Outils et conseils par Jean-Baptiste Cousin
20 décembre 2018
20 décembre 2018
Temps de lecture : 1 minute
1 min
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Levée de fonds, de l'autre côté du miroir, épisode 1

Entrepreneurs, vous êtes en pleine levée de fonds et vous pestez contre les exigences et process de vos investisseurs potentiels ? Prenez quelques minutes pour découvrir l'autre côté du miroir, décrit par le menu par Jean-Baptiste Cousin, CFO du Hardware Club.
Temps de lecture : 1 minute

On entend désormais prononcer le terme de levée de fonds à chaque coin de rue. On pourrait parler d’euphorie (de frénésie aussi, sûrement). Ces deux articles auront pour but de mettre en lumière une certaine partie du métier d’investisseur, souvent délaissée, mais aussi et surtout de proposer des outils pratiques pour fluidifier et simplifier les échanges entre la startup candidate et l'investisseur - aussi bien pendant la phase d'étude dite « pré-closing » (article 1) qu'après la réalisation de l'investissement, période dite « post-closing » (article 2).

Un point de contexte tout de même avant de commencer. Le venture capital (la première brique de financement dite professionnelle) peut se passer de l'intervention d'un leveur de fonds ou d'une boutique M&A (des accompagnateurs conseils côté startup). On observe donc des opportunités d'investissement qui se concluent directement entre la société en recherche de financement et son "financeur". À tort ou à raison ? En tout cas, au Hardware Club, on considère que la startup peut s'en passer (100% du portefeuille s'est fait sans, d’ailleurs). Le propos développé ici pourra justement servir de guide dans ces conditions particulières.

Aussi, il peut être intéressant de commencer par définir le rôle du DAF (Directeur Administratif et Financier) de fonds en quelques mots, simplement pour comprendre sa position sur l'échiquier et ainsi son point de vue. Il est notamment en charge du reporting (de toutes sortes, c'est formidable), de la conformité et de la déontologie - qui sont omniprésentes dans le métier d'investisseur en capital. Que cela signifie-t-il dans la pratique ? Il est un acteur omniscient de la procédure d'investissement, il voit et entend tout sur les sociétés étudiées sans être tout le temps actif pour autant. Une sorte de garde-fou pour épauler l'équipe d'investissement sur les questions administratives, financières et réglementaires. Il est aussi le garant du respect des obligations légales (et contractuelles) découlant intrinsèquement de la profession. C'est aussi un point pivot entre les investisseurs du fonds (hé oui, nous aussi avons nos propres investisseurs ! Les « LPs » - se prononce « L-piz »), et le régulateur national (l'Autorité des Marchés Financiers – se prononce comme se lit).

Ce que je vous propose pour les cinq prochaines minutes, c'est de plonger ensemble dans le quotidien de l'investisseur, pour comprendre notamment les prérogatives liées à sa profession mais aussi ses attentes (et non pas ses caprices). Vous trouverez aussi un certain nombre d’outils pour vous simplifier la vie en période de levée.

Pendant le closing, le contexte réglementaire de l'investisseur

Si je vous dis "investisseur", vous penserez probablement à un homme d'une quarantaine d'années, chemise parfaitement blanche, jean bien taillé, petit foulard gentiment croisé au cou, toujours un peu en retard, qui pose ses deux iPhones l'un sur l'autre quand il s'assoit à la table du restaurant presque chic où il vous a donné rendez-vous. On peut alors effectivement penser que sa vie au bureau doit être tout aussi sympathique : les deux pieds sur le bureau, à passer sa journée au téléphone avec les entrepreneurs les plus prometteurs de leur génération. Même si certaines choses sont vraies, son quotidien est bien différent du tableau dépeint. Et bien que le "VC" (venture capital) soit l'acteur le plus détendu de la chaîne des investisseurs en capital, son quotidien n'en est pas moins structuré, formalisé et contraint.

De manière générale, parce que l'investisseur gère l'argent de tiers, il doit suivre des procédures très claires et précises, au quotidien. Au Hardware Club, on en compte plus d'une trentaine (code de déontologie, conflits d'intérêts, incidents et alertes éthiques, encadrement des abus de marché, lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme, suivi des investissements...). Un ensemble de gardes-fous, donc, pour garantir la gestion saine et honnête des millions d'euros confiés par les actionnaires du fonds. Ces obligations d'organisation et les nombreuses procédures proviennent directement du gendarme national, l'Autorité des Marchés Financiers, notamment via son règlement général (une lecture passionnante avant d'aller se coucher). Et aussi du gendarme européen, l'European Securities and Markets Authority - ou ESMA. Ici il faut bien comprendre que l'ensemble des acteurs économiques qui ont pour activité principale de fournir des services ou conseils en investissement sont régis par des règles (quasi) similaires, quelle que soit leur taille, aussi bien un petit fonds VC de quelques dizaines de millions d'euros qu'un fonds doté de plusieurs milliards.

Je vous propose de nous attarder sur un seul volet de la réglementation, à titre d’exemple (rapidement, promis), celui qui touche directement la startup candidate lorsque celle-ci entre dans la phase finale du processus d'investissement : la lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme (LCB-FT). Pourquoi cette réglementation en particulier ? Car c'est l'une des plus contraignantes en matière de collecte d'informations et parce que c'est celle qui préoccupe le plus les régulateurs en ce moment (AMF, fisc, ESMA...). Bref cadrage : la réglementation en matière de LCB-FT a fortement évolué au niveau international notamment sous l'impulsion du Groupement d'Actions Financières) - ou GAFI. Si le régulateur renforce la législation, il n'en supporte cependant pas les lourdeurs d'application, confiant la collecte d'informations et les contrôles de premier niveau aux agents économiques directement, à savoir, ici, les fonds d'investissement - on remercie le geste très altruiste du régulateur.

Concrètement, comment cela se traduit-il ? Le fonds doit être capable, en amont de son investissement, d'identifier précisément la provenance et la destination des flux d'argent du tour de financement auquel il participe. Il en est de même pour les "bénéficiaires effectifs" de la société : "toute personne physique détenant directement ou indirectement 25% du capital et des droits de votes ou toute personne physique qui exerce un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d'administration ou de direction", selon le Code monétaire et financier. Dans les faits, le fonds doit demander la pièce d'identité des fondateurs (jusque-là, tout va bien), des potentiels business angels co-investisseurs mais aussi des dirigeants des autres fonds co-investisseurs. Avec ce procédé, on identifie la personne physique en bout de chaîne. Mais il faut aussi identifier les personnes morales (entités juridiques) intermédiaires. Pour ce faire, la collecte de Kbis ou des statuts est nécessaire. Il est important de noter que ces obligations demeurent même si le fonds investit dans une startup étrangères, aux côtés de fonds étrangers.

J'ai choisi cet exemple précis pour montrer que, côté startup, certaines demandes ou questions peuvent parfois paraître absurdes mais que ces dernières ne sont en fait que les fruits de contraintes réglementaires et légales.

 

Le contexte opérationnel

Autre contexte. Allons voir du côté des opérations. Il y a un chiffre qui paraît être pertinent pour se figurer le contexte opérationnel d'un fonds : son vivier d'opportunités d'investissements (communément appelé le dealflow). Au HWC, nous balayons 30 nouveaux dossiers par semaine, le lundi, en équipe, de manière collégiale, pendant trois heures. Sur chacun des dossiers, nous appliquons notre grille d'évaluation, nos critères d'investissement, notre analyse. Je ne reviendrai pas sur comment rédiger un pitch deck, le tout premier document que vous envoyez aux fonds pour accrocher leur intérêt, la littérature sur le sujet est plus que pléthorique.

 

Trente, c'est donc le nombre de nouveaux entrants par semaine. En parallèle, vous avez les meilleures startups candidates des semaines passées (une dizaine en cumulé), sur lesquelles le fonds approfondit son étude. Enfin, on trouve les startups déjà en portefeuille (entre 20 et 40, généralement), qu'il faut suivre de près, pour leur offrir le meilleur accompagnement possible. Autant dire que les agendas sont tendus et donc que le temps accordé à chaque dossier (quel que soit son stade) est limité.

Alors imaginons maintenant que, pour chaque dossier à l'étude, les discussions entre le fonds et les dirigeants s'intensifient : échanges de mails, rendez-vous téléphoniques, visites de sites, envois documentaires, prises de références... et que chaque information reçue de la startup doit être analysée, vérifiée, enrichie (c'est le métier du fonds)... Nous sommes d’accord, cela peut devenir un vrai sac de nœuds. Avec comme risque principal de se perdre dans des considérations non stratégiques si personne ne prend le temps de structurer un minimum la relation.

En synthèse : l'investisseur n'est pas libre de ses mouvements et rend des comptes à des organisations nationales et internationales ; le temps est aussi une denrée rare chez les investisseurs ; un certain effort de formalisme est donc nécessaire pour garantir la qualité des informations et leur accessibilité.

 

La boîte à outils de l'entrepreneur pour se faire bien voir

Voici quelques réflexes faciles à mettre en place, qui vous feront gagner du temps et permettront à votre dossier de se distinguer.

Organisez vos documents

  • Créez une chambre de données (" dataroom ") sur Dropbox ou Drive ou même Mega.nz (tous gratuits)
  • Pensez l'architecture en amont (ou sinon inspirez-vous de la proposition ci-après)
  • Nommez un responsable, en charge du dépôt, du suivi et du contrôle des éléments
  • Prenez le temps de bien renommer les documents déposés, pour que tout le monde s’y retrouve en un clin d’œil (ex : datedeversion_nomdudocument)
  • Idéalement, tenez un index à jour de vos dépôts/retraits, que vous laissez en racine de la dataroom

 

Peaufinez votre table de capitalisation...

  • Pensez à bien séparer les différents tours de financement déjà réalisés, en colonne, pour qu'en un coup d'œil on puisse en percevoir le nombre ainsi que le montant levé par tour
  • Catégorisez les porteurs de parts sociales, en blocs, en quatre catégories : fondateurs, management, Business Angels, investisseurs professionnels. En indiquant bien le total détenu par chaque bloc, en volume et en pourcentage
  • Matérialisez bien le pool de BSA/BSPCE déjà émis et les parts déjà souscrites
  • Précisez la valeur " pre-money " et la valeur " post-money " de chaque tour, la valeur nominale et la prime d'émission

... et votre prévisionnel

  • Jouez le jeu à fond (même si on sait qu'un prévisionnel se réalise rarement)
  • Prenez le temps de détailler chaque poste (salaires, R&D, frais généraux...)
  • Et surtout, travaillez votre flux de trésorerie (cashflow), c'est-à-dire le tableau mensuel des entrées/sorties de cash
  • Pensez aussi à bien faire apparaître le burn rate (montant de cash utilisé chaque mois) ainsi que le runway (nombre de mois avant d'arriver à la pénurie de cash)
  • Et si vraiment vous êtes déterminés, proposez 2 à 3 scénarios de l'ensemble de ces éléments (mauvais, neutre, bon)

Définissez votre roadmap en amont

  • Modélisez des scénarios (probabilité de succès : basse, neutre, haute), au moins on ne pourra pas dire que vous n'aviez pas anticipé
  • Prenez le temps de rédiger votre plan de déploiement, de manière détaillée et pratique car les concepts, c'est bien, mais l'exécution, c'est mieux !

Faites-vous aider pour vos bilan et compte de résultat

  • Appelez votre comptable (vous en avez forcément un) et demandez-lui la "plaquette" à date
  • Ne soyez pas frileux à l'idée de bosser sur une clôture intermédiaire. Ce n'est pas sexy mais très utile
  • Commentez les éléments comptables communiqués pour donner du sens aux chiffres passés, tout simplement

Préparez un pitch deck étoffé :

  • Enrichissez certaines slides du pitch deck pour donner de la matière aux investisseurs candidats Les plus importantes ? Les personnes clés de votre équipe, la technologie, la roadmap

Choisissez avec soin les personnes qui rencontreront les investisseurs

  • Plus de 2 personnes, c'est osé (et ça ne sert à rien)
  • Préférez des rendez-vous thématiques (stratégie, produit, techno...) où le CEO vient accompagné du directeur correspondant
  • Et surtout préparez vos directeurs en amont, l'exercice n'est pas si naturel (cela évitera à tout le monde certaines situations gênantes)

Respectez l'agenda de l'opération ou communiquez sur les changements

  • Soyez transparent et assumez les potentiels changements d'agenda pour que l'investisseur puisse anticiper et s'adapter

Ces outils ont un but premier de permettre à la startup candidate d'économiser un temps précieux, de délivrer des informations claires et précises et de rendre son process extensible pour gérer plusieurs fonds en même temps (ce qui est très fréquent).

En conclusion, nous l’observons chez les entrepreneurs qui lèvent pour la deuxième ou troisième fois : une meilleure connaissance du process d’investissement ainsi que celle de la vie de l’investisseur sert toujours la qualité des échanges et maximise les chances de succès de l’opération. Alors, évidemment, il y a encore beaucoup à développer mais c’est déjà un début !

 

 

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