La pandémie actuelle vient rappeler au monde deux principes fondamentaux : l’imprédictibilité de l’avenir et la non-linéarité de l’Histoire. Les entreprises sont les premières à pâtir de la brusque arrivée de " cygnes noirs " . Celles qui ont intégré de nouvelles façons de travailler, comme le télétravail, auront un avantage compétitif certain sur l’immense majorité des structures, dont le cadre ne permet pas aux salarié·e·s de s’adapter au contexte d’incertitude.
Le premier artisan de la - nécessaire - culture d’adaptation à mettre en œuvre est le manager. Or, trop souvent, sa feuille de route est mal définie. Pour aider ses équipes à faire face à l’imprévisibilité de leur marché et en tirer parti, il doit lui-même incarner le changement : changement d’état d’esprit, de règles et de mission. Qu’en est-il concrètement dans les entreprises aujourd’hui ? Comment repenser la fonction managériale pour diffuser dans les équipes une culture de l’innovation permanente ?
Innover ou périr
Innover ou périr, telle était la ligne directrice d’Antoine Lecoultre, qui inventa au XIXème siècle la montre sans clé. Ce mot d’ordre est celui de toutes les organisations aujourd’hui. En effet, le monde a changé. La bit economy, ou l’accès gratuit et instantané à une multitude d’informations, a brisé les barrières à l’entrée de tous les marchés : désormais, il n’est plus de too big to fail nulle part.
Ce contexte implique une perte de repères à tous les niveaux. Les collaborateurs et collaboratrices doivent se former quasi quotidiennement à des métiers qui ne cessent d’évoluer. Alors que l’intelligence artificielle gagne tous les jours plus de terrain, ils sont contraints d’inventer de nouvelles interactions avec la machine afin de mieux comprendre leur environnement et s’y adapter… le tout sans avoir été acculturés à leurs nouvelles attributions.
Cette transformation en profondeur n’est possible que si les managers impulsent le mouvement. Or, ces derniers, éjectés de leur zone de confort, peinent à trouver leurs marques. Ils sont en effet pris en sandwich entre les objectifs toujours plus ambitieux imposés par leur hiérarchie – et ce en dépit de résultats en baisse – et les exigences non moins élevées de leurs collaborateurs et collaboratrices, qui attendent de leur chef qu’il soit à la fois structurant et inspirant. À ces élites issues des grandes écoles, on a appris à piloter une activité en fonction de sacro-saints KPIs , pas à conduire le changement. Héritiers d’une vision " je commande, tu exécutes " , ils n’ont plus les compétences pour faire grandir leurs équipes.
Le changement ne peut se passer de management
De fait, dictature du reporting et perte de sens ont engendré bon nombre de burnouts. Pour autant, ne cédons pas aux sirènes de l’entreprise " horizontale " , qui a fait la preuve de son inefficacité. Zappos, chantre de l’holocatratie, est revenu de ce système séduisant médiatiquement mais difficile à mettre en œuvre. Oui, donner de l’autonomie aux individus stimule leur créativité, mais encore faut-il être préparé à prendre et assumer des responsabilités… dispositions qui sont loin d’être innées et qui nécessitent de se former. Pour cette raison, il serait aussi vain de sonner l’hallali du management que de réhabiliter les vieux modèles pyramidaux.
En somme, la clé d’une transformation réussie réside dans la capacité du manager à se mettre en mouvement. Ce dernier doit se définir comme un capitaine d’équipe, capable de développer les compétences de ses troupes et de créer une dynamique d’intelligence collective à partir des forces de chacun. Inversant la pyramide traditionnelle, il se met au service de ses collaborateurs au lieu de se faire servir. À ce titre, il est, de loin, le maillon central du changement en entreprise.
(Se) former et transmettre
À l’heure de la transformation permanente, le leader est bien celui ou celle qui développe les compétences de son équipe pour aller vers une vision commune. Un grand groupe comme Michelin, par exemple, a pu réinventer son organisation en donnant aux individus les moyens d’exprimer leur créativité et en misant sur l’apprentissage continu. La marque a pu aller au-delà du pneu en respectant sa raison d’être de toujours : offrir une meilleur mobilité.
Pour accompagner cette dynamique, le manager a besoin d’être formé : aux évolutions de son métier, aux nouvelles méthodes et aux nouveaux outils, comme ceux qui permettent aujourd’hui à des millions de salariés de télétravailler. C’est en effet au manager d’être moteur dans la recomposition de l’organisation. Pour garantir la continuité de l’activité, il doit se poser comme garant des valeurs de l’entreprise même et surtout à distance.
Cela suppose :
- De faire preuve de pédagogie pour expliquer les orientations de l’entreprise, leur donner un sens, et aider chaque individu à trouver sa place. Le manager peut, pour cela, éventuellement suivre une formation en communication.
- D’apprendre à manager par objectif plutôt que par contrôle, afin de garder intacte la motivation des équipes.
- De recréer des rituels de convivialité (quitte à se faire aider par les RH) et de transmission (culture, valeurs, expérience), car le manager est aussi un passeur de flambeaux surtout en période de confinement ! Le rôle du manager est plus que jamais de créer une culture d’entreprise… à distance.
Ce faisant, le manager pourra donner à ses collaborateurs et collaboratrices les moyens de progresser sur tous les plans, en toutes circonstances. Il répondra aux attentes d’une génération particulièrement exigeante, qui veut trouver du sens à ce qu’elle fait et créer de la valeur collectivement. Moderniser l’entreprise, c’est d’abord investir sur l’humain, à tous les niveaux !
Jean-Christophe Conticello est fondateur de Wemanity