Le numérique, et plus précisément les applications de livraison en ligne, répond aux besoins de consommateurs de plus en plus pressés et exigeants, qui ont développé de nouvelles habitudes de consommation : livraison à domicile, salade devant l’ordinateur ou pause déjeuner prise sur le pouce. Si les français ont moins de temps à consacrer à leurs repas, l’arrivée du digital a tout de même permis des améliorations dans le monde de la restauration. Ce sont du moins les conclusions tirées à la conférence Let’s Talk Food, organisée le 29 mai par Edenred et qui a réuni autour de la table Julien Tanguy, directeur général d’Edenred France, Stéphane Ficaja, directeur général d’Uber Eats Europe de l’ouest et du sud, et Danièle Gerkens, rédactrice en chef de Elle à Table.
Retour sur une discussion qui révèle que la food n’est pas qu’une histoire de cuisine, mais bien un enjeu transverse à toute notre société !
Manger plus vite et manger mieux
Lorsqu’Anette Burgdorf, journaliste et modératrice de la conférence Let’s Talk Food demande aux trois intervenants pourquoi avoir décidé de dédier la conférence à l’impact du digital dans le monde de la restauration, la réponse est unanime : les changements de consommation liés à l’alimentation sont représentatifs d’une transformation des usages généralisée à l’échelle de notre société. En effet, le digital a considérablement modifié nos cultures de consommation, et forcé de nombreux acteurs à s’adapter : Edenred, leader mondial des solutions de paiements dans le monde du travail et inventeur du programme Ticket Restaurant dans les années 1960, en a fait l’expérience. Pour ajuster son service aux nouvelles attentes des consommateurs, le géant du déjeuner a numérisé 80% de ses solutions, et abandonné petit à petit la version papier du programme Ticket Restaurant.
"La restauration, et donc Ticket Restaurant®, se sont retrouvés au croisement de deux révolutions, la Fintech, avec la révolution des moyens de paiements, et la Foodtech " explique Julien Tanguy. Il a donc fallu adapter l’accès à la restauration aux nouveaux moyens de paiement et de services. Et ces nouveaux moyens ont eux-même entraîné une modification sensible du rapport des Français à la nourriture. Selon Stéphane Ficaja, " En France, manger n’est pas un acte transactionnel mais émotionnel; ce qui n’a rien à voir avec d’autres formes de cultures. C’est un lien social essentiel dans notre société ".
L’acte émotionnel semble s’être transformé, selon les trois interlocuteurs, en acte pulsionnel. Ce constat est porté par le fait qu’il a fallu, pour les restaurateurs, s’adapter à la nouvelle temporalité imposée par les outils digitaux. En effet, dans un monde où tout va plus vite, les consommateurs n’ont plus envie d’attendre pour manger. Un paradigme surprenant lorsqu'on pense à l’ancrage de la tradition française autour des moments de repas. Danièle Gerkens résume ce phénomène ainsi : " Avant, le midi, on rentrait déjeuner chez soi, on allait sur son lieu de travail avec un repas préparé, dans un restaurant avec ses collègues ou acheter quelque chose dans une boulangerie. L’arrivée de services tels qu’Uber Eats répond à une envie profonde et nouvelle des consommateurs, qui ont besoin de calmer une forme de pulsion : lorsqu’ils veulent quelque chose, ils la veulent rapidement ". Stéphane Ficaja explique ce changement par deux tendances de fond : le monde va en effet de " plus en plus vite " grâce à de nombreuses applications qui réduisent considérablement le temps d’attente pour certains services (commander un taxi, avoir accès à du contenu en ligne, faire livrer ses courses…). Dans un deuxième temps, cette rapidité entraîne un changement d’exigence et d’expérience pour le consommateur : il souhaite plus de rapidité, mais aussi plus de choix. Car le temps gagné sur le fait d’aller à la boulangerie du coin, au restaurant ou de se cuisiner son repas de midi la veille au soir pour le mettre dans un Tupperware est exploité d’une autre manière : prendre le temps de réellement choisir ce que l’on mange.
Alors, si l’arrivée du digital a modifié notre rapport au temps du déjeuner, il a quand même provoqué, semble-t-il, de bonnes choses : un niveau de conscience plus élevé des consommateurs, et donc un engagement plus fort sur les questions de bien-être et de santé.
Le digital, nouveau rempart contre la malbouffe et le gaspillage ?
Si traditionnellement, se faire livrer à domicile rimait avec sushi ou pizzas, la donne est en train de changer. En effet, la démocratisation de la livraison sur tous types de restaurants commence à modifier les habitudes alimentaires.
Pour Julien Tanguy, directeur général d’Edenred France, l’heure est à la diversification de la consommation du repas livré: " le digital et la livraison permettent l’accès à plus de diversité. Le fait de pouvoir prendre son temps pour choisir permet de chercher une offre plus large et plus diverse. Cette évolution du digital représente une réelle opportunité pour les utilisateurs qui souhaitent mieux manger ". Et la tendance va dans les deux sens : les restaurateurs sont de plus en plus nombreux à suivre le mouvement et à développer une offre plus diversifiée, qui correspond mieux aux nouvelles attentes des clients en termes d’alimentation. " On accompagne beaucoup les restaurateurs qui doivent s’adapter aux tendances du bio et de la nourriture saine. Il y a une vraie demande du sans gluten, de repas végétarien ou végétalien… Les gens se demandent ce qu’ils mangent, d’où proviennent leur repas et surtout, si c’est sain pour leur corps. Le choix proposé par les solutions digitales de livraison permet d’inverser la tendance de la malbouffe, en faisant découvrir de nouveaux produits aux consommateurs. " explique Stéphane Ficaja.
Et au-delà de manger sain, ces utilisateurs ont d’autres attentes : connaître les conditions de production des repas livrés, l’emballage, l'empreinte carbone du moyen de livraison…
Selon Julien Tanguy, le digital permet de découper la chaîne de valeur en de multiples maillons qui peuvent s’agréger les uns aux autres afin d’améliorer le circuit. Il explique
" Aujourd’hui, il y a aussi la notion de lutte anti-gaspillage. Beaucoup de startups réfléchissent sur ces sujets : comment on fait pour ne pas avoir d’invendus, comment valoriser au maximum son actif. Par exemple : comment faire pour livrer les repas dans des emballages biodégradables ? On est en train de réfléchir à la question des consignes, afin de remettre le contenant au cœur du circuit. ".
Développement de labels, notion de traçabilité... Toutes ces initiatives se développent pour répondre, selon les trois interlocuteurs, à un réel besoin de transparence de la part des consommateurs. Car ces enjeux là, au vu de la massive prise de conscience sociétale autour des enjeux de l’écologie, pourraient bien être ceux de l’alimentation de demain.
Le restaurant est mort, vive le restaurant !
La crainte la plus fréquemment exprimée depuis le développement à vitesse grand V des services de livraison de repas, que ce soit au travail ou à domicile, est celle de la désertification des restaurants. Alors, les restaurants vont-ils se vider à mesure de l’utilisation grandissante d’applications telles que Uber Eats ?
Et bien les intervenants de Let’s Talk Food ne sont pas de cet avis. Pour Stéphane Ficaja, les restaurateurs voient les applications " non pas comme des concurrents mais comme des porteurs de service. Ils s’ouvrent à un nouveau monde car la livraison représente des revenus additionnels pour les restaurateurs. ". Le digital, bien loin de menacer le business de la restauration, viendrait, semble-t-il, le soutenir, en complétant l’offre de services originellement proposée par le restaurant.
Julien Tanguy va plus loin : " Je ne crois pas qu’on va vers une désertification des restaurants, au contraire ! On se fait livrer, certes, mais on sort encore beaucoup : 30 % des salariés vont encore au restaurant le midi. Le digital propose juste une offre supplémentaire : les gens ont accès à des restaurants qu’ils ne connaissaient pas forcément, ce qui entraîne une forme de bouche-à-oreille entre les utilisateurs. Les apps de livraison aident par ailleurs les restaurateurs à toucher une population de consommateurs qui n’était pas forcément dans leur champ de vision ! " Pour lui, les restaurants, du moins ceux des centres urbains, n’ont rien à craindre : " le challenge est à présent plus d’augmenter le panier moyen que de remplir son restaurant. Le digital aide à servir plus que les 30 ou 40 couverts servis en salle." Il évoque aussi le fait que les gens ont perdu l’habitude de se faire à manger, ce qui génère de plus en plus de flux vers les restaurants.
Un autre aspect est soulevé par Danièle Gerkens : celui de la communauté des influenceurs, qui auront toujours besoin de restaurants " en dur " pour pouvoir alimenter leur feed Instagram. Elle explique qu’à présent, " l’instagrammabilité " d’un restaurant est un des critères les plus importants pour certains consommateurs, qui ont des postures de prescripteurs puissants sur la toile.
Alors certes, le restaurant survit, mais il doit être repensé : il ne peut plus exister de la même manière. Les restaurateurs doivent aujourd’hui adapter leurs produits - en proposant plus de bio, et en embrassant la tendance " healthy "; ajuster leurs services - avec la possibilité de livrer leurs consommateurs à n’importe quelle heure du jour et de la nuit; et doivent être social media compatibles - être dotés d’un cadre permettant de faire une belle photo Instagram.
Maddyness, partenaire média d’Edenred