Les grands groupes français rivalisent depuis trois/quatre ans dans la multiplication d’initiatives autour de l’innovation et du numérique : créations de labs, partenariats avec des accélérateurs, lancements de fonds d’investissement, concours d’innovation internes, startup studios, rachats de startups…
Il est cependant frappant de constater que les dirigeants de ces groupes sont bien à la peine de répondre à la question du retour d’investissement de toutes ces initiatives, surtout de manière consolidée, au delà d’éventuels effets d’image...
Inventer les métiers de demain implique un dispositif ad hoc.
La source de ce problème de retour sur investissement vient bien souvent d’un manque de cadrage du dispositif d’innovation, à qui l’on donne classiquement 3 objectifs : inventer les métiers de demain (rupture), mettre à la page l’existant (incrémental) et insuffler un esprit entrepreneurial dans l’entreprise (transformation culturelle). L‘erreur est ici que chacun de ces trois objectifs repose en réalité sur des dispositifs et des moyens très différents. Et, l’innovation de rupture étant évidemment la plus difficile, le barycentre du dispositif glisse facilement vers l’incrémental ou la transformation culturelle…
On se retrouve donc assez vite avec un dispositif d’innovation qui alloue mal ses ressources et est incapable de produire les résultats attendus sur les métiers de demain : manque de méthode et d’expérience entrepreneuriale, absence de talents au bon niveau (design, technologie, growth…), gouvernance inadaptée car trop imbriquée dans la politique interne et surtout des responsables de l’innovation qui viennent du sérail, ce qui est parfait pour l’incrémental ou la transformation culturelle mais inadapté à la rupture. C’est là qu’entre en scène l’entrepreneur corporate en résidence.
Qu’est-ce qu’un entrepreneur coporate en résidence ?
Classiquement, les entrepreneurs en résidence se croisent plutôt au sein de fonds de venture capital. Il s’agit d’entrepreneurs ayant déjà réussi un exit, donnant un « coup de main » rémunéré au fonds d’investissement (sourcing, évaluations, coaching des startup du portefeuille…) en attendant de développer une nouvelle entreprise de croissance, au capital de laquelle le fond pourra avoir une position privilégiée.
Le paradigme posé par ces VC expérimentés est que le premier moteur pour développer une innovation et l’amener à l’échelle et vers le succès, c’est l’homme ou la femme, son talent, ses compétences techniques et entrepreneuriales et son expérience. Qu’il vaut mieux sélectionner des personnes talentueuses que des dossiers d’investissement. Or ce qui manque dans les dispositifs d’innovation de grands groupes malgré les millions dépensés est souvent… ces entrepreneurs. La vérité est que sans eux, l’argent est dépensé en pure perte.
L’entrepreneur corporate en résidence est un rôle qui prend de l’ampleur aux Etats-Unis et arrive en Europe. Leur profil est double, ce qui rend leur recrutement particulièrement complexe : ils doivent avoir une expérience entrepreneuriale démontrée, une forte crédibilité dans l’écosystème numérique mais aussi une capacité à industrialiser une innovation mais au sein de grands groupes, avec tout ce que cela sous-entend de force de conviction, de compromis et parfois de politique.
Sa mission : concevoir et industrialiser les innovations de rupture
Le rôle d’un coporate entrepreneur en résidence comprend 5 missions principales :
- Définir la stratégie d’innovation de rupture avec la direction générale (thématiques à explorer en fonction du plan stratégique de l’entreprise et moyens à y allouer) et reporter régulièrement sur les résultats,
- Identifier, créer et industrialiser les véhicules d‘innovation de rupture nécessaires (moonshots),
- Grâce à sa crédibilité, son rayonnement et sa connaissance technique, recruter les stars du numérique nécessaires au développement des innovations, que les grands groupes ont beaucoup de mal à attirer, et les coacher,
- Construire l’écosystème nécessaire aux innovations (corporate venture, M&A’s, partenariats)
- Acculturer le comité exécutif à l’état d’esprit et aux méthodes entrepreneuriales, aux nouveaux business models, aux nouvelles technologies, aux opportunités de l’écosystème…
Différence fondamentale avec un responsable de l’innovation, les objectifs d’un entrepreneur corporate en résidence et son incentive doivent reposer sur une obligation de résultat, par exemple sur un chiffre d’affaires, un taux de pénétration ou idéalement un TRI sur les nouveaux business models.
Un rôle qui ne peut être tenu par un interne
Mon expérience sur le terrain du coporate entrepreneurship m’a apprise que ce rôle ne peut être tenu que temporairement et par une personne extérieure à l’entreprise, dans une logique analogue au management de transition. Ayant un horizon et un objectif défini, rattaché à la direction Générale, l’entrepreneur est tout à sa mission d’innovation et de développement. Cette position libre d’esprit lui permettant de secouer parfois l’entreprise pour atteindre les objectifs sans la peur de déplaire à des « barons » ou de condamner sa future évolution professionnelle. Et, une fois sa mission effectuée, de voguer vers d’autres projets entrepreneuriaux, corporates ou personnels.
Jean-Philippe Poisson est Partner Innovation et digital champion du cabinet Julhiet Sterwen