L'objet ressemble à une soucoupe volante de 70cm de diamètre, dont l'axe se met à tourner quand on l'expose au soleil: la startup Saurea, dans l'Yonne, commercialise un moteur photovoltaïque sans électronique conçu pour fonctionner 20 ans sans maintenance, adapté notamment au pompage d'eau en site isolé. "C'est une nouvelle famille de moteurs électriques", fait valoir Gilles Coty, le directeur technique, ajoutant que la particularité de ces appareils est de n'avoir "pas du tout d'électronique", et pas non plus de batterie, balai ou aimant.
Ces composants, que l'on retrouve dans les moteurs électriques classiques, "supportent mal les conditions climatiques sévères" et sont à l'origine de pannes, poursuit Gilles Coty. Leur absence dans le moteur inventé par Saurea explique sa fiabilité, selon lui. À la place, pour alimenter successivement les phases du moteur et le faire tourner, un simple disque évidé par endroits tourne avec l'axe au dessus de l'appareil, couvrant et découvrant alternativement les cellules photovoltaïques. L'idée première est de "motoriser des pompes manuelles existantes" pour la consommation humaine ou l'irrigation, en particulier dans des "sites isolés énergétiquement", explique Isabelle Gallet-Coty, présidente de l'entreprise.
"On met une technologie du 21e siècle avec une technologie du 19e siècle"
Dans l'atelier, situé dans une pépinière d'entreprises d'Auxerre, un moteur est d'ailleurs en partance pour la Zambie, où il sera installé sur un démonstrateur de pompe dans un centre construit par une communauté religieuse. Quatre appareils ont aussi été vendus à un fabricant de pompes d'Avignon, qui travaille à adapter le moteur à ses propres pompes manuelles développées "pour l'Afrique, où certaines zones n'ont pas de courant". "On met une technologie du 21e siècle avec une technologie du 19e siècle, simple et facilement réparable", décrit le dirigeant des pompes Grillot Gérard Bouteiller. Sous le soleil d'Avignon, de juin à septembre, le moteur tourne déjà dix à douze heures par jour.
"C'est une trouvaille. Ce moteur solaire se suffit à lui-même. Il n'a besoin que du soleil pour se mettre en route", poursuit Gérard Bouteiller. "L'idée est géniale, même s'il faudra trouver le moyen d'augmenter la puissance", estime-t-il. Depuis l'été 2019, Saurea a vendu une dizaine de moteurs. Le prix catalogue est de 3.639 euros hors taxes pour le kit complet - le moteur et trois panneaux solaires qui apportent un complément de puissance et permettent de développer une force comparable à celle d'un humain.
Ces ventes sont une première victoire pour la startup, après 12 ans de recherches menées notamment avec deux chercheurs, Lionel Vido de l'université de Cergy-Pontoise et Loïc Quéval, de Centrale Supelec. Mais c'est aussi une histoire de famille: l'inventeur du moteur est Alain Coty, un ingénieur électrotechnicien âgé aujourd'hui 80 ans. Gilles et Isabelle, son fils et sa belle-fille, ingénieurs en mécanique aéronautique et physique appliquée, ont lancé Saurea, où leur fille Louise est chargée de la communication.
Bientôt un troisième moteur
Après une campagne de financement de quelque 300 000 euros en 2018, l'entreprise prépare une deuxième levée de fonds d'au moins un million d'euros et bénéficie d'un programme d'accompagnement de la pépinière de startup parisienne Station F, fondée par Xavier Niel. La structure s'est aussi vu décerner en 2019 le prix du public EDF Pulse, qui récompense les "startups françaises et européennes qui inventent le monde de demain". Saurea, qui lance la fabrication d'une nouvelle série pour honorer ses commandes, emploie cinq personnes mais songe désormais à s'agrandir, en renforçant dans un premier temps son pôle commercial. Son catalogue, qui propose deux moteurs de 130 et 250 watts de puissance, doit aussi s'enrichir d'un troisième moteur d'une cinquantaine de watts, qui pourrait notamment alimenter des applications simples de ventilation.
La startup de l'Yonne voudrait, à terme, baisser ses prix pour toucher les particuliers et réfléchit en parallèle à d'autres utilisations pour cibler les collectivités, les professionnels de l'hôtellerie ou encore du tourisme. Avec un argument: la "réduction de la facture énergétique en zone urbaine", selon Isabelle Gallet-Coty, qui imagine un moteur photovoltaïque venant alimenter pendant la journée fontaines ou brumisateurs dans l'espace public.
Maddyness avec AFP