Conçue à partir d'un algorithme qui sépare les différents sons d'une partition, NomadPlay peut faire "disparaître" les notes de hautbois, de basson ou de piano d'une oeuvre pour permettre à l'utilisateur de se substituer virtuellement à un musicien de l'orchestre. "Quand nous étions jeunes, nous nous sommes tous entraînés sur des disques pour avoir l'impression de jouer avec l'orchestre de Vienne ou de Berlin. C'était très flatteur", affirme Renaud Capuçon, violoniste français de renommée internationale.
"Or c'était un cauchemar car quand les parents nous entendaient jouer, ce n'était pas du tout la même chose !", plaisante l'artiste de 43 ans. Mais grâce à cette application, "on est accompagné d'un orchestre tout seul dans sa chambre, c'est extraordinaire", souligne-t-il. "NomadPlay", c'est le "bébé" de la startup parisienne Digital Music Solutions, lancée il y a cinq ans par Clothilde Chalot et Hannelore Guittet. L'application, téléchargeable gratuitement sur téléphone et tablette, offre un catalogue d'albums, de la Symphonie no. 5 de Beethoven à la Fantaisie en fa mineur de Schubert. Amateurs et professionnels peuvent ensuite acheter les
morceaux entre 5 et 20 euros.
"Soutien harmonique", façon karaoké
Renaud Capuçon, devenu "ambassadeur" de l'appli, en a fait récemment la démonstration au Festival de Pâques qu'il a créé à Aix-en-Provence : sélectionnant le Quatuor à cordes de Ravel, il appuie sur le symbole "violon" pour en "effacer" le son et joue de son instrument tout en étant accompagné par le reste de la partition digitale.
Un concept qui rappelle en partie le karaoké, dont les adeptes vocalisent le temps d'une chanson à la place de l'interprète habituel, en profitant de l'environnement musical de la partition d'origine. Mais en nettement plus élaboré. La recherche sur NomadPlay se fait soit par niveau (débutant, intermédiaire, confirmé et expert), soit par instrument, soit par compositeur. On peut accélérer ou diminuer le tempo, répéter en boucle des notes et même annoter la partition.
Renaud Capuçon voit un grand intérêt pédagogique dans cette application : les musiciens en herbe peuvent "apprendre l'oeuvre plus rapidement avec ce soutien harmonique". Et pour des professionnels comme lui, un tel système représente aussi un "gain de temps énorme". "Quand finalement vous allez répéter avec les autres, vous avez déjà les réflexes acquis".
Menuhin et Rostropovitch ?
Il relativise tout de même le côté instantané de l'apprentissage. "Ce n'est pas parce avec ça qu'on va devenir Menuhin ou Rostropovitch". "Si l'élève ne travaille qu'avec l'application, on pourrait dire que c'est dangereux... Mais du point de vue de l'accélération du travail, c'est extrêmement positif", estime le violoniste. Curieuse sensation que d'être accompagné d'une tablette mais, note-t-il, "ce n'est pas robotique".
Pour Marc Bourreau, enseignant chercheur à l'école d'ingénieurs Télécom ParisTech, les applications dédiées à la musique - pour écouter, mixer ou éditer - sont devenues de plus en plus sophistiquées. "Cette évolution favorisée par le numérique efface la frontière entre créateur/artiste et consommateur", dit l'expert. Et à une époque où "les enfants grandissent avec leurs tablettes, il faut donner à la musique ce côté technologique et ludique pour qu'ils aient envie de s'y intéresser", relève Dominique Bluzet, directeur exécutif du Festival de Pâques.
Les concerts ne sont plus aujourd'hui la seule porte d'entrée pour attirer la jeune génération vers la musique, souligne-t-il. NomadPlay, qui collabore actuellement avec l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, l'Orchestre national d'Ile de France et l'Orchestre de Rouen-Normandie, espère élargir son répertoire en septembre pour avoir plusieurs versions d'une même partition jouée par des orchestres différents. "On pourra essayer le tempo de tel ou tel autre chef ; une préparation qui permet plus de flexibilité pour les musiciens", précise Renaud Capuçon.
Répéter n'importe où
Pour Mme Chalot, l'appli offre en outre une seconde vie aux albums. "Nous voulions trouver un nouveau modèle économique pour la musique enregistrée qui existe depuis 100 ans", dit cette femme de 38 ans qui a
notamment travaillé à l'Opéra de Paris et à l'Opéra de Rouen Normandie. "On dit aux labels indépendants et aux majors +c'est aussi un moyen de faire connaître vos artistes+", précise-t-elle, ajoutant qu'il y aura bientôt
des versions web avec une proposition d'abonnement. Une dizaine de personnes ont oeuvré au sein de cette startup, soutenue par le fonds d'investissement CM-CIC Innovation et le ministère de la Culture, pour créer cette appli NomadPlay qui, comme son nom l'indique, permet de répéter n'importe où.
"Le jour où on a fait les premiers tests, j'ai pleuré, c'était magnifique...", se souvient Mme Chalot. Le catalogue proposé est actuellement "classique", mais des négociations sont en cours avec des producteurs indépendants de pop-rock, pour "s'ouvrir à tous les genres".