Avec ses plus de 4 000 exposants, ses 270 000m2 de surface, ses rencontres entre investisseurs, entreprises et potentiels clients, le CES n’est pas vraiment fait pour les enfants - et son lieu de résidence, Las Vegas, encore moins.
Pourtant, la “family tech” ou “l’EdTech” figurent en bonne place cette année à l’immense salon de l’électronique grand public. Avec un dilemme, au regard d’une prise de conscience ces dernières années : comment protéger les enfants de la passivité devant les écrans dès le plus jeune âge, sans les couper d’une éducation au numérique qui sera sans doute incontournable dans leur futur ?
“Calmer votre enfant avec la technologie pourrait remplacer des interactions verbales importantes”, prévient d’ailleurs le - discret - stand de l’Association américaine des orthophonistes et spécialistes de la parole, surmonté d’une bannière “Tech use gone wrong”. Les résultats des multiples études réalisées sur l'impact des écrans sur le développement des enfants divergent, et pour cause : les conséquences sur l’activité cérébrale d’un enfant dépendent de ce qu’il fait devant l’écran. Elles ne seront pas les mêmes s’il interagit avec, s’il joue, s’il écoute, s’il est stimulé ou s’il reste passivement devant.
La collaboration internationale de Tori
Et les entreprises françaises n’ont pas à rougir de ce qu’elles proposent. En bonne place au Sands du CES, parmi les sociétés qui ont su se faire une place sur le marché de l’innovation, les produits Tori s’affichent sous un grand pavillon jaune. Pas de drapeau français ni de coq French Tech à l’horizon, et pourtant ces jeux sont issus de la collaboration entre le siège européen du Japonais Bandai Namco Entertainment, situé à Lyon, et de la startup grenobloise Iskn.
La promesse est assez surprenante. Une “power bar” s’insère au bout d’une baguette magique, dans un vaisseau spatial ou dans une catapulte, voire dans un objet que l’enfant aura construit lui-même, ce qui permet de les synchroniser sur un board blanc d’environ 20 sur 35cm. L’enfant peut ensuite s’en servir dans plusieurs jeux vidéos ou activités créatives proposées par Tori, tout en les bougeant lui-même au-dessus du pad.
L’enfant peut aussi personnaliser le décor des jeux vidéo grâce à des coloriages, dessins et autocollants bien réels qui seront ensuite scannés pour être intégrés aux aventures.
“A l’origine, Bandai Namco est une société de l’entertainment. La volonté n’est donc pas de se couper des écrans mais de proposer une expérience nouvelle”, explique-t-on sur le stand, où la première boîte se vend à 129 euros.
Les jeux proposés par Tori, qui ont récolté quatre CES Innovation Awards cette année, permettent par exemple de travailler la créativité et la résolution de problèmes, les fonctions exécutives et la coordination motrice. Les résultats de l’enfant sont accessibles dans un dashboard où les parents peuvent constater ses progrès.
L’application Dipongo utilise les solutions dessinées par l’enfant
À l’étage du dessous, plusieurs startups françaises de l’Eureka Park proposent aussi des produits permettant à la fois de jouer avec le numérique et de stimuler physiquement et cérébralement les enfants.
C’est le cas de Dipongo, lauréate d’un CES Innovation Award, qui s’apparente à un “livre dont vous êtes le héros” moderne. Dans cette application de jeux créative, l’enfant suit les aventures d’une petite mascotte, comme Edgar le renard. Il lui sera demandé de faire des choix dans le déroulé de l’histoire, voire de résoudre un problème (par exemple, “Comment Edgar peut-il traverser la rivière ?”). C’est alors que l’enfant met de côté le smartphone ou la tablette et dessine ou construit sa propre solution. Il la prend en photo, explique ce qu’il a dessiné, et c’est intégré à l’histoire : Edgar a désormais un pont violet en Lego (ou en collier de nouilles).
“Nous étions conscients des effets des écrans sur la passivité des enfants et sur leur déconnexion de leur environnement”, explique Marion Péret, co-fondatrice et directrice artistique de Dipongo. “Nous avons tenu à intégrer à l’application la possibilité à l’enfant d’exprimer sa créativité et de réfléchir à plusieurs solutions pour faire avancer l’histoire”, détaille-t-elle.
Dipongo encourage aussi les parents à accompagner leur progéniture dans ses aventures virtuelles.
“La partie EdTech est clairement un créneau où la France est très présente et a une vraie force, c’est d’ailleurs pour ça qu’à la fin du mois de janvier on sera présent sur un pavillon au Bett à Londres”, éclaire Eric Morand, directeur du département Tech et services innovants chez Business France. “Au niveau de l’IoT, ce qui fonctionne le plus, ce sont les produits qui vont répondre à un besoin et qui sont simples à utiliser : d’où les thermostats connectés qui se développement dans les foyers, d’où tout ce qui est lié à la voix, et finalement, aussi, les objets pour les enfants”, souligne-t-il.
Les jouets en bois connectés de Marbotic
Emmenée au CES, comme Dipongo, par la région Nouvelle-Aquitaine, Marbotic propose de son côté différents jeux en bois connectés à plusieurs applications sur tablette pour apprendre les lettres, les formes, les mots, les chiffres, etc. “On peut écrire des mots, jouer avec les phonèmes, etc. Là, je prends la lettre F, je tamponne et la tablette me chante le phonème”, démontre Camille Beaumont, CMO de la startup. Le premier “pack” de chiffres se vend autour de 40 euros.
“On sait depuis Montessori que pour bien apprendre, un enfant a besoin de manipuler des objets physiques, et que la qualité de ce qu’on lui met dans les mains est aussi primordiale. Les enfants sont des éponges : plus on leur met quelque chose de beau et de précieux dans les mains, plus ils vont comprendre que ce qu’ils sont en train de faire est important”, explique-t-elle.
“D’un autre côté”, poursuit Camille Beaumont, “on trouve que le digital peut apporter plein d’opportunités, notamment du feedback immédiat qui est important pour l’apprentissage de la lecture”. “La fondatrice a travaillé presque dix ans dans le e-learning, à une époque où la tablette n’existait pas et tout ce qui existait pour les enfants dans le numérique, c’était un écran, un clavier, une souris. Pour des enfants de 3 à 6 ans, c’était hyper compliqué. Quand elle a vu le premier iPad arriver, elle s’est immédiatement dit qu’il y avait un truc à faire pour les enfants”, rembobine la CMO.
“A Marbotic, on est vraiment convaincus du bien-fondé des deux. On n’a pas envie de faire du 100% digital, mais on a quand même envie que les enfants restent ancrés dans le réel et qu’ils continuent à jouer”, résume-t-elle.
Être indépendant avec son livre dès 2 ans grâce à Bookinou
Pour les plus petits, Bookinou est une liseuse audio sans écran, qui se vend 70 euros et limite le contact des bambins avec le numérique. “La question était comment amener les enfants vers le livre, mais aussi les aider à être autonomes avec à des moments où les parents ne sont pas nécessairement disponibles. Il y a plein de moments où, si les enfants ne savent pas lire, ils se retrouvent coupés de leurs livres”, constate Vincent Gunther, cofondateur de l’entreprise.
“Les tablettes et les smartphones sont partout car ils sont hyper simples d’usage, même pour un enfant de deux ans. C’est une solution de facilité. L’idée était de se dire qu’à 2 ans, il fallait que ce soit hyper simple, ludique et divertissant d’utiliser un livre, et donc d’avoir l’histoire audio pour chacun de ses livres”, poursuit-il.
Seuls les adultes ont accès à une application mobile où ils peuvent enregistrer des histoires dans leur propre voix : ensuite, ils associent et collent une gommette sur le livre correspondant, que l’enfant peut “scanner” avec son “livre” en plastique Bookinou. Le bambin peut alors écouter son histoire préférée dans la voix de son père, sa mère, son grand-père, etc., tout en suivant les images des yeux sur le vrai livre.
“Dans l’application, on propose des outils pour customiser les histoires en rajoutant des effets sonores. Si l’idée était d’avoir une solution numérique pour les parents, qui corresponde à leurs usages quotidiens, on se rend compte à l’usage que cela peut aussi être un moment ludique et créatifs avec les enfants”, relève Vincent Gunther. Le concept a reçu cette année un CES Innovation Award.
“L’EdTech est un bel axe sur lequel on travaille, sans qu’il y ait un accent particulier des investisseurs pour financer ce genre de projets”, éclaire Eric Morand. “ce sont des beaux projets, avec de bons positionnements prix, qui vont répondre à un besoin qui est que quand on est jeune, il faut que le numérique se base aussi sur du physique. Culturellement, je pense qu’on a une approche un peu différente là-dessus que d’autres pays”, conclut-il