“Restez protégés. 2 masques sanitaires offerts pour chaque commande” . Voilà la campagne lancée par Polette, fabricant de lunettes lifestyle, en pleine épidémie de coronavirus. Accompagnée d’un visuel représentant un homme portant une paire de lunette et un masque, la formule n’a pas convaincu, bien au contraire. Les critiques et les messages assassins ont rapidement envahi la boite mail de l'entreprise, poussant le fondateur de l’entreprise, Pierre Wizman, à prendre la parole. Le 17 mars 2020, il explique alors qu’il s’agissait “d’un cadeau altruiste de la part d’un pays (l’idée émanait de ses équipes chinoises) qui sortait tout juste de la crise” rappelant ensuite que la marque avait toujours “mis en avant des principes de solidarité et de bienveillance” . Piqué au vif par les commentaires négatifs reçus quant aux destinataires de ces masques (les consommateurs et consommatrices de sa marque), il ajoute avoir “commencé à mobiliser ses ressources pour en collecter et en envoyer gratuitement au personnel médical”.
S’agissait-il d’une communication maladroite ou d’une tentative particulièrement malvenue de profiter d’une crise sanitaire où les masques sont devenus denrée rare et, pour le moins, vitale ? Interrogé sur le sujet, l’entrepreneur “n’émet aucun regret” et entérine les mêmes propos ajoutant même “qu’eux ont décidé d’agir, ce qui n’est pas le cas de tout le monde” . Loin d’être un procès d’intention, cet exemple montre qu’en cas de crise plus que jamais, savoir bien communiquer est essentiel.
Erreur fatale
Confiné·e·s dans nos logements, les réseaux sociaux nous apparaissent plus que jamais comme un refuge pour s’informer, communiquer et échanger ensemble. Mais lorsque l'on est entrepreneur·e, quel ton adopter ? Quel message faire passer dans ce genre de situation inconnue et inhabituelle ? “Le week-end dernier, c’était l’affolement général chez mes clients, ils ne savaient pas comment communiquer sur le sujet” , reconnaît Charlotte Cochaud, fondatrice de l’agence de conseil en communication Different.
“Dans ce genre de situation, l'une des plus mauvaises postures est de ne pas en prendre, de faire comme si de rien n’était, de lancer ses collections comme si on était un marque non connectée à ses audiences” , explique t-elle. Même si elles n'oeuvrent pas dans le secteur médical ou la gestion de crise, toutes les marques ont “aujourd’hui leur rôle à jouer car elles possèdent des communautés qu’elles peuvent influencer” et qui attendent donc d'elles qu’elles prennent position. Bien sûr, il ne s'agit pas ici d'être "pour" ou "contre", ce qui n'aurait aucun sens, mais de savoir quel message véhiculer, est-ce du soutien au personnel médical, des encouragements, un discours orienté sur le bien-être etc.
À condition là aussi de le faire en bonne intelligence.
“Il faut le dire sans détour, on ne profite pas d’une crise sanitaire mondiale. On s’adapte. On la combat. On est solidaire.” , explique Florian Silnicki, fondateur de LaFrenchCom, agence de communication spécialisée dans la gestion de crise. En donnant l’impression d’instrumentaliser la crise, les entreprises détruisent “durablement leur capital image et leur valorisation” . Même son de cloche du côté de Charlotte Cochaud qui met en exergue deux sortes de manipulation.
“Certaines entreprises poussent à la consommation en argumentant qu’elles ont besoin de vendre pour survivre. D’autres profitent de la situation pour booster la vente de produits particulièrement recherchés" .
La communication est une question d’équilibre et “Polette a très mal placé son curseur concernant les personnes à qui donner ses masques” , estime l’entrepreneure.
Deux autres erreurs sont également à proscrire en cas de crise sanitaire : les discours alarmistes qui mettent de l’huile sur le feu et la surcommunication. Pour Florian Silnicki, il ne faut pas se laisser emporter par l’urgence, et surtout veiller à la qualité des informations relayées. Celles-ci doivent être vérifiées car la confiance entre une marque et son audience est primordiale.
Quelles sont les informations à apporter ?
En cas de crise, il n’existe pas de communication “idéale” car le but n’est pas d’attirer de nouveaux abonné·e·s ou de réussir à vendre un produit. Il s’agit, en premier lieu, de rester connecté·e à sa clientèle pour comprendre ce qu’elle recherche et ce dont elle a besoin. “Une bonne communication est celle qui saura efficacement convaincre vos cibles, vos collaborateurs, vos clients comme vos investisseurs” , estime Florian Silnicki. Elle nécessite de trouver un juste équilibre entre la “diffusion rapide d’informations pertinentes et l’absence d'exacerbation du stress” . Charlotte Cochaud appelle, de son côté, à la prise de recul et à une communication réfléchie et limitée.
“Less is more” est plus vrai que jamais.
Les réseaux sociaux constituent une plateforme idéale pour partager les bonnes pratiques, notamment celles appelant au confinement ou aux règles d’hygiène à respecter. Pour les structures d'accompagnement de startups, il peut s’agir de relayer les dispositions économiques ou financières prises par le gouvernement pour aider les entreprises à survivre à cette crise.
Charlotte Cochaud insiste également sur le rôle de divertissement et d’inspiration que jouent les marques. “L’entreprise United Colors of Benetton a partagé des visuels très colorés qui donnent une image d’espoir pour l’après-crise” . Les entreprises doivent aussi véhiculer des messages d’espoir et d’entraide, sans arrière-pensée évidemment. Un véritable élan de solidarité envers les parents qui doivent s'occuper de leurs enfants, ou des soignants, est apparu sur la toile depuis le début du confinement. Plusieurs entreprises ont rendu leurs services gratuits, d’autres ont choisi de reverser une partie de leur chiffre d’affaires à des hôpitaux, par exemple. Les plateformes KissKissBankBank et Ulule ont annulé leurs commissions sur toutes les campagnes destinées à combattre l'épidémie et ont lancé les Paniers Solidaires pour fournir des produits d’hygiène et des denrées alimentaires au personnel soignant et aux populations les plus fragiles.
Bien communiquer est donc un subtil équilibre qui se joue autant entre les mots et les visuels qu'entre l'intention du message. Ce dernier doit s’adapter et être pensé pour chaque cible et chaque canal de communication. En période de confinement, les réseaux sociaux comme les mails sont souvent les seuls liens qui unissent une marque et sa communauté. Toute erreur peut être fatale.