Cet article, initialement publié en février 2019, reprend l'intervention de Carole Juge à la Maddy Keynote
Il parait qu’il y a deux choses qui cassent internet : les bébés et les chatons. Deux choses dont notre écosystème startup est pourtant relativement dépourvu. Beaucoup des startups qui se lancent aujourd’hui sont des startups très tech, comme du SaaS, du service, de la finance… ce sont des produits immatériels pour qui la technologie est le vecteur numéro 1 de croissance. Son principal atout est la scalabilité, rendue possible, facile, et capitalistiquement excitante pour les investisseurs car le déploiement massif d’une technologie pour passer d’un service régional ou national à un service international ne nécessite pas de multiplication d’usines.
De nombreuses applications que nous utilisons au quotidien comme Airbnb, Slack ou encore Instagram n’existaient pas il y a quelques années. Leur popularité et leur masse d’utilisateurs immense a pu atteindre des sommets très rapidement grâce à la scalabilité formidable rendue possible par l’immatérialité qui les caractérise.
Les nouveaux venus, challengers des grosses marques bien installées
Pourtant, tous les utilisateurs de ces applications sont des humains physiquement réels ayant des besoins matériels, des montres Cluse a leur poignet, des pulls Asphlate ou des robes Sezane sur le dos, des lunettes Sensees sur le nez, ils mangent du Feed dans des lits Tediber. Tous ces nouveaux produits, tous issus de la tendance DTC (direct-to-consumer) sont des DNVB (Digital Native Vertical brands) venues marcher sur les plates bandes de marques très implantées, qui avaient une brand equity réputée incassable. Tellement incassable que Dollar Shave Club a mis 5 ans à prendre 7% de parts de marché à Gillette aux US.
Ces jeunes marques de consumer product qui challengent les gros acteurs opèrent comme les startups de produits tech, en mettant la technologie au centre de leur innovation, en utilisant au maximum la data, et le numérique pour éviter les contraintes liées au canaux de distribution et pour avoir un accès ultra privilégié, très personnalisé au consommateur. C’est le numérique au service du retail-roi.
Joone fait partie de ces pionniers du numérique, évidemment. Nous utilisons la technologie pour optimiser notre distribution, notre marketing. Mais plus que tout, notre utilisation de la technologie est intimement corrélée à nos valeurs, des valeurs très fortes, que j’avais héritées de l’échec de ma première startup , et qui m’ont menée à monter une deuxième.
Avant Joone, Le constat était hyper clair : la communauté des parents était très angoissée par les produits qu’elle utilisait pour ses nouveaux nés, elle ne trouvait pas d’information claire sur la fabrication, la composition. Car quand on doit faire un choix pour son enfant c’est un choix beaucoup plus engageant que le choix qu’on fait pour soi-même et donc beaucoup plus anxiogène … Évidemment, on se scandalise aujourd’hui de l’industrie de masse qui s’est développée pour permettre notre consommation assommante, en oubliant parfois que c’est notre consommation de masse qui a nécessité cette production que certains industriels, dans un souci de répondre vite au besoin et de protéger les rentabilités, ont fait en mode quick & dirty, et en sont parfois restés la.
C’était sans compter l’essor du numérique, et du flux d’information continu. On parle beaucoup de data. Et principalement, il y a la data que l’on donne, inconsciemment, sur internet, aux GAFA, aux cookies, et qui permet à des marques digitales, comme la nôtre, de pouvoir raccourcir les circuits, et se faire connaître plus rapidement. Mais il y a aussi la data que l’on reçoit, les infos en continu, direct, sans filtre, parfois de piètre qualité, parfois des fake news, mais surtout sans modération. On est dans une application mondiale du 1er amendement américain, qui garantit la liberté d’expression, la liberté absolue de circulation de l’information.
L’avénement du consommateur omniscient ?
Et c’est cette data qu’on reçoit, qui, dans les années à venir, va changer radicalement la donne sur les produits que l’on consomme. Finie l’opacité, fini le manque d’information, fini le marketing segmenté, désormais le monde voit tout, tout le temps, car désormais la data vient et se donne au consommateur librement, Ce qui crée des attentes plus fortes envers les marques, et forcément par écho une insatisfaction grandissante envers les marques plus traditionnelles qui ont fait face à une, deux, trois vagues de scandales, de vidéos en caméra cachées de Cash investigation, des effondrements d’usines, de ballons de football fabriqués à l’autre bout du monde pour 20 centimes de l’heure.
Désormais cette data reçue nous donne à voir en instantané ce que la révolution industrielle a toujours caché. Il y a 20 ans, pour être informé ou engagé, il fallait faire partie d’une association ultra militante, alors que maintenant, le consommateur peut militer juste avec un tweet depuis son canapé. Il commence désormais à consommer en pleine conscience en s’orientant vers des produits non pas parce qu’ils sont cool ou bien packagés ou parce qu’il y a une jolie fille sur la pub, mais parce que leurs valeurs sont alignées, que le discours est cohérent, parce qu’ils croient ce qu’ils voient du produit, et qu’ils ont été lassés par des années d’opacité.
Début janvier 2019, nous avons été convoquées, avec tous les fabricants et les distributeurs de couches, par les ministres de l’économie et de la santé suite au rapport ANSES demandé par la DGCCRF qui démontre que la plupart des autres couches sur le marché contiennent des composés potentiellement cancérigènes. Pourquoi ? Car en juillet 2017, quand on s’est lancé, nous avons été les premiers à élever le standard en publiant la composition de nos produits et nos analyses toxicologiques. Ca parait très simple et très bête, mais sur un produit aussi sensible qu’une couche, il n’existait quasiment pas de loi, pas de réglementation. L’industrie a tourné en roue libre pendant 50 ans, en reproduisant le status quo. Et c’est grâce à cette data que Joone a partagé, que le grand public, aidé par des magazines consommateurs ou d’investigation courageux comme 60 Millions de Consommateurs, se sensibilise de plus en plus sur la problématique de la vérité marketing et sur le besoin de transparence.
Des marques en marche vers un capitalisme raisonné
L’application de cette transparence se retrouve dans nos valeurs de " truth unlimited " et " always love ". Au-delà de produits sains et bien faits, ce que défend Joone, c’est la théorie du cercle économique vertueux, du capitalisme raisonné, du capitalisme holistique. Pourquoi ? car le consommateur veut de plus en plus un produit qui correspond à ses valeurs, et que ses valeurs sont en train de changer.
J’ai toujours beaucoup aimé cette citation de Kenneth Boulding : " The only people who believe in infinite growth in a finite world are madmen and economists ". Je suis désormais intimement convaincue que La croissance ne pourra être infinie que si elle est vertueuse, et donc que si elle est transparente. Pour moi la transparence est le bio de demain, elle permettra de donner un accès direct, illimité, véridique, et volontaire aux informations intégrales sur les produits, aux processus de fabrications pour des consommateurs qui veulent être consciencieux et qui rendront forcément les industries de produits de consommation plus vertueuses.
Cela signifie aussi la fin de l’opposition de durabilité et scalabilité, la fin de l’opposition du capitalisme et du respect de la planète. On peut scaler en respectant l’humain si on scale vers la transparence. Le transparent permet de valider à lui seul 3 des 17 objectifs de l’ONU pour atteindre le développement durable en 2030. La transparence résout les problématiques de “bonne santé, bien-être”, “travail décent et croissance économique” et “consommation et production responsables” en apportant une approche raisonnée et positive. L’ONU estime à 380 millions le nombre d’emplois créés d’ici 2030 pour remplir tous ces objectifs ; ça fait 67 million d’emplois pour les 3 objectifs liés à la transparence. 67 millions d’emplois, c’est tout autant de croissance pour ces nouveaux salariés, ou une croissance retrouvée pour des emplois qui se sont transférés sur ces nouvelles compétences.
Alors quand je vous disais en ouverture que pour casser internet il fallait un bébé et un chaton, je n’avais pas tout à fait tort. Au delà du coté " cute " et mignon d’une marque comme Joone, nous défendons surtout un cercle économique hyper vertueux, qui n’accepte aucun compromis le long de sa chaine de valeurs : nous faisons des produits sains, en toute transparence, avec des partenaires français qui paient leurs impôts en France, dans des entreprises partenaires qui participent au rayonnement économique régional, pour des clients qui sont heureux et en confiance avec qui notre équipe a créé un lien hyper fort, une équipe très positive, très soudée, animée par nos valeurs communes mais surtout à la fin, Jonne ce n’est pas une petite association, mais une belle équation économique. Preuve que l’on peut être 100% vertueux et " scaler " très fort.
Tout ça m’amène à croire très fortement que l’avenir du produit ne passera pas par une scalabilité numéraire (produire toujours plus, toujours plus vite, toujours moins cher) mais par une eco-scalabilité, une scalabilité vertueuse, qui aura un impact positif sur le monde, et surtout qui pourra, je l’espère, redéfinir le capitalisme vers sa forme la plus vertueuse et holistique.