" Il y a des jours dans la vie d’un homme qui comptent, et il y a les autres. Aujourd’hui, c’est les autres…" avait l’habitude de dire les lendemains de fête - à l’époque aujourd’hui lointaine où nous étions étudiants - un ami, dont je tairai le nom pour ne pas ternir l’image de père respectable qu’il a réussi à bâtir au fil des années.
Je ne pensais pas exhumer cette citation qui m’a toujours fait marrer pour la transposer à ma vie d’entrepreneur, mais force est de constater avec un peu de recul qu’elle s’adapte pile-poil à notre campagne de crowdfunding en cours et plus généralement à notre levée de fonds.
Une campagne de crowdfunding, c’est en effet les " roller coasters " pour ne pas dire les montagnes russes quand on a une ambition internationale avec sa startup : il y a des jours d’euphorie, où l’on se dit que la réussite du jour est la pierre fondatrice du notre futur succès, et il y a les autres, ces jours de gueule de bois où au mieux rien ne se passe, au pire, tout foire.
Comment j’ai appris à oublier mon orgueil (démesuré) d’entrepreneur
Si je parlais la semaine passée de " marathon de la séduction polygame " (il ne faut pas séduire un, deux ou trois investisseurs professionnels – mais des dizaines d’investisseurs potentiels, qui souvent sont novices en la matière, en un temps limité), devenu le titre récurrent de ce billet, c’est que la drague permanente auprès des " petits " investisseurs de la plateforme de crowdfunding qui ont marqué un intérêt pour notre dossier en demandant l’accès à notre dataroom est un véritable marathon, et qui – comme toute opération de séduction - engendre des déconvenues et déceptions intenses.
Imaginez-vous célibataire participant à un speed-dating géant, débarquant en slip kangourou et charentaises : je vous le soulignais la semaine passée, nous avons commis l’erreur de débuter notre campagne tout nus, c’est-à-dire sans avoir agrégé les premières dizaines de milliers d’euros qui nous auraient dès le début rendus bankables, ou tout du moins qui auraient été rassurants pour les autres investisseurs.
Et bien c’est un peu ça le crowdfunding : sur 50 personnes rencontrées, vous allez laborieusement gagner deux ou trois petits bisous sur la joue – quelques investisseurs qui suivent l’aventure à hauteur de 1 000 - 2 000 euros, et avec un peu de chance, un baiser langoureux – 10 000 euros d’un coup, yeah !. Pour chaque baiser, c’est l’extase ; mais c’est la gueule de bois à chaque fois qu’on vous snobe. En reprenant les taux de concrétisation donnés ci-dessus, la somme de ces gueules bois peuvent faire la fortune de tous les fabricants de paracétamol. Si vous crowdfundez, mettez votre orgueil dans votre poche !
Mais concrètement, ça se passe comment ce speed-dating ?
D’abord, vous recevez un email de la plateforme vous annonçant qu’un investisseur potentiel demande un accès à votre dossier complet. Là, il faut être très réactif et lui ouvrir cet accès dans l’heure. Premières palpitations : et si c’était le bon…
Ensuite, vous tentez d’entamer la conversation en envoyant directement un email personnalisé à celui/celle que vous espérez être votre prochaine conquête pour lui proposer un rendez-vous. Et là, c’est dans la très grande majorité des cas une vaine attente. Seuls 5 à 10% des investisseurs répondent à cette sollicitation, et in fine, vous pourrez espérer embrasser la moitié d’entre eux. J’oublie quand même de vous dire qu’il arrive que le bonheur tombe du ciel : un investisseur avec qui vous n’avez même pas communiqué vous attrape par surprise, et vous embrasse à pleine bouche. Pas de mail, pas de coup de fil, pas de café…et paf, voici 5 000 euros.
Enfin, comme vous êtes quelqu’un de persévérant et que vous vous rappelez de cette personne que vous avez vainement draguée pendant 6 mois pour finalement vivre avec elle l’idylle de votre jeunesse, vous continuez à solliciter tous les investisseurs potentiellement intéressés en leur envoyant une newsletter hebdomadaire pour leur donner de vos nouvelles. " On ne sait jamais, sur un malentendu, ça peut marcher " disait Jean-Claude Dus, de Paris.
A force de grappiller des bisous par-ci, par-là, les choses avancent. Vous restez confiant, mais – ouch ! – il faut avoir un égo capable d’être ravalé jusqu’aux abysses de son estomac.
Une locomotive au tableau de chasse
Ce serait tellement plus simple si vous aviez à votre tableau de chasse – vous excuserez cette expression douteuse mais après plusieurs semaines de crowdfunding, on devient moins fin – un trophée d’envergure. Je me souviens de ce copain de lycée – encore un, dont je tairai aussi le nom, pas spécialement beau et au succès (très) modéré, qui lors d’une soirée est sorti avec Clémence, LA fille inaccessible pour laquelle nous, adolescents adeptes du Biactol – et pour les moins chanceux du Roaccutane, nous cachions un amour transi.
Du jour au lendemain, ce pote était devenu LE garçon à qui toutes les filles envoyaient des petits mots doux. Pour la peine, je ne lui ai plus jamais refilé mes devoirs de maths, faut pas charrier. J’en acquis la conviction que les filles étaient grégaires, avant de me rendre compte que cela concernait toute l’espèce humaine. Et les investisseurs faisant partie - je l’espère en tout cas - de l’espèce humaine, il convient donc de jouer sur cette grégarité. Il faut une locomotive à laquelle les wagons viendront naturellement d’attacher.
Dans cette perspective, vous sollicitez de gros business angels qui sont soit capables d’apporter un gros ticket, soit capables d’apporter un nom connu même avec un ticket " moyen ", caution pour votre projet et – j’oubliais de vous le souligner la semaine dernière – des clubs de business angels. Concernant ces derniers – les clubs de business angels - je vais là être très critique, donc une nouvelle fois, je tairai les noms.
Nonobstant les délais d’instruction des dossiers dignes d’une prise de décision pour changer la photocopieuse à la DDE des Bouches du Rhône et les conditions souvent unfair qu’ils imposent aux startup dans lesquels ils sont prêts à investir, mon constat amer est qu’ils regroupent souvent d’anciens cadres retraités de Grands Groupes en mal de sensations, dont les grilles de lecture reposent sur leur ignorance de l’entrepreneuriat en général, et de l’innovation en particulier. Certes, Puump! est un projet clivant (pour rappel, Puump ! est un service urbain de gonflage de pneus à la demande, via mobile, là où la voiture est garée) : il est facile de se projeter (" en aurais-je l’usage ? "), et nous rencontrons des retours très tranchés (" mais c’est génial, c’est qu’il me faut ! " / " expliquez moi pourquoi j’irais payer pour un service gratuit dans une station service ").
Dans le cas des clubs de business angels côtoyés, le " expliquez moi pourquoi " n’était pas de mise, car même si certains membres – les plus jeunes - des comités rencontrés étaient enthousiastes, les moins jeunes, je suis adepte de l’euphémisme, phagocytaient la discussion avec mépris " c’est absurde votre truc, personne n’ira payer pour gonfler ses pneus. La preuve, moi je ne le ferais pas. Au revoir monsieur !" . Belle leçon de marketing ; ça doit trembler dans les business schools. Oubliez donc ces clubs si vous avez une innovation servicielle ; ils préfèrent des projets très technos… ne les comprenant pas !
Bref, nous avons cherché notre locomotive parmi les gros business angels de nos réseaux, et comme je vous le disais, nous avons réussi à en impliquer quelques uns (merci à Fabien Prêtre, fondateur d’Easyflyer, Olivier Bernasson, fondateur de pecheur.com, Jean-René Alonso, fondateur de Remmedia…). Leurs noms ne sont pas des plus connus et leurs tickets restent modérés. Ce n’est pas encore la belle Clémence (désolé les amis) mais ses jolies copines quand même. Et c’est déjà ça !
L’effet " vu à la télé "
Cette jolie prose pour conclure sur l’effet " vu à la télé " : nous ne l’avons pas anticipé – mais l’espérions évidemment un peu au fond de nous -, le premier opus de ce billet dans Maddyness sur les coulisses de notre campagne de crowdfunding aura eu un impact très fort, générant des prises de contact prometteuses (et quelques messages démoralisants). Nous avions déjà vécu ce phénomène après la médiatisation de notre victoire au hackathon Volvo. C’est fascinant, l’impact que peuvent avoir les medias.
La semaine aura donc été intense en séduction polygame, donc en joies et gueules de bois, et consacrée parallèlement à la recherche de notre locomotive. À la semaine prochaine, où j’espère pouvoir vous annoncer nos fiançailles avec Clémence…
PS : si tu penses être notre Clémence, c’est ici https://www.smartangels.fr