C’était le thème de la conférence Human, tenue le 30 janvier lors de la Maddy Keynote 2020. Sur scène se répondaient Emmanuelle Duez, fondatrice de La Compagnie by Boson, Rafi Haladjian, cofondateur de Moralscore, et Adrien Couret, Directeur Général du groupe Macif.
L’information comme vecteur de changement
" La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en compte les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ". C’est avec cette phrase que la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise), adoptée le 22 mai 2019, complète l’article 1883 du code civil relatif à l’objet d’une entreprise. Si le cadre légal autour des entreprises évolue, c’est d’abord selon Adrien Couret l’effet d’une mutation plus générale de la société d’aujourd’hui : " on assiste à une porosité de plus en plus grande entre l’Homme, le citoyen le consommateur et le collaborateur. Aujourd’hui, plus personne ne peut échapper aux désastres liés à l'environnement. " Cette information a donc de fait un impact sur le citoyen et cela rejaillit sur le consommateur et sur le collaborateur. La responsabilité sociale des entreprises est donc à la fois un enjeu externe (les clients et parties prenantes) et interne (les collaborateurs et leur engagement, le recrutement…). La quantité toujours plus importante d’information disponible est également un accélérateur de conscience et un générateur d’actions. Rafi Haladjian revient sur cette évolution : " Longtemps, les entreprises ont été assez opaques sur leur activité et leur engagement. Puis on a commencé à les regarder de plus près. Le consommateur plus informé est aussi plus méfiant ". À en croire Emmanuelle Duez, c’est justement le consommateur qui détient les clés de l’évolution de l’entreprise : " On vit une révolution anthropologique. Les hommes et les femmes sont en pleine mutation. Choisir de consommer, c’est quelque part décider du monde de demain. Cela a notamment pour effet que les objets économiques et organisationnels mutent aussi pour s’adapter pragmatiquement à leurs marchés ".
De la parole à l’acte
Ces mutations semblent donc indiquer une prise de conscience croissante des entreprises quant au large sujet de leur engagement sociétal. Néanmoins, comme les individus, celles-ci présentent parfois une forme d’ambivalence, volontaire ou non, entre leurs déclarations et leurs actions. Pas forcément un problème selon Emmanuelle Duez : " Le fait qu’on n’ait plus le droit de taire le sujet environnemental, par exemple, est déjà un signe de progrès. Avec le temps, cela va forcer le passage de l’incantation à l’action. " Rafi Haladjian apporte une nuance : " Il faut tout de même être vigilant sur un point : si les messages sont trop creux, ils vont finir par s’user. " En attendant que le passage à l’acte soit véritablement démocratisé, il est donc nécessaire de distinguer les acteurs qui s’engagent des acteurs qui disent s’engager. Et dans un monde où la communication est toujours plus importante, l’information de plus en plus abondante, ce n’est pas toujours évident.
Les acteurs comme Moralscore interviennent sur ce décryptage, en proposant aux consommateurs une analyse des données publiques et des discours des entreprises sur ces sujets, et ainsi de " synthétiser le brouhaha informationnel " selon Rafi Haladjian. En outre, les acteurs qui agissent le plus ne sont pas forcément ceux qui en parlent le mieux.
S’engager socialement nécessite des audits, de l’analyse, du recul, donc du temps. Un processus que décrit bien Adrien Couret : " Réinterroger sa chaîne de valeur est le premier pas vers une approche plus responsable. À la Macif, par exemple, cela nous a permis d’enrichir notre réflexion sur l’approche de nos métiers et les attentes de nos sociétaires. C’est grâce à cette connaissance et cette identification des besoins que nous avons pu renforcer nos actions de fond à la fois engagées et cohérente. Et nous faisons cela depuis notre création, il y a 60 ans !
Engagement sociétal et modèle capitalistique, un mariage impossible ?
Or questionner sa chaîne de valeur peut aussi aboutir à des arbitrages difficiles. Emmanuelle Duez revient sur ce point : " Les acteurs qui s’engagent vraiment renoncent peu à peu à certains éléments pour aller vers un modèle plus vertueux. " Choisir, c’est renoncer. C’est là qu’interviennent souvent les conflits d’intérêts entre les différentes parties prenantes de l’entreprise. Les intérêts des clients, des partenaires, des actionnaires, ou l’intérêt général ne sont pas les mêmes. La priorisation surévaluée d’un intérêt au dépend des autres est parfois un frein à l’engagement d’une entreprise. D’où l’intérêt, d’après Emmanuelle Duez, d’un changement profond de la gouvernance des entreprises : " Le modèle capitaliste dans lequel nous vivons pousse les entreprises à agir à court terme, à suivre la mode. Il faut changer ce point de vue, et essayer de viser un alignement des intérêts respectifs des parties prenantes. " Et Adrien Couret de compléter : " Derrière l’alignement des intérêts, il doit y avoir une logique commerciale, qui rejaillit sur l’ensemble de l’entreprise. Dans un modèle mutualiste, comme à la Macif, les intérêts des clients et de l’entreprise sont forcément mieux alignés car n’ayant pas d’actionnaire à rémunérer, nous n’avons pas à verser de dividende . Les intérêts des parties prenantes sont donc de fait les mêmes, puisque nos clients sont aussi nos actionnaires ".
L’engagement sociétal des entreprises est-il alors une notion d’avenir ? Oui, à en croire nos trois intervenants. Adrien Couret insiste sur le rôle des générations à venir : " Il faut laisser le temps aux nouvelles générations, plus attentives à ces sujets, de bien comprendre les enjeux, de se les approprier, et de les intégrer à leur parcours professionnel. Les choses commencent à bouger, et je suis persuadé que le changement va être de plus en plus rapide. " Rafi Haladjian précise quant à lui que le rôle du consommateur est déterminant : " In fine, c’est le consommateur, par ses choix, qui indique la marche à suivre aux entreprises ". Une condition sine qua none aussi pour Emmanuelle Duez, qui conclut : " La prochaine étape est la force de changement à l’échelle individuelle. La notion de temps nécessaire est primordiale mais elle est impossible à connaître aujourd’hui. Il faut se donner des objectifs élevés. L’idéal est un cap à suivre, pas une destination où l’on s’arrête "
Maddyness, partenaire média de la Macif