"Nous saluons la décision (des pays) d'avancer dans cette entreprise ardue tout en reconnaissant (...) que des divergences importantes sur l'action à mener doivent être surmontées dans les mois à venir", a affirmé vendredi le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, cité dans un communiqué.
Au terme d'une réunion de deux jours à Paris, les 137 Etats qui participent aux discussions ont diffusé une déclaration commune dans laquelle ils s'engagent à nouveau à rechercher un accord d'ici à la fin de l'année, conformément au calendrier fixé par les pays du G20 à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques.
La déclaration finale a toutefois clairement reconnu que de "très nombreux pays" avaient fait part de leur "préoccupation" face aux exigences posées début décembre par les Etats-Unis. Ces conditions, transmises à M. Gurria dans une lettre datée du 3 décembre
par le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, consistent à intégrer dans l'accord la notion floue de "safe harbour", une expression anglaise qui pourrait se traduire par "port de retrait".
Même si les Etats-Unis nient qu'il s'agisse de donner l'option aux géants américains Google, Amazon, Facebook et Apple de choisir ou pas de se soumettre à l'accord mondial, nombre de pays craignent que le résultat soit le même. Parmi eux la France, qui avait déjà exprimé son refus, et d'autres pays-clés comme la Grande Bretagne, l'Allemagne, l'Inde et de nombreux Etats africains, a indiqué à l'AFP une source proche des discussions.
"Il n'y a pas de consensus (...) sur ce concept de safe harbour", a reconnu le "monsieur fiscalité" de l'OCDE, Pascal Saint-Amans, lors d'une conférence de presse. Selon la source consultée par l'AFP, "les Etats-Unis n'ont guère de soutien à part l'un ou l'autre paradis fiscal qui pourrait se joindre à eux".
Risque de guerre commerciale
Face à cette situation, l'OCDE a choisi d'avancer dans les discussions sur le texte de consensus qu'elle avait présenté aux ministres des Finances du G20 en octobre à Washington et de ne discuter de la question du safe harbour qu'au terme des négociations.
L'exigence américaine reste certes sur la table, mais comme elle ne concerne que la mise en application de l'accord mondial, elle n'empêche pas les négociations d'avancer sur les autres sujets. Il est donc probable que les pays se penchent seulement sur la question du safe harbour à la fin de l'année, délai qui permettrait aux négociateurs d'attendre les résultats des élections américaines de novembre, un accord lors de la prochaine réunion des 137 pays début juillet en Allemagne étant peu probable.
Si les Etats-Unis sont pratiquement seuls à exiger cette condition, ils prennent aussi le risque de faire capoter les négociations à l'OCDE, ce qui pourrait inciter les pays à taxer unilatéralement les géants du numérique comme l'a fait la France dès l'année dernière.
"Cela peut même déboucher sur une guerre commerciale", a prévenu la source proche des négociations, en allusion aux menaces de représailles américaines brandies par les Etats-Unis contre la France et des pays comme le Royaume-Uni ou l'Italie qui envisagent de faire de même.
Dans un communiqué, le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a soigneusement évité de parler des exigences américaines et s'est simplement "réjoui de l'étape importante franchie à l'OCDE". Son homologue allemand, Olaf Scholz, s'est aussi félicité, tout en prévenant que "ce grand projet de réforme ne sera un succès que si nous sommes tous unis".
La semaine dernière à Davos, les Etats-Unis et la France avaient décidé de mettre entre parenthèses leur différend sur la taxe sur le numérique afin de donner du temps aux négociations à l'OCDE. Paris a reporté pour 2020 le paiement du premier acompte de sa taxe qui était prévu en avril.
Les Etats-Unis, pour leur part, se seraient engagés à suspendre la procédure ouverte contre la France, qui pourrait déboucher sur des sanctions commerciales sur des produits comme le vin, mais l'administration Trump ne s'est pas encore exprimée publiquement sur ce sujet.