Imaginez un instant que vous n’ayez plus à décliner votre identité pour accéder à des services personnalisés, que vos données personnelles soient à tout moment sous votre contrôle et que leur usage, anonyme, se fasse au sein de nouveaux écosystèmes entièrement transparents pour vous. Imaginez qu’en tant qu’utilisateur, le pouvoir vous soit véritablement rendu. Que la technologie redevienne libératrice et force de progrès.
Utopie ? En vérité, aucune barrière technologique n’empêche aujourd’hui la concrétisation de tels projets. En cela, l’arrogante réussite des GAFA et de leurs obscurs golems algorithmiques ne doit pas nous aveugler et nous enfermer dans leur dialectique passéiste.
Car ce qui pose en réalité problème dans leur modèle, c’est l’absence d’éthique, cette exigence de conscience dans la collecte et l’exploitation de nos données, car nous lui sacrifions aujourd’hui notre liberté.
Liberté, je chéris ton "non"
Pour survivre à leur hégémonie comme pour échapper à leur addiction, il nous faudra tout d’abord réapprendre à dire " Non ", à formuler l’inacceptable.
Ce qui est inacceptable, c’est qu’à l’abri du miroir sans teint de leurs Conditions générales d’utilisation - ce voile indigeste que nous posons en un clic sur nos consciences -, leurs algorithmes s’évertuent silencieusement à nous cartographier avec le risque qu’un jour, comme l’écrit Damien Leloup dans Le Monde nous nous habituions tous à la surveillance de masse.
Ce qui est inacceptable c’est de laisser ces algorithmes façonner à leur guise des personae, des doubles numériques de nous-mêmes, des " Moi " de synthèse, instagrimmés, défaits de leur humanité, de leur complexité, réduits à leur " utilité " de consommateur avec le risque que demain, nous nous prenions réellement pour eux.
Ce qui est inacceptable c’est de s’en remettre à ces mêmes algorithmes pour décider de l’information que nous recevons ou pas, de laisser grande ouverte la porte à leurs Ghost in our shells avec le risque que demain en suprêmes directeurs de conscience, ils décident pour nous.
Science sans conscience...
Sydney J. Harris avait parfaitement raison, " le vrai danger, ce n'est pas quand les ordinateurs penseront comme les hommes, c'est quand les hommes penseront comme les ordinateurs ". À l’heure où certains fantasment sur l’intelligence artificielle, nous avons confié à des machines sans âme le soin de conduire nos consciences. Si nous nous adonnons à de telles facilités ou évidences, nous devrons accepter demain qu’un véhicule autonome - sans conducteur - décide de tuer le passager ou le piéton en fonction de sa notation sur un réseau social.
À la promesse initiale d’un web libérateur et accélérateur de progrès - qui ne peut être évalué qu’à l’aune du bien commun - a succédé une prise d’otages et mise en coupe réglée de nos vies digitales qui ont aujourd’hui une emprise insupportable sur notre vie tout court. Nous devons refuser cette vision. Certes, le réseau social n’est pas l’ennemi, mais il est urgent qu’il remette l’humain en son coeur pour devenir un réseau sociétal.
Et si nous voulons un jour véritablement recouvrer notre liberté, nous acteurs du web de demain devrons nous souvenir de ce temps heureux où les pères fondateurs du web d’hier n’avaient pas sacrifié nos consciences au mercantile ni imaginé un web, privé de cette part essentielle de nous-mêmes qui est notre belle humanité.
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Guillaume Berger débute sa carrière de journaliste dans la Presse quotidienne régionale au Dauphiné Libéré en 1997. Il collabore notamment aux pages multimédia et société du Figaro et du journal Le Monde avant de devenir Rédacteur en chef du magazine économique i-entreprise (Polka Press) en 2001. En 2005 il co-fonde et assure la Direction de la Rédaction de la revue Télécinéma avant de s’orienter dans la communication. Directeur conseil, puis Directeur d’agence de publicité jusqu’en 2016, il crée Karmapolis en juillet 2017 avec l’objectif de proposer un nouveau projet de sociétal pour le web.