Connaissez-vous le wallet qui est dans votre téléphone mobile ? Certains oui, sans doute. Ils l’utilisent peut-être pour y loger leurs cartes de fidélité dématérialisées et leurs billets de train, voire pour régler avec Apple ou Google Pay. D’autres, pas encore. Mais, ils y viendront. En 2013, lorsque Captain Wallet s’est créé, c’était une autre histoire. À l’époque, personne ne connaissait le wallet ! Ni les entreprises qui auraient pu l’utiliser pour leur stratégie de marketing, ni les détenteurs de smartphone qui ignoraient sa présence dans leur mobile. Cet article est l’histoire d’une start-up, la nôtre, qui est arrivée avant que son marché n’émerge et qui a dû adapter sa stratégie en conséquence.
Notre marché n’existait pas
En matière d’innovation, il existe globalement deux cas de figure. Soit on identifie un besoin pressant et l’enjeu est de déployer rapidement sa solution pour devenir leader. Soit, et c’est souvent le cas avec les innovations d’usage, il est nécessaire d’évangéliser le marché. Captain Wallet, qui au départ s’appelait Carving Labs, était dans le deuxième cas. L’idée qui a prévalu à sa création était simple : la société allait dématérialiser dans le wallet mobile les cartes de fidélité des petits commerçants de quartier. En effet, les clients de ces commerçants apprécient leurs cartes mais ont tendance à les oublier ou les égarer. Or, le constat s’impose très vite : la cible n’est pas du tout mâture, ni psychologiquement, ni d’un point de vue technologique. De plus, il apparaît rapidement que démarcher les petits commerçants nécessitera une force commerciale trop importante.
Changement de cible donc : Carving Labs va démarcher les enseignes du retail. Elles sont en principe plus mâtures sur les sujets technologiques et marketing, et elles apporteront davantage de volumes. Nous sommes en 2014. L’action commerciale démarre. Et rapidement, on déchante. Le wallet qui nous apparaît à nous, fondateurs, comme un super outil pour dématérialiser la carte de fidélité et communiquer avec le consommateur, ne les intéresse pas. Toutes les enseignes et marques ne jurent que par l’appli. C’est la priorité du moment. Pour le wallet, on repassera.
Lever des fonds ou non ?
Restent alors deux solutions qui se présentent dans la vie de beaucoup de startups. Soit, nous levons de l’argent et nous le brûlons pour évangéliser le marché – parce que nous restons persuadés que c’est l’avenir. Soit, nous nous débrouillons pour proposer d’autres services et faire entrer de l’argent tout en faisant de la pédagogie sur l’utilité du portefeuille électronique. Les débats entre les trois fondateurs – a posteriori, on peut dire que c’est le chiffre idéal pour créer une boîte – ne durent que quelques semaines mais sont intenses. La décision de prudence l’emporte à deux contre un : la levée de fonds attendra ; nous allons nous retrousser les manches et trouver des revenus par nous-mêmes.
Nous continuons donc à démarcher les marques et enseignes pour le wallet. Mais lorsqu’elles demandent une application, un moteur de fidélité ou encore la mise en place d’un réseau de beacons, ces mini-balises qui entrent en contact avec les mobiles de leurs clients, nous leur faisons. Nous maitrisons la technologie, nos services sont appréciés. Et cela marche. En 2017, nous sommes une dizaine de personnes chez Carving Labs, la société est rentable et nos clients sont fidèles.
Entre temps, mi-2016, Apple annonce qu’il va loger sa solution de paiement dans le wallet. Hourra ! Notre intuition de la montée en puissance du portefeuille embarqué est validée. Si Apple y va, tout le monde ira. Certes, mais quand ? Car sur le terrain, toujours pas de marché. En un an, nous démarchons 180 marques et seules 2 signent pour tester la dématérialisation de leur carte de fidélité sur le wallet ! Une année très difficile.
Nouveau débat stratégique
Mi-2017, les choses commencent enfin à bouger. Le marché frémit. Du coup, les débats entre fondateurs reprennent. Ne risque-t-on pas de voir passer le train. Carving Labs tourne à plein régime et il est difficile de se concentrer sur un service – le wallet – qui ne rapporte presque rien. Les discussions sont aussi acharnées que quelques années plus tôt. Faut-il ou non refuser le new biz sur les prestations rentables et, dans ce cas, lever des fonds ? La décision se fait encore à la majorité de deux contre un. Nous basculons donc à 100% sur de nouveaux comptes uniquement wallet tout en conservant notre savoir-faire technologique sur les comptes historiques.
Nous obtenons notre premier rendez-vous investisseurs en février 2018. Il est difficile. Les fonds ne comprennent pas que nous ayons suivi deux chemins en parallèle. Il faut déployer des trésors de pédagogie pour convaincre. Et ça marche. Trois mois plus tard, nous levons 2 millions d’euros auprès de M Capital Partners et de Bpifrance, nous changeons de nom pour devenir Captain Wallet et nous focalisons tous nos efforts commerciales et 90% de notre développement informatique sur le wallet.
Le timing était le bon. Un an plus tard, Captain Wallet compte 50 clients grands comptes (Intersport, Jacadi, Unibail, Mercialys, Boardriders, McDonald’s, Etam, Aigle, Europcar, Franprix…) qui utilisent le wallet pour gérer leurs programmes de fidélité et la relation marketing avec les consommateurs sur mobile. Nous sommes partenaires de Google pour le lancement de Google Pay. Et les perspectives sont excellentes.
Que retenir de cette expérience ?
D’abord qu’il n’y a pas de recette magique quand il s’agit de faire des choix stratégiques. L’équation est compliquée car personne ne peut les faire à votre place. On a la tête dans le guidon et en même temps il faut prendre un maximum de recul pour faire un choix lucide. Il est impératif de beaucoup échanger entre associés, savoir entendre l’autre qui a un prisme différent, être hyper clair sur l’objectif final et accepter les arbitrages qui sont faits. Ensuite, il faut se méfier des solutions de facilité : ce n’est pas parce que l’argent abonde sur le marché du capital risque qu’il faut nécessairement se jeter dessus. Une levée en 2015 aurait été une catastrophe pour nous. Une levée de fonds constitue le Graal, le point d’arrivée, pour beaucoup d’entreprises alors qu’elle n’est qu’un moyen. Notre expérience prouve qu’elle ne doit pas être automatique et qu’elle ne se substitue en aucun cas à la capacité de l’entreprise à persévérer dans sa vision et son produit.
Axel Detours est cofondateur de Captain Wallet