Archaïques, rigides ou conservateurs, les qualificatifs ne manquent pas pour critiquer les rouages administratifs. Pour casser cette image, l'Etat mise (entre autres) sur son programme Startups d'Etat depuis 2013.
Le principe a été lancé, un peu par hasard, par trois agents qui cherchaient à améliorer un service public. Leur idée s’est transformée en une méthode puis un incubateur visant à pousser l’intrapreneuriat public et casser l’image has been de l’administration. “Le gouvernement voulait montrer qu’elle était capable d’utiliser les outils du numérique” explique Ishan Bhojwani, co-animateur de beta.gouv, l’incubateur de services publics numériques. En quelques années, la méthode startup s’est immiscée dans les différents services de l’Etat pour y faire émerger des solutions numériques tournées vers l’usager et non plus l’administration.
Maintenant que ces preuves ont été faites, les services publics français font face à un autre challenge : éviter l’exode des talents. Pour répondre à cette attente, son offre se renforce et se structure, à la fois dans son accompagnement mais aussi son élargissement à d’autres territoires. “Les administrations ont tout envie de monter en compétences mais elles n’ont pas forcément les talents numériques internes pour le faire” confie Florian Delezenne, directeur de l’incubateur beta.gouv.
Une image qui fait débat
Si l’administration est un point essentiel du fonctionnement de nos sociétés, son aura et sa promesse de stabilité ne font plus rêver les jeunes, désireux d’entreprendre et de trouver un sens à leur emploi. Avec le terme de startup d’Etat, le gouvernement a voulu “pousser les gens à se questionner sur ce que c’était et montrer que l’Etat pouvait aussi innover dans le numérique” précise Ishan Bhojwani. En effet, ce dernier voit cette dénomination comme “une image de marque capable de contrecarrer l’exode numérique” que connaît le secteur public. Face à des salaires à 80K, il doit trouver ses armes. “Les développeurs travaillent sur une mission renouvelée tous les 6 mois, c’est une manière pour eux de mettre un premier pied dans l’administration sans se sentir coincés par un CDD de 3 ans” reconnaît Florian Delezenne. “Beaucoup de techniciens viennent du secteur privé, un ancien de Google vient de rejoindre nos rangs. Ils ont besoin de donner du sens à ce qu’ils font, c’est ce qu’ils trouvent au sein de l’administration” renchérit Ishan Bhojwani, lui-même issu de la sphère privée.
En modifiant les process et en donnant plus de liberté aux développeurs mais aussi à ses agents, l’administration ouvre ainsi ses portes à d’autres profils. La méthode Startup, c’est ça, un mélange d’idées, de flexibilité et d’autonomie inspiré de structures dites “agiles”.
La méthode startup d’Etat : autonomie, rapidité, flexibilité
Tout débute grâce à la détection d’un irritant (lenteur, manque d’informations…) par un agent qui propose également une solution pour le résoudre. Soutenu par son administration, il peut consacrer une partie de son temps de travail (60 à 100%) à développer cette initiative.
Pour l’accompagner dans sa démarche, il peut rejoindre l’un des 7 incubateurs du gouvernement qui lui fournira les ressources nécessaires (développeur, coach, matériel, logiciel) pour déférer une micro-équipe autour de son projet (3 au départ en général). Totalement autonome, celle-ci élabore rapidement en quelques mois un produit pour le tester sur le terrain. La startup d’Etat permet de tester un concept rapidement et à moindre coût. En quelques mois à peine, le produit prouve ou non sa viabilité et peut facilement être arrêté.
En parallèle, l’intrapreneur est formé à l’art du pitch, au management ou encore à l’UX Design... des concepts inconnus au sein des services publics. Flexibilité, rapidité, autonomie...les ressemblances avec les startups “classiques” s’arrêtent là. Les intrapreneurs n’ont pas de business model comme ligne directrice mais s’attachent à l’impact sur les usagers. Une manière pour les administrations de se rapprocher de leur public.
N’est pas intrapreneur qui veut
“Cherchez un indigné, tout commence toujours par là” conseille Fondapol dans son rapport. La méthode startup d’Etat repose, sans aucun doute sur l’envie d’un agent intrapreneur de faire bouger les lignes. Sans lui, pas de projet. La startup Aeris en a d’ailleurs fait les frais. Suite à la mutation de son responsable, aucun agent n’a souhaité reprendre le flambeau et elle a été abandonnée. La fibre de l’intrapreneuriat ne touche pas tous les agents publics. Florian Delezenne souligne ainsi “l’abandon d’intrapreneurs qui ont préféré arrêter l’expérience après les deux premiers mois d’incubation”. “Certains intrapreneurs peinent parfois à retrouver leurs repères, contraints par la hiérarchie” confie aussi Florian Delezenne. D’ailleurs, les deux intrapreneurs contactés ont avoué multiplier ce genre de projet “autonome” depuis qu’ils ont mis le pied dedans. Mais l’autonomie ne convient clairement pas à tout le monde.
D’un point de vue plus macro, le changement de méthode en lui-même oppose les points de vue. “Quand vous présentez ça à un agent qui a été formé et travaille depuis 20 ans d’une certaine manière, ça peut être difficile à accepter” reconnaît Ishan Bhojwani. D’autant plus si on y ajoute un langage de startup, loin d’être adapté à tous les publics. Framework, scrum, méthode agile et autre UX design deviennent parfois des termes plus excluants qu’inclusifs.
Un programme qui commence à décoller
“Certains étaient sceptiques quant à la réussite de notre projet et maintenant, La Bonne Boîte est un service disponible sur l'Emploi Store et utilisé sur tout le territoire” avoue fièrement Eric Barthélémy, responsable du projet depuis 2015. Son produit permet aux candidats d’envoyer leurs CV aux bonnes entreprises, c’est à dire, celles qui recrutent. Et plus de 700 000 se sont déjà fait référencer. L’idée a même fait des petits en ouvrant la voie à La Bonne Alternance qui déploie le principe pour les étudiants.
En six ans d’existence, l’incubateur de startups d’Etat, beta.gouv a bien grandi et regroupe un écosystème de 270 personnes ayant donné naissance à plus de 90 projets. Actuellement, 27 startups d’Etat sont en construction, 34 en accélération, 14 en consolidation et 17 ont été abandonnées (faute d’intrapreneurs ou de financement) ou retirées du programme pour un développement interne. Des chiffres plutôt encourageants car la montée en puissance s’est faite progressivement avec un essor notable depuis le premier trimestre 2018.
L’engouement est palpable, notamment au sein des territoires qui recourent de plus en plus à la méthode pour faire évoluer leurs services. Financièrement aussi, l’administration est gagnante. Selon Fondapol, ces investissements s'élèveraient à 0,1% de leurs budgets annuels, une somme minime comparée à un prestataire externe, moins de 30 millions d’euros financement public par an selon les Echos.
L’expérimentation débutée en 2018 dans 2 territoires se poursuivra dans 50 en 2020. Convaincu de l’importance d’un tel dispositif, le gouvernement a lancé FAST, un programme d’accélération visant à multiplier les appels à projets pour inciter les agents à s’impliquer davantage dans cette démarche.
“À terme, il faut que cette approche devienne habituelle, plus une exception. Le mot de startup disparaîtra alors” explique Ishan Bhojwani. À condition, bien sûr, que chacun y trouve sa place...et que les administrations arrivent à valoriser en interne les connaissances apprises durant cette période.