Maddyness : Vous étiez startupper, vous êtes devenu secrétaire d’État chargé du Numérique. Jusqu’ici on voit le lien. Maire de Paris, c’est moins évident. Aujourd’hui vous considérez-vous pleinement comme un politique ? Avez- vous totalement laissé derrière vous l’entrepreneuriat ?
Mounir Mahjoubi : Mon métier, c’est d’être entrepreneur, c’est la seule chose que je sais faire. Je ne pense pas qu’il faille faire de la politique un métier ou que mon métier soit maire de Paris. À mon sens, le principe d’une élection est de prendre le pouvoir pour ensuite le rendre au peuple. Pour cela, chaque candidat a sa méthode, la mienne est celle d’un entrepreneur qui vient d’un quartier populaire. Je continuerai à travailler comme je l’ai toujours fait, comme l’entrepreneur que je suis. Lorsque j’étais secrétaire d’État au Numérique, j’ai par exemple introduit les open-spaces à Bercy et le principe de faire beaucoup avec peu de moyens. Je pense d’ailleurs que l’on peut tout à fait appréhender la ville comme on le ferait pour une startup : il faut agir localement, faire participer les habitants de la même manière que l’on fait participer les clients dans une entreprise. Le pouvoir municipal ne doit pas être centralisé, il faut co-construire avec les habitants.
Comment cela se traduit-il ?
Dans une startup, on s’adapte aux clients, il faut faire pareil à l’échelle de la cité. Pour cela, il faut réintroduire de la proximité entre la ville et ses habitants. Créer du lien, notamment grâce au numérique. Comme une startup cible son audience, une mairie doit connaître ses habitants et trouver le meilleur moyen de répondre à leurs besoins. Cela passe par le découpage de la Ville de Paris en 240 quartiers dans lesquels les habitants pourraient créer un lien avec les agents municipaux qui s’en occupent. On parle par exemple beaucoup de propreté, mais les citoyens ont peu de visibilité sur ce que fait la ville à ce niveau. Je pense à une application qui permettrait aux habitants d’un quartier de voir quels sont les cantonniers qui sont en charge de leur zone d’habitation et à quel moment ils le font.
De manière générale, il faut impliquer les habitants dans la vie et l’évolution de leur quartier. Dans des arrondissements comme le 11ème ou le 15ème, très résidentiels, les habitants et les commerçants doivent être systématiquement mis au coeur des décisions qui les concernent en premier lieu. Dans des endroits beaucoup plus touristiques, il faut également intégrer les besoins des visiteurs. Paris reste une ville touristique, nous avons besoin d’eux, nous les aimons !
Vous parlez de tourisme. Mounir Mahjoubi maire de Paris entérine-t-il la lutte contre Airbnb ?
Airbnb recouvre différentes réalités et il est important de les distinguer. En premier lieu, c’est une activité légale et très positive pour les Parisiens qui louent une chambre ou leur bien quelques jours par an lorsqu’ils ne sont pas là. L’économie collaborative permet un complément de revenu pour nombre de Parisiens et c’est une bonne chose. En tant que maire, je ferai en sorte de favoriser les plateformes de logement chez l’habitant, Airbnb entre autres, parce qu’elles participent à l’activité de la ville.
En revanche, il y a des détournements : des gens achètent des logements dans le seul but de les louer. Ca, c’est de l'hôtellerie déguisée et c’est illégal. Pire, on constate dans certains cas une industrialisation de la fraude avec des personnes qui détiennent des dizaines d’appartements exclusivement réservés à Airbnb. Il faut lutter très sévèrement, mener des enquêtes pour identifier ces fraudeurs et la mairie de Paris doit systématiquement se constituer partie civile dans ces dossiers. Aux propriétaires qui ont investi beaucoup d’argent, je veux dire qu’il existe des solutions pour rentabiliser leur achat : ils pourraient par exemple mettre ces logements en gérance auprès de la mairie qui se chargera de les louer auprès des populations les moins aisées et garantir ainsi un revenu aux propriétaires. En revanche, je serai sans merci pour ceux qui continuent à frauder.
L’inclusion numérique était l’un de vos combats lorsque vous étiez secrétaire d’Etat au Numérique. Le serait-ce encore si vous devenez maire de Paris ?
C’est un enjeu majeur ! En effet, 20% de la population française n’est pas à l’aise avec le numérique mais ce chiffre est beaucoup plus élevé dans les milieux ruraux, les quartiers populaires ou au sein des populations immigrées ou des seniors. Pour eux, chaque nouveau service numérique est vécu comme un nouveau problème à régler. Cela crée également de la frustration : ils ne peuvent pas profiter de ce à quoi les autres ont si facilement accès. Il faut donc les former, structurer un vrai réseau d’accompagnement numérique. L’État en a construit les bases avec la politique de médiation numérique que j’ai portée en tant que secrétaire d’État, c’est maintenant aux collectivités de prendre le relai. En cela, le ou la maire de Paris aura une responsabilité. Il faudra cibler les quartiers où les habitants ont le plus besoin d’aide sur ces sujets et y créer des " lieux d'accueil numérique ".
Multiplier de tels lieux représente un investissement pour les collectivités mais il faut en souligner les bénéfices : à raison de 200 ou 300 euros investis par habitant à former, entre 50 et 80% de ceux qui ont bénéficié de cette formation sont ensuite autonomes et n’ont plus besoin de solliciter les agents publics pour des actions qui ne le nécessitent pas. Le numérique permet ainsi de simplifier les tâches administratives. J’ai dernièrement fait une permanence dans une CAF de ma circonscription (NDLR : le 19ème), c’est terrible de voir tous ces gens qui font la queue des heures pour simplement remplir un document. C’est une véritable perte de valeur à la fois pour les actifs qui sont souvent obligés de poser une demi-journée de congé et pour les chômeurs qui, pendant ce temps-là, ne peuvent pas chercher du travail. C’est du temps volé à la vie des gens ! Il faut concevoir les services de la mairie autour du numérique et former ceux qui ne savent pas s’en servir.
Il faut aussi avoir conscience de la rupture de qualité des chances qu’engendre le numérique. Pendant que certains enfants, dont les parents sont des cadres supérieurs ou des entrepreneurs, passent des après-midis entières à prendre des cours de code dans des écoles privées ou via des programmes de startups et à comprendre ainsi comment fonctionne le numérique, d’autres ne bénéficient que des quelques heures annuelles dispensées par l’école publique. Il faut créer des programmes plus mixtes.
Si l’ancien secrétaire d’État au Numérique devient maire de Paris, n’y a-t-il pas un risque de centraliser encore un peu plus l’écosystème startup dans la capitale ?
L’enjeu pour Paris, c’est plutôt d’arriver à retenir ses startups ! Nous avons travaillé avec la French Tech à créer les capitales French Tech pour valoriser les écosystèmes régionaux dans lesquels émergent de nombreuses pépites. Mais Paris doit être la base des startups pour conquérir le monde. C’est la ville de l’accélération, où l’on nourrit la croissance et l’hyper croissance. Le problème, c’est qu’il y a peu de foncier disponible pour accueillir et retenir ces scaleups. Pour cela, il faut que la ville soit un acheteur des innovations, qu’elle s’oblige à acheter innovant en adaptant ses processus d’achat. On ne peut plus faire des appels d’offres à 30, 50, ou 200 millions d’euros auxquels les startups ne peuvent pas répondre. Il faut mobiliser l’innovation sur des sujets comme la sécurité, la mobilité ou l’alimentation. C’est ce qui permettra aux startups de grandir de façon pérenne et responsable.