Le décret d'application de la loi Pacte n’a que quelques semaines et déjà ça se bouscule au portillon du greffe du tribunal de commerce. CAMIF, Maif, Les Échos, Alenvi, le groupe Rocher, Citizen capital… se sont mis en chemin pour devenir " entreprise à mission " . Ce nouveau dispositif de la loi Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises permet de repenser la place des entreprises dans la société.
" Cette loi comporte trois mesures fondamentales, explique Coralie Gaudoux, co-fondatrice de l’incubateur makesense qui organisait le 4 mars une conférence - Entreprises à mission, pourquoi et comment éviter le purpose washing ? - Le niveau 1 rend obligatoire la RSE pour toutes les entreprises. Le second permet aux sociétés d’inscrire une raison d’être dans leurs statuts pour préciser leur projet collectif de long terme. Enfin, le dernier et troisième niveau offre aux sociétés les plus volontaires la possibilité de devenir entreprises à mission pour résoudre un problème sociétal ou environnemental identifié. "
On est loin de la définition de l'entreprise du Code civil (article 1832) selon lequel " la société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre en commun des biens ou leur industrie, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter." " Être entreprise à mission, ce n’est toutefois pas un label, précise Laurence Méhaignerie, présidente et co-fondatrice de Citizen Capital et membre fondateur de la communauté des entreprises à mission, c’est un dispositif légal qui s’inscrit dans la continuité de la RSE et qui permet d’afficher publiquement ses ambitions. L’entreprise à mission est libre mais regardée. "
Sous les feux de la rampe
En réalité, dans les textes, la liberté est un peu plus conditionnelle : les entreprises à mission ont clairement plusieurs obligations. Elles doivent d’abord formuler une raison d’être qui a forcément un impact social, sociétal ou environnemental positif. Il leur faut ensuite définir des engagements, des objectifs chiffrés, identifier les parties prenantes à embarquer et les moyens à mettre en œuvre. Le tout doit être consigné dans les documents officiels. Enfin, pour éviter le purpose washing qui permettrait à n’importe quelle entreprise d’afficher n’importe quoi et de ne pas s’y tenir, les engagements et les objectifs chiffrés seront doublement évalués. En interne par un " comité de mission " et en externe par un organisme tiers indépendant.
" Cette loi nous a permis de régulariser notre situation, explique Yann-Etienne Le Gall, directeur général adjoint du Groupe Rocher qui se félicite d’être le premier groupe international à avoir rendu sa copie. Même si dans les faits cela fait 60 ans qu’on est une entreprise à mission, c’est une nouvelle étape pour nous. Désormais, nous avons des éléments gravés dans le marbre et ils sont opposables. " Ainsi, dans le cadre de sa raison d’être (reconnecter ses communautés à la nature), le groupe Rocher a développé un plan d’action sur dix ans avec, entre autres, la création d’une "nature academy" pour que les 18 000 salarié·e·s puissent être sensibilisée·e·s au pouvoir de la nature et à la plantation de 100 millions d’arbres. " Nous allons aussi mettre en place un baromètre avec Harris BVA sur la reconnexion des gens avec la nature, rappelle Yann-Etienne Le Gall. On va suivre les chiffres sur les 10 ans qui viennent. Cela nous permettra de mesurer notre action et nous donnera encore plus d’éléments tangibles pour agir. "
Chez Alenvi, également entreprise à mission, c’est un autre type d’indicateur qui a été développé. La société d’accompagnement des personnes âgées à domicile a créé un nouvel outil de pilotage interne, l’Indice d’Alignement Humain (désormais en open source). Basé sur le ressenti des auxiliaires de vie, il permet de mesurer à quel point les cinq catégories de besoins théorisées par Maslow sont satisfaits par le cadre de travail évalué. " Nous avons développé cet outil dans le cadre de notre mission et avons obtenu un score de 79/100, explique Clément Saint-Olive co-fondateur d’Alenvi. Pour nous améliorer nous avons pris l’engagement de limiter notre rentabilité et d’utiliser les gains pour revaloriser les salaires. Cette année, notre marge brute diminue. "
Baisser les profits pour travailler mieux, le nouveau credo des entreprises à mission ? La formule ne choque pas l’investisseuse Laurence Méhaignerie.
" Aujourd’hui, l’entreprise ne peut plus uniquement partager ses bénéfices. Elle apporte autre chose. Aussi perdre deux points de rentabilité à court terme n’est pas forcément un risque pour les investisseurs. Les entreprises à mission créent de la valeur sociétale et financière sur le long terme et permettent de retenir les talents, ce qui est un gros challenge aujourd’hui. L’entreprise à mission Openclassrooms vient de lever 50 millions d’euros auprès de fonds américains. C’est bien la preuve qu’une entreprise engagée peut attirer des investisseurs ! "
De l’information à la mobilisation
Faire connaître ces nouveaux acteurs économiques engagés et pousser les citoyen·ne·s à passer l’action peut aussi être la mission d’une entreprise à mission… de presse. " Il y a quelques mois, notre groupe s’est posé la question suivante : devenons-nous passer du rôle d’observateur de la société à celui d’acteur de la transformation ? " , explique Corinne Mrejen, directrice générale du Groupe les Échos/Le Parisien. La réponse est oui. Après plusieurs mois de consultation, le groupe révélait en janvier dernier sa nouvelle raison d’être : " Le Groupe Les Echos – Le Parisien s’engage à favoriser l’émergence d’une nouvelle société responsable, en informant, en mobilisant et en accompagnant chaque jour les citoyens et les entreprises. " Sur le terrain, cela s’est traduit par la création des Échos Planète, la multiplication significative d’articles sur des initiatives à impact lus par 25 millions de Français·es… mais aussi par la mise en place de différents programmes pour diminuer l’empreinte carbone du groupe. "Dans un an, on souhaite devenir un siège zéro déchet " , se félicite Corinne Mrejen.
Si le statut d’entreprise à mission permet officiellement d’afficher sa contribution sociétale, ce dernier ne fait pas forcément la vertu. À chaque entreprise d’avancer concrètement sur son nouveau chemin plus droit et plus vertueux. " On s’est mis dans la seringue, témoigne Yann-Etienne Le Gall. On ne peut plus reculer. " " Ça nous a mis en tension, complète Clément Saint-Olive. Cela nous permet d’affirmer haut et fort qu’entreprendre ce n’est pas que faire du profit, c’est aussi s’inscrire dans la société. "
" Chez makesense, poursuit Coralie Gaudoux, nous avons la conviction que l’entreprise à mission répond aujourd’hui au nécessaire alignement entre les objectifs de profit et ceux d’impact environnemental et social. À l’image des 30 000 jeunes qui ont signé le Manifeste pour un réveil écologique, les salarié·e·s réclament plus de sens au travail et 80% des client·e·s estiment que les entreprises doivent prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux dans leurs activités. Cela devient une question de survie et de différenciation. Mais n’oublions pas que derrière une raison d’être impactante et crédible, il faut aussi et surtout être capable d’engager. "
Comment faire pour ne pas tomber dans le bullshit purpose ? Les conseils de makesense.
1/ La définition de la raison d’être doit se faire via une approche collective qui implique les salariés. Pour cela il existe des méthodes d’intelligence collective et de co-construction qui ont fait leur preuve.
2/ Elle doit se traduire de manière concrète dans la gouvernance, la stratégie, le mode de management, les indicateurs de résultats etc. Une raison d’être qui n’est pas mise en œuvre opérationnellement restera et sera perçue comme une opération marketing.