Numa est le porte-voix de la scène parisienne des startups. Il constitue un point de contact privilégié entre les startups et leur marché en France et à l’international : communautés, consommateurs, partenaires, concurrents, grands groupes, investisseurs.” En 2013, l’appellation “Numa” est nouvelle mais la structure ne l’est pas.
L’histoire remonte au début des années 2000. Une première association d’entrepreneurs est créée en 2000, le Silicon Sentier. Alors qu’elle est en sommeil, Marie-Vorgan Le Barzic la reprend en 2002 et obtient les premiers financements de la Ville de Paris en 2004. Naît le premier Living Lab de France, puis un espace de coworking qui se nommera La Cantine, puis un accélérateur de startups nommé Le Camping, puis un programme d’Open Innovation, puis la “naissance” de Numa, puis de multiples promotions et programmes, et puis… Plus rien ?
Plusieurs mois de silence
Sans vraiment crier gare, au début de l’année 2019, l’accélération de startups s’arrête. A peine un mot dans Les Echos, des échos approximatifs ici et là, une boîte de messagerie assez évasive sur le site : “Numa n’a actuellement pas de saison d’incubation de startups en cours.” Est-ce qu’il y en aura d’autres à l’avenir ? “Non, pas pour le moment.”
Les entrepreneur·e·s s’interrogent, nous aussi. À l’époque, Marie-Vorgan Le Barzic nous répond qu’il n’y a rien de plus à dire sur le sujet. La page “Notre histoire” du site s’arrête en 2015, lorsque les salarié·e·s ont racheté les parts de Numa pour la transformer en entreprise. Pourtant, la structure affiche désormais des offres de… formation professionnelle. Le changement s’est effectué en toute discrétion, comme si l’un des accélérateurs les plus emblématiques et les plus vieux de la scène française n’avait pas changé de crèmerie du jour au lendemain.
“Annoncer quoi ? Tu n’as pas envie de sortir pour raconter des trucs alors que tu ne sais pas vraiment où tu en es”, rétorque aujourd’hui Marie-Vorgan Le Barzic.
Après plusieurs mois de discrétion, la cofondatrice et CEO du Numa a décidé de revenir auprès de Maddyness sur le pivot effectué par la structure ces 18 derniers mois.
“Tu passes de l’équitation au tennis”
Et si Numa parle, c’est que ses dirigeants reposent aujourd’hui sur “une colonne vertébrale structurée, une nouvelle offre”.
“Je crois que le pivot était tellement profond que, même si aujourd’hui on voit bien les évidences sur ce chemin, c’était une transformation, un peu comme une reconversion professionnelle. Tu passes de l’équitation au tennis, c’est un autre métier”, lance-t-elle.
Et les deux peuvent difficilement se pratiquer en même temps. “L’entre-deux nuit au message et à l’exercice”, reconnaît la cofondatrice. Un flou artistique qui a pourtant duré plus d’un an et demi, le temps d’évaluer ce qui pouvait être sauvé, ce qui pouvait être ré-utilisé et ce qui devait être jeté.
À l’origine une association, Numa est devenue une entreprise en 2015 grâce au crowdequity. Le modèle économique, défini avant la première levée de fonds de la jeune entreprise, a pour ambition principale de créer un “écosystème mondial de l’innovation” en alliant startups, grandes entreprises, individus, etc. “On prenait un peu le contrepied de la proposition de valeur de Techstars par exemple. Nous voulions ouvrir des nouveaux pays non pas pour capter la valeur mais pour lui permettre de se développer localement”, fait valoir Marie-Vorgan Le Barzic.
“À chaque endroit, l’hypothèse était la suivante : développer un univers de services plutôt corporate centré sur le côté open innovation, notamment avec le conseil, puis trouver une performance permettant de dégager une marge, qui elle-même serait suffisante pour couvrir les frais d’accélération des startups. Au travers de cette accélération, Numa prenait des parts qui nous permettaient d’avoir des perspectives de long terme et un effet de levier supérieur à ce qu’on peut avoir quand on développe simplement du service”, condense-t-elle.
Numa ouvre donc huit pays en deux ans et demi, mais la rentabilité sur le conseil tarde à faire ses preuves et le retour sur investissement vis-à-vis des startups accompagnées est plus long que les 26 à 30 mois prévus à l’origine. Sans compter les gourmands frais de structure du QG parisien. “On avait les frais de structure d’une grande entreprise alors qu’on était une petite PME”, tranche Marie-Vorgan Le Barzic.
À l’été 2017, Numa prépare donc une nouvelle levée de fonds dans une situation tendue. La term-sheet n’est pas au rendez-vous des attentes et la structure a déjà dit à ses succursales étrangères qu’il n’y aura plus d’argent. A cette époque, la term-sheet présente “une valorisation qui rince le reste de l’actionnariat”. C’est à ce moment-là que MAIF, actionnaire historique de la structure, se glisse dans la scène. Numa soulève le sujet de la formation pour pouvoir sortir du modèle économique, ce que la mutuelle accepte.
Cette dernière imagine un rapprochement stratégique avec l’accélérateur et une nouvelle augmentation de capital pour pouvoir faire le pivot et aller chercher une position solide sur le marché de la formation pour “lutter contre l’obsolescence des compétences”.
“On était trop fragiles pour avoir ce type de développement”
“Ce n’était pas une décision simple, mais je ne regrette pas du tout de l’avoir prise”, assure aujourd’hui la co-fondatrice du Numa. “Évidemment, quand tu es en levée de fonds, tu défends ton modèle, tu y vas. Mais dans le fond du fond, on savait qu’il y a un truc qui n’allait pas, on était trop fragiles pour avoir ce type de développement.”
S’entame alors une longue phase de réflexion au sein d’une structure dont l’ADN est l’entrepreneuriat et l’avenir s’oriente vers la formation professionnelle. Pas simple, à première vue. Marie-Vorgan Le Barzic explique que “le but était de convertir ce qui était convertissable en formation, et trouver pour le reste un point de cohérence pour maintenir ces actifs en place”. “On engage des gens pour les faire réfléchir avec nous, on monte des groupes de travail”, déroule-t-elle.
En septembre 2018, après la constitution d’un Comité stratégique avec la MAIF venant remplacer son “advisory board”, Numa sait à peu près à quoi s’en tenir sur son pivot. “Notre métier central a toujours été d’accompagner les gens qui sont à un moment de leur histoire, avec un certain socle de compétences, et de transformer leurs actifs en autre chose qui les rende plus performants et qui puisse leur rendre service”, avance la CEO de Numa. Pour elle, “une fois que tu as dit ça, le sujet de la formation est évident”.
“Un soir, je me suis dit : “Faut pas le faire’”
Et l’accélération, dans tout ça ? “Il y avait, pour nous, un intérêt théorique à maintenir cette activité, pour nourrir notre ADN, notre performance de marché, etc.” Mais il y a les coûts, toujours ce retour sur investissement tardif, et toujours une plus grande exigence de qualité vis-à-vis des startups dans un environnement devenu hautement concurrentiel.
“Soit on met 2,5 millions par an, soit on met juste un peu. Mais si c’est pour le faire un peu, autant ne pas le faire. Et un soir, je me suis dit : ‘Il ne faut pas le faire’”, tranche celle qui mène le bateau Numa depuis presque deux décennies. Un soir de novembre 2018.
“La décision, on aurait dû la prendre à l’été, mais j’en revendique la culpabilité”, sourit-elle. “C’était tellement impensable pour moi. Tu prends cette décision après 17 ans, c’est ton ADN, ça vient des tripes. Mais c’était évident.” Sauf qu’un programme d’accélération est quasiment à mi-parcours. Un label de “dernier incubé du Numa” à porter et à justifier sur les prochaines années. Les startups sont mises au courant peu de temps après la prise de décision.
“Ce n’était même pas ‘On ferme’. A la limite, t’es en dépôt de bilan, t’es en dépôt de bilan. Là, c’est plutôt ‘On a décidé d’arrêter ce qu’on est en train de faire pour vous, aujourd’hui”, rembobine Marie-Vorgan Le Barzic. Numa va tout de même au bout du programme et continue par ailleurs d’accompagner les startups dont elle est actionnaire.
Elle emmène aussi au bout Data City, un programme en partenariat avec la Ville de Paris permettant aux entrepreneur·e·s d’utiliser toutes les données de la capitale pour tester leur projet de Smart City. “Tout ça n’est pas parfait, mais on a voulu en permanence, dans cette chaîne de décisions, être à la hauteur de nos engagements et de les tenir autant que faire se peut”, assure-t-elle aujourd’hui.
Le changement d’équipe (de 70 à 50 collaborateurs et collaboratrices) s’est lui fait “sans violence, sans urgence”, appuie la CEO, assurant que ces départs étaient bien volontaires. “Il y en a certains qui étaient là vraiment pour le côté startup”, concède-t-elle. À l’étranger, seul New York subsiste plutôt sur des ‘learning expeditions’ et devrait bientôt se recentrer sur la formation.
“C’était un élément identitaire pour les startups”
“Pour moi, l’accélérateur, c’était dans le bide, mais je n’avais pas conscience que c’était aussi un élément identitaire pour les startups”, reconnaît la co-fondatrice. “Toi tu prends la décision, tu connais le rationnel derrière, pas elles.” Des startups plutôt loyales en fin de compte, car, contactées par Maddyness, aucune n’est venue se plaindre de la tournure des événements.
Un an plus tard, une offre de formation bien implantée, les têtes pensantes de Numa envisagent-elles de réouvrir un accélérateur ? Marie-Vorgan Le Barzic est formelle :
“Jamais. Je ne crois plus à l’accélération. Quand tu vois Station F, ce sont les nouvelles galeries alors même qu’on revient au commerce de proximité. (...) Le niveau moyen des entrepreneurs a tellement monté, et les compétences de l’entrepreneuriat sont aujourd’hui beaucoup plus largement diffusées dans la société.”
Si elle reconnaît un intérêt pour des structures adossées à des fonds d’investissement, pour de grands groupes y trouvant une ligne avancée de R&D ou certaines verticales, elle martèle que “cela fait déjà 3-4 ans que les meilleur·e·s ne vont pas dans les accélérateurs”.
Et maintenant que le Numa a opéré sa propre transformation et a mué hors de son image de marque, que reste-t-il ? L’organisme de formation vient enseigner aux entreprises comment mener leur transformation numérique “avec le meilleur des méthodologies et compétences des startups”.
“Sur les 18 derniers mois de l’accélérateur, on avait développé un programme hyper exigeant, car on devait se différencier et nous n’avions pas d’argent. Les services apportés aux startups étaient d’une valeur très très élevée, et on s’en sert aujourd’hui comme actifs pour la formation”, appuie-t-elle.
Un chiffre d’affaires triplé
Il faut dire que le Numa est aujourd’hui plus serein pour communiquer, après, reconnaît sa co-fondatrice “une première séquence où tu as un peu l’impression de repartir dans le désert”. “Tu arrives devant le client et il te dit ‘Bon, bah c’est très bien, donc j’ai eu 50 personnes avant vous, vous prenez un ticket, vous serez 51ème et on en discute quand j’ai le temps ?”, plaisante-t-elle.
En 18 mois, la formation est passée de 20% du chiffre d’affaires à 75%, “et pas parce que tout le reste a été coupé”. La CEO avance un chiffre d'affaires multiplié par trois sur cette période, avec des clients principalement du service public, du CAC 40 et du Next40.
Et, signe d’une mue achevée et d’une assise plus confortable, Numa commence, après le départ d’une vingtaine de ses employé·e·s, à recruter plusieurs dizaines de personnes pour écrire la suite de son histoire. “Et on sait pourquoi, sur quels clients”, précise tout de même Marie-Vorgan Le Barzic.