Depuis le 19e siècle, le costume habille les hommes en milieu professionnel, dans les professions dites " intellectuelles " . Il est irrémédiablement associé à la réussite voire au pouvoir. Mais voilà : le costume se meurt. Selon une étude de consommation Kantar en 2019, le marché du costume dégringole en France. Ainsi, on constate sur ce marché une chute de près de 60% sur la dernière décennie : 1,4 million de costumes ont été vendus entre 2018 et 2019, contre 3 millions en 2011. Une tendance qui est la conséquence de nouvelles inspirations, modes de vie et de consommation des millenials. Décryptage.
La faute à Larry, Steve, Mark et Jeff ?
Ou quand " GAFA " devient " LSMJ " . Le développement des grandes firmes de la Tech à la fin des années 90-début 2000 amènent une nouvelle génération de dirigeants charismatiques. Si le futur se crée à la Silicon Valley, la mode en entreprise aussi. Bien loin du traditionnel costume, la réussite est désormais associée au col roulé de Steve Jobs, au combo hoodie-jean-baskets de Mark Zuckerberg, au duo t-shirt-veste de Larry Page et Jeff Bezos.
Peu à peu, les jeunes cadres de 20 à40 ans prennent le pli de la décontraction. D’abord avec la disparition de la cravate puis la mode du "mix and match" , (en portant une veste différente du pantalon), et enfin le costume, relégué à un jour sur deux, a finalement disparu. Même certains bastions radicaux, la banque et la finance par exemple, tombent la veste : dans une note de mars 2019 adressée à ses 36 000 salariés, Goldman Sachs assouplit son dress code, conséquence du " caractère changeant des lieux de travail dans leur ensemble, allant vers un environnement plus informel " . Place au " business casual " , plus décontracté !
La frontière poreuse entre vie privée et vie professionnelle
Surtout à l’ère de la " startup nation " où les nouveaux espaces de travail (sans parler du télétravail…), savant mélange de travail et de loisirs, tendent également à assouplir le dress code professionnel. Et dans ces lieux de " brainstorming " , l’habit ne fait plus le moine : dirigeants ou employés s’habillent " casual " . La mode devient alors un moyen de casser les cloisons hiérarchiques. Porter un costume pour incarner une figure d’autorité, marquer une distance avec son équipe, est un code qui disparaît de plus en plus. Les managers veulent se rapprocher de leurs équipes dans une démarche de hiérarchie horizontale.
Même dans les secteurs plus résistants aux changements comme la banque, le conseiller qui reçoit des clients ne va garder que certains éléments du costume, comme la veste ou le pantalon de costume avec la chemise, et ajouter un pull col v, ou un imprimé plus fun et discret sur la chemise pour lui donner un côté plus accessible.
L’habit n’est plus un élément d’autorité mais un élément de relationnel et de confiance.
De plus, les horaires de travail plus flexibles rendent la frontière travail/vie privée plus floue. Selon une enquête Domplus en 2018, 56 % des 18-34 ans jugent qu’il est difficile de séparer vie professionnelle et vie privée. Ils sont 54% à effectuer des tâches personnelles pendant leur travail et à l’inverse, 45% à effectuer des tâches professionnelles pendant leurs jours de repos. Ce besoin de flexibilité se ressent dans la mode au travail.
La prochaine décennie : affirmer son identité au travail grâce à la mode
Et il existe un effet boule de neige ! Si la tendance est venue des millenials, qui ne veulent pas reprendre les codes de leurs pères, le rapport s’inverse : certains collaborateurs quinqagénaires, qui ont porté des costumes toute leur vie professionnelle, voyant leurs jeunes collègues en jean-baskets, veulent s’y mettre aussi. Cette tendance concerne tout le monde, des baby-boomers aux Z qui n’envisagent leur avenir professionnel qu’en Converse !
J'ai tendance à penser qu'une entreprise qui affiche un dress code très spécifique va rebuter certains jeunes se lançant sur le marché de l'emploi, qui hésiteront à poser leur candidature. Car, à travers les vêtements, c’est aussi sa personnalité qu’on exprime, une manière d’affirmer son identité et revendiquer son besoin de bien-être. Selon une étude Opinéa pour Box31 en 2019, pour 88% des hommes " se sentir bien habillés " est important. Ils sont 76% à consulter régulièrement des sites de mode, des blogs ou des magazines à la recherche de " style " (premier critère pour 44%).
Ceci étant, la révolution prend du temps… Par exemple, l’apport de couleurs vives dans le vestiaire masculin étant assez récent, beaucoup d’hommes ne savent pas comment les combiner. Et nombreux sont ceux qui cherchent de l’aide ! Des cadres qui ont toujours été en costume, ou d’anciens militaires complètement perdus… Les codes ont donc changé et tout le monde ne maîtrise pas les nouvelles règles. Un peu de pédagogie est tout simplement nécessaire. À ce titre, le numérique joue (encore) un rôle important ! Il est d’abord une source d’inspiration à travers tous les influenceurs et Instagram notamment. Il est aussi un formidable outil pour libérer les consommateurs du fardeau que peut représenter le shopping avec de nouveaux services comme le personal shopper en ligne qui facilite le parcours d’achat et concourt à cette tendance de l’hyper-personnalisation de la mode.
Caroline Vilstrup est team lead de l’équipe de Personal Shopper d’Outfittery France