Pas de Barack Obama ni de François Hollande parmi les intervenants de cette année aux Napoléons, mais l’ancienne ministre de la Justice Christiane Taubira, le promoteur du logiciel libre Richard Stallman, les autrices Leila Slimani et Perla Servan Schreiber ou le secrétaire d’État Gabriel Attal, pour n’en citer que quelques-uns. Chacun était invité à s’exprimer autour du thème de la Legacy (traduit, selon les cas, par “transmission”, “héritage” ou “patrimoine”).
Un concept éloigné de celui de l’innovation ? Pas tout à fait : ce sujet a été l’occasion pour les participants de s’interroger sur le sens de la course à la nouveauté perpétuelle, alors que le monde doit faire face à des crises d’ampleur sans précédent. Avec, en toile de fond, une question lancinante : quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?
Comment être à la fois des pionniers et des héritiers ?
Delphine Horvilleur, rabbin et essayiste, ouvrait la première matinée de travail avec plusieurs formules-chocs qui ont marqué les esprits. "On ne parle plus du tout de progrès dans nos sociétés, on parle d'innovation. Le progrès porte une idée de continuité, alors que l'innovation repose sur la notion d’obsolescence permanente”, a-t-elle expliqué avant de dresser un parallèle entre les discours passéistes, qui prônent le “c’était mieux avant” et ceux relatifs à l’innovation, souvent caricaturaux : les uns comme les autres se rejoignent finalement dans un même rejet du présent, pour privilégier un passé ou un futur fantasmé...
“L'innovation peut donner l'illusion qu'elle consiste à faire table rase du passé en permanence. Il est pourtant essentiel de comprendre que l'inédit peut s'inscrire dans une certaine culture de la transmission”, a-t-elle aussi évoqué. Et de conclure avec une suggestion pour les entrepreneurs : “nous devons nous demander comment être à la fois des pionniers et des héritiers”.
Le numérique consomme 4,2% de l’énergie primaire mondiale
Les liens entre héritage, transmission et innovation apparaissent d’autant plus d’actualité dans le contexte du changement climatique. Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT a prolongé les propos de Delphine Horvilleur dans son intervention “Planet vs Profit” : “nous sommes trop obnubilés par la petite invention, la technologie. Par exemple, la 5G est inutile. Nous n’en avons absolument pas besoin, à partir du moment où l’on éco-conçoit nos services numériques. Nous pouvons tout à fait répondre aux besoins de l’humanité avec la 3G et la 4G, sans perdre de confort”, a-t-il martelé avant de rappeler que le numérique était “en lui-même une ressource épuisable, non renouvelable” parce qu'il repose sur des minerais et de nombreuses ressources fossiles qui commencent déjà à manquer.
En particulier, dans le cadre d’une étude qui sera publiée à l’automne, GreenIT a évalué l’impact du numérique à hauteur de 4,2% de la consommation d’énergie primaire dans le monde en 2019, un chiffre en croissance régulière. 60% de cette consommation s’effectue à l’échelle des utilisateurs, contre 17% pour les data centers si souvent décriés. En changeant ses comportements en faveur d’une sobriété numérique, chacun peut jouer un rôle contre le réchauffement climatique.
“La technologie ne doit plus être le projet, elle doit servir le projet”
D’Anne Hidalgo à Perry Chen, le fondateur de Kickstarter, cette question de la crise environnementale était définitivement le fil rouge des trois jours. Alors que le caractère irrémédiable du changement climatique semble désormais acté, il s’agit désormais de trouver des solutions innovantes pour faire preuve de résilience et “réparer” la planète. La maire de Paris a évoqué notamment ses projets de conversion de parkings en forêts urbaines et ses objectifs de végétalisation de la ville, tandis que l’ancien journaliste Walter Bouvais, à l’origine du mensuel Terra Eco, arrêté en 2016, présentait son projet Open Lande.
Cette “fabrique de projets révolutionnaires”, installée près de Nantes, vise à former artistes, entrepreneurs et dirigeants d’associations afin d’en faire des “Jedi de l’écologie” qui intègrent l'impact social et environnemental au coeur de toutes leurs réalisations. “La technologie ne doit plus être le projet, elle doit servir le projet”, a-t-il expliqué, évoquant les possibilités que la low tech, l’agro-écologie et l’économie circulaire représentent pour les entrepreneurs et la planète.
En écho, l’entrepreneur américain Perry Chen a expliqué pourquoi il avait modifié la structure de Kickstarter il y a cinq ans, pour en faire une benefit corporation (ou BCorp) à la faveur d’un changement législatif : “avant, les dirigeants américains pouvaient être attaqués par leurs actionnaires s’ils prenaient des décisions qui ne visaient pas à maximiser les revenus de l’entreprise”. Il a aussi invité les citoyens à reprendre le contrôle sur l’innovation, avec un message final en forme d’avertissement : “il faut créer des technologies davantage centrées sur l’humain et alignées avec les intérêts des utilisateurs. La technologie est tellement puissante que si ses objectifs ne sont pas les mêmes que les vôtres, good luck…”.