Republication du 7 mars 2019
Je la vois de plus en plus souvent, à mesure que j’évolue, que j’apprends, que je multiplie les rencontres et les confrontations. Ce petit insecte invisible, chimérique. Il bourdonne avec vaillance au dessus des têtes de ceux qui incarnent l’un des maux de la décennie : les " enculeurs " de mouches.
" Bzzzzzz "
Éloigne-toi, tentatrice. Je n’en n’ai pas envie. Arrête de t’approcher. Ne me force pas à te supplier. Je ne veux pas de ton virus. Peut-être n’aurai-je pas le choix. Mais tant qu’il me reste un peu de retenue, va remuer tes ailes ailleurs.
J’ai la chance relative d’être à la fois primo entrepreneur, jeune, et peu familier avec certains rouages du monde des startups. Je suis aussi relativement à l’écoute de ce que l’on peut me dire. Je pars du principe simple que je ne sais rien, ce qui est bien mieux. Construire une embarcation pour traverser l’Atlantique en se basant sur les plans d’une bibliothèque Billy peut s’avérer risqué. Mais mon honnêteté vis-à-vis de ma condition fait naître chez certains une vocation d’éducateurs spécialisés et d’assistantes sociales à l’entrepreneuriat.
" Bzzz… "
" Bzzzzzz ? "
" Bzzaïe ! "
Il l’a eu. Et juste devant moi ! Ça me retourne l’estomac. J’ai fait la bêtise de lui parler de certaines problématiques que nous essayons de résoudre. J’aurais mieux fait de reprendre un verre de ce vin aussi raffiné que le contenant en plastique dans lequel il a été versé. Et c’est parti pour une série de clichés et autres grandes phrases paternalistes à faire rougir de honte Frédéric Le Play. Je suis prêt à tout entendre, à être chahuté si cela s’avère constructif, même si cela peut m’apporter ne serait-ce qu’un tout petit peu.
Mais la condescendance et le scepticisme en lieu et place des premiers échanges me gonfle royalement.
Oui, tout jeune entrepreneur a beaucoup à apprendre. Oui, ils sont en demande. Non, ils n’ont pas besoin d’être en permanence sous le feu d’interrogations infondées. Tout comme le jeune entrepreneur doit garder conscience de ce qu’il est et du chemin qu’il lui reste à parcourir, celui qui a le recul nécessaire pour donner son avis doit aussi prendre conscience de ce qu’il fait. Plus encore, il doit être en accord avec ce rôle qu’il s’est attribué ou que l’on a bien voulu lui donner, sachant qu’il n’est pas neutre et régi par certaines règles. Une sorte de code éthique dans la passation de connaissance et l’aide à la construction d’autrui. Et c’est justement ce manuel de bonne conduite tacite qui doit régir toute approche d’accompagnement.
Soyons clairs tout de suite : entreprendre sans être accompagné est aussi avisé que de faire de l’apiculture en sous-vêtements.
Et si votre projet a un minimum de potentiel, cette comparaison prend tout son sens : vous serez le pot de miel. Et le miel attire aussi les mouches. Coïncidence ? Je ne pense pas. Alors n’ouvrez pas le couvercle devant n’importe qui, fuyez-les, courez de toutes vos forces lorsque vous croisez un de ces entomophiles qui se reproduisent à une vitesse phénoménale. Ils sont aussi le fruit de cet effet de mode, et veulent en tirer bénéfice, qu’importe la manière.
Vade retro gourou
L’engouement autour des startups a aussi fait émerger sont lots de personnes toxiques, qui s’attribuent des expertises et titres aussi pompeux que les dénominations de postes de certains profils LinkedIn, je parle bien entendu des " faiseurs de pluies ", " visionnaires inspirants ", " disrupteurs " et j’en passe. Et le plus beau dans tout ça, c’est qu’une extrême majorité de ces individus n’ont absolument aucune expérience entrepreneuriale. " Bonjour, j’aimerais vous faire profiter de mon expertise pointue dans la fabrication de cabanes dans les arbres pour vous aider à mettre en place votre projet de clonage de cellules souches ".
Tout le monde cherche sa place dans la " Startup Nation ", et au diable la mesure ou la légitimité.
Rien à foutre de l’objectivité et ne dîtes surtout pas que vous n’avez pas d’avis, quelque soit le sujet. Dans ce petit monde ou tout n’est qu’apparences, nier en bloc et faire preuve d’une mauvaise foi à rendre jaloux les politiques les plus douteux, affirmer sans réfléchir ni connaître ou faire des prédictions à la sauce Irma 3.0 est devenu la norme. Mais après tout, Donald Trump dirige l’une des plus grandes puissances de ce monde, alors pourquoi pas ? Tout devient possible, et ce n’est pas du tout une bonne chose.
Accompagner des entrepreneurs, c’est un vrai travail. Si vous prenez le temps de faire un tri rapide, vous verrez rapidement que les élus sont peu, très peu nombreux.
Beaucoup d’entrepreneurs, moi le premier, ont tendance à avoir, un moment donné, oublié leur valeur. Oui, première nouvelle, vous avez de la valeur, peu importe votre expérience ou vos expertises. La bonne idée n’est pas l’unique propriété des " intellectuels ", de ceux qui ont de hauts niveaux de responsabilité ou fait les meilleures écoles. La bonne idée peut naître en chacun, et la vôtre en vaut des milliers d’autres, qui ont été couronnées de succès. Ne l’oubliez pas, notamment parce que les " enculeurs " de mouches voudront vous le faire oublier.
" Bzzzzzz "
Il l’a en vue. La braguette coincée entre son pouce et son index. Il attend le bon moment pour prendre sa proie par surprise. Vous commencez à parler, forcément enjoué de partager votre vision et avide de retours constructifs. D’un mouvement rapide et fluide, la braguette est baissée, le bouton défait d’un claquement de doigts, et là tout y passe. Avec pour seul lubrifiant une subjectivité qu’il ne prend même pas la peine de masquer. Une fois le flot de " choses à redire " passé, il s’allumera une cigarette et passera au débriefing de la performance. Et comme tout jeune entrepreneur, vous serez impressionné, et trouverez peut-être de la pertinence dans ce qu’il vient se de passer. Ne vous laissez pas berner. C’est du parasitisme intellectuel dans sa plus grande pureté, un kidnapping de ce que votre orgueil peut vous apporter de bon. Ne fléchissez pas, ni ne développez un syndrome de Stockholm.
Certains pensent vous briser pour mieux vous reconstruire, mais ils n’en n’ont pas le talent. Et après le bonheur sadique du démontage, la reconstruction les ennuiera. Ils se surestiment, alors ne vous sous-estimez pas. Prenez le temps d’écouter, prenez le temps d’apprendre, mais n’acceptez jamais de laisser de côté votre discernement. Personne ne sera jamais meilleur que vous pour donner naissance à ce qui est en vous. Alors, à ceux qui chipotent et qui mettent le doigt sur tous les petits détails simplement pour avoir l’opportunité de se donner des faux airs d’experts, dîtes-leur d’aller se resservir une coupe et de continuer à se pavaner pour entretenir leur prestance artificielle. Ou plus simplement hochez la tête sans prêter attention au flot de conneries qu’ils osent appeler " conseils ".
Être bien accompagné ça se décide
Un bon accompagnateur ne s’y prendra jamais comme ça. Un bon mentor non plus. Les rares qui compteront pour vous seront ceux qui prendront le temps de vous écouter, qui sauront voir l’humain, qui auront envie d’entendre la vision derrière tout ça, les motivations sincères en filigrane. Ces personnes prendront naturellement le rôle qui leur incombe, celui d’être la matérialisation du recul, impossible à avoir lorsque l’on a la tête dans le guidon. Ils ne s’attarderont pas sur les détails pour se donner un semblant de crédibilité. Ils n’ont pas besoin de vous prouver quelque chose.
Ils ont la prestance et la pertinence pour que vous sachiez au fond de vous, qu’importe leurs parcours, ils ont les clés pour vous aider à prendre le chemin qui vous correspond, à l’inverse des amateurs de petits insectes ailés qui voudront vous manipuler et vous faire prendre la route qu’ils souhaitent vous voir prendre.
Ceux qui compteront vous aideront à faire des choix pour vous. Les autres vous guideront dans la direction qui leur sied, histoire de gonfler leur égo en se disant " j’avais raison " en cas de réussite ou totalement se dédouaner et passer à autre chose sans sourciller si tout se casse la figure. Comme les parasites, ils restent sur les individus en bonne santé jusqu’à ce qu’ils dépérissent et qu’il faille se mettre en quête d’un nouvel hôte.
J’en ai personnellement croisé beaucoup, j’en ai cru certains, avant ou pendant ma vie d’entrepreneur, heureusement sans conséquences, mais j’ai surtout eu la chance incroyable de rencontrer des personnes qui ont une valeur inestimable au bon déroulement de l’aventure professionnelle qui fait mon quotidien. Et ils n’ont rien eu à me prouver. Il apparaît comme une évidence qu’ils ne cherchent pas à gonfler leur égo en faisant des promesses qu’ils seront incapables de tenir. Ils ne le font pas pour pouvoir s’en vanter dans les trop nombreux afterworks qui fleurissent comme les pissenlits au mois de juillet. Ils le font parce qu’ils ont la maturité intellectuelle nécessaire pour savoir qu’ils peuvent transmettre dans de bonnes conditions, non pas par intérêt mais parce qu’ils en ont en quelque sorte besoin et qu’ils prennent plaisir à voir les autres s’épanouir, même si cela implique des moments difficiles, si ce n’est de détresse.
Parce que oui, la détresse fait partie intégrante de l’entrepreneuriat. Émotionnelle, financière, amoureuse, elle peut prendre plusieurs formes, mais trouve sa source bien souvent dans votre projet. C’est le jeu, c’est à prendre, impossible à laisser. Mais vous saurez bien vous entourer, trouver ceux qui sauront continuer à vous sourire quand vous aurez besoin de vous appuyer sur leur épaule, avoir une oreille attentive et vous aider à vous en sortir par vos propres moyens lorsque vous serez dos au mur. Faîtes-vous confiance et partez du principe basique que ceux qui cherchent à vous impressionner sont ceux à éviter à tout prix.
Ceux qui sont à nos côtés n’ont pas besoin d’étaler la confiture du gros pot qui fait leur expérience.
Ils l’ouvrent toutefois bien volontiers à ceux qui demandent à y goûter pour de bonnes raisons. Et sans eux, malgré les galères inhérentes à tout projet, nous n’en serions pas là. Ils se reconnaîtront, ceux que j’appelle pour les bonnes comme pour les mauvaises nouvelles. Et ils ne sont pas tous entrepreneurs, cela n’est pas une condition sine qua non. Mais tous ont cette proximité, cette puissance dans la justesse de leurs mots, de leurs conseils. Ils font tout simplement preuve de bon sens.
Et n’oubliez pas que si vous entreprenez pour de bonnes raisons, si vos convictions sont les bonnes et que votre choix est murement réfléchi, vous y arriverez. Et une nouvelle valeur va prendre part à l’équation. Vous n’êtes pas l’unique demandeur dans l’affaire de l’accompagnement. Un accompagnateur n’a de sens que s’il y a matière à accompagner. Comme toute chaîne de valeur, tous les éléments qui y prennent part sont indispensables. Vous l’êtes tout autant. Il n’y a aucune relation de supériorité. Ceux qui vous accompagnent ont besoin de vous ! Sans vous, ils n’existent tout simplement pas. Alors ayez vos conditions, ayez votre avis. Vous n’êtes pas un à la disposition de qui que ce soit et êtes l’unique maître de votre vie.
Laissez-vous guider, mais ne soyez jamais dirigé. Écoutez avec attention mais n’appliquez pas systématiquement si cela n’entre pas dans votre vision.
Nous sommes tous dotés d’une richesse inestimable, unique, la résultante directe de ce que nous avons eu la chance ou le malheur de vivre. C’est votre filon de matière première, et la future parure de votre projet.
Vous commencez à entendre un bourdonnement affolé lorsqu’une personne commence à vous parler ? Tournez les talons. La route est encore assez longue pour rencontrer ceux qui vous veulent du bien. Ils ne sont peut-être qu’à quelques pas.
Charles-Henri Gougerot-Duvoisin est le CEO d'Obvy, retrouvez cet article sur son compte Linkedin.