le fondateur d'Ovrsea.
De quoi donner des sueurs froides aux acteurs de la logistique qui voient certains camions se vider alors que d'autres chargeurs cherchent de l'espace disponible. En 2009, Gilles Paché l'avait assuré : "la réactivité s’impose comme une contrainte de premier ordre, et donne encore plus d’importance à la conception et à la production modulaire des produits. En d’autres termes, les supply chains les plus " réactives " s’appuieront sur un agencement de modules standard associés les uns aux autres, à la demande et au dernier moment, pour arriver à une grande diversité de produits finis".
S'adapter à la modification des capacités de transport
Or c'est exactement ce que proposent un certain nombre de plateformes logistiques, mettant en relation chargeurs de divers secteurs et transporteurs cherchant à rentabiliser leurs trajets. En variant les produits transportés tout en optimisant au maximum les liaisons - qu'elles soient routières, ferroviaires, maritimes ou aériennes - et en s'adaptant en temps réel aux exigences des uns et aux déboires des autres, les plateformes technologiques permettent aux transporteurs d'amortir les effets négatifs liés à la crise.
"La crise actuelle, qui introduit une significative et durable instabilité, constituera sans doute un point de non-retour vers des supply chains de plus en plus " éphémères ", cassant ainsi la logique planificatrice encore très présente en management logistique" , prophétisait l'expert en logistique dans son article. Si la planification reste possible en situation non dégradée, la réactivité des plateformes technologiques comme celles d'Ovrsea, Fretlink ou Everoad apportent au secteur la modularité dont il a tant besoin en période de crise.
"Les mesures d’hygiène et de sécurité ont un impact sur la performance opérationnelle quotidienne des opérateurs qui assurent les cargaisons. Les compagnies aériennes ont aussi dû s'adapter car une grande partie du fret se fait habituellement sur des avions de transport de passagers. La capacité disponible a donc énormément baissé et les chargeurs se livrent une vraie bataille pour obtenir des espaces sur les avions cargo. Le transport routier, lui, connaît des ralentissements aux frontières. En définitive, la capacité de chargement change plusieurs fois par jour. La crise nous pousse à être plus agiles et plus réactifs" , assure Arthur Barillas.
Même combat du côté de Fretlink, qui voit les tarifs de certains transporteurs varier de façon inhabituelle. "D'habitude, les tarifs sont garantis parce que le transporteur peut trouver un chargement pour bénéficier d'un trajet retour favorable" , explique Pierre Roux, chargé de communication pour la startup. Mais avec le coup de frein sur les productions et les importations, les trajets retour à plein ne sont plus garantis... Ce qui impose aux chargeurs de revoir leurs plans pour bénéficier des meilleurs tarifs lorsqu'ils se présentent.
Repenser le dialogue avec les clients
La crise repense aussi les codes de communication au sein du secteur. Là encore, la crise de 2008 avait planté les germes d'une reconfiguration à grande échelle des relations entre ses acteurs. "Si l’exigence de réactivité se confirme avec la multiplication de supply chains à " géométrie variable ", encore faut-il qu’un dialogue continu s’instaure entre les différents départements et services de chaque membre de la supply chain pour accroître la visibilité de la demande à servir, que la crise rendra de plus en plus volatile" , anticipait Gilles Paché.
Dont acte des plateformes logistiques. "De nombreux clients ont changé leur mode de fonctionnement, avec une grande partie de leurs effectifs en télétravail ou en chômage partiel, certaines entreprises sont complètement fermées, raconte Arthur Barillas. Il faut une certaine minutie dans la gestion des opérations parce que les interlocuteurs traditionnels ne sont pas forcément disponibles. Cela veut dire impliquer davantage de gens dans les boucles, donner l'accès à nos services à davantage de décisionnaires pour faire circuler l’information." Pour optimiser la gestion de l'information, Ovrsea comme Fretlink ont mis en place des services dédiés au recueil des capacités des opérateurs de transport. Et ainsi apporter à leurs clients chargeurs une information en temps réel sur les espaces disponibles.
Par rapport à la crise de 2008, les acteurs du secteur des transports ont donc la chance d'avoir vu des outils numériques et des plateformes technologiques se développer. Celles-ci leur permettent de gagner en réactivité et d'optimiser au mieux leurs décisions, même en période de crise.