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7h12. Les premières lueurs de leur soleil artificiel individuel commençaient à pénétrer dans la chambre d’Ango et Mila. Plus les rayons s’intensifiaient, plus la température de la pièce augmentait, répliquant l’irrésistible effet terrestre de l’aube qui caresse la peau et tire les humains de leur léthargie nocturne. Seule parade aux jours qui s’étirent de 37 minutes à chaque rotation de Mars, déroutant les esprits et déréglant les organismes humains, le soleil artificiel qui équipait chaque foyer permettait également de moduler l’ambiance de son habitation. En une pression sur l’intelligence centrale qui pilotait l’ensemble de leur habitation, les occupants d’une maison pouvaient ainsi passer à volonté d’une chaleur tropicale à un climat tempéré - voire polaire pour les plus téméraires.
Ango et Mila se réveillèrent tout doucement, s’étirèrent, se défroissèrent, le sourire aux lèvres sous l’effet encore persistant des endorphines libérées durant leur escapade nocturne dans la machine à fantasmes. Cette nuit-là, ils s’étaient donné rendez-vous dans le hall 90.7 de la gare Navigex de Paris, là où il s’étaient rencontrés, 22 ans plus tôt, alors qu’ils s’apprêtaient tous deux à quitter la Terre pour partir à la conquête de la planète rouge. Devant ce haut bâtiment terrestre de verre et d’acier, modelé d’après leurs souvenirs, ils renouèrent avec les sensations de l’époque. Ils sentirent le vent s'engouffrer dans leurs cheveux. Humèrent les odeurs oubliées de l’asphalte chaud et mouillé de ce jour d’été. Se délectèrent de la chaleur du soleil sur leur peau, qui n’avait rien oublié de cette délicieuse sensation. Ils redécouvrèrent avec délectation les premières palpitations qu’ils ressentirent l’un pour l’autre.. La nuit fut épuisante. Mais les souvenirs ainsi ravivés leur donnèrent de l’élan pour cette nouvelle journée qui commençait, à 500 millions de kilomètres des lieux de leurs chimères.
Ango se leva, doucement, enfila ses chaussons et sa combinaison en cleanex, une matière révolutionnaire qui s’auto-nettoyait en permanence. Il était temps d’aller cueillir le petit-déjeuner pour Mila et les enfants. Il grimpa les deux étages qui séparaient leurs chambres du jardin intérieur dont était pourvue chaque habitation martienne.
Des robots d’impression 3D avaient été envoyés lors des premiers voyages avec une poignée d’explorateurs qui aidèrent à l’implantation de la vie humaine sur Mars. Puisqu’il faudrait attendre des décennies pour que l’atmosphère se stabilise, que les températures augmentent et que l’eau se liquéfie, permettant à la végétation de recouvrir le sol rouille, chaque maison avait été pensée pour vivre en auto-suffisance.
Seul bémol, si l’impression d’une maison ne prenait guère plus que deux jours, aucune technologie n’avait été inventée pour accélérer la croissance des fruits et légumes dans les jardins hydroponiques dont était dotée chaque maison. Les nouveaux débarqués se voyaient ainsi vite logés, mais les fermes végétales installées par les premiers Hommes étaient leur seule chance de s’alimenter le temps que la nature fasse son oeuvre dans leurs habitations. Les mains d’Ango se promenaient sur la chair de dizaines de fruits et légumes. Elles s'arrêtèrent sur des oranges juteuses. Il les observait pousser depuis des mois maintenant et se délectait à l’avance du jus de fruit pressé, à la terrienne, qu’il poserait sur la table du petit-déjeuner ce matin-là.
Dehors, une tempête de poussières faisait rage depuis la veille au soir, mais Ango ne s’en soucia gère, il se savait en sécurité. Chaque maison avait été pensée pour contrer les éléments climatiques et atmosphériques peu accueillants pour les Hommes de la planète rouge. Notamment l’absence d’oxygène, qui avait poussé les scientifiques à imaginer toutes sortes de parades pour rendre la vie possible, mais surtout agréable, sur la planète. Tous travaillaient ainsi d’arrache-pied à la création d’un bouclier magnétique artificiel qui restaurerait l’atmosphère de la planète, la protégerait des radiations cosmiques et permettrait ainsi aux nouveaux martiens de sortir débarrassés de scaphandre. Malheureusement, l’affaire prenait beaucoup plus de temps que les scientifiques l’avaient imaginé et si l’atmosphère commençait à se faire plus clémente, les combinaisons de sortie étaient encore précieuses à l’humanité.
À l’exception faite de la “capitale”, seule zone urbaine de la planète par laquelle transitaient tous les Navigex et dans laquelle les bâtiments de plusieurs étages fleurissaient sous une bulle commune. Alors que les colonies, elles avaient été construites sur le modèle d’un regroupement de maisons bulle individuelles interdépendantes. Les plus jeunes des terriens optaient le plus souvent pour la première option, pour se faire des amis et découvrir à plusieurs cette nouvelle planète qui les accueillait. La ville avait d’ailleurs été conçue pour n’être qu’un lieu de passage, chaque personne arrivant sur la planète se voyant offrir la construction de sa maison dans l’une des nombreuses colonies qui commençaient à recouvrir la moitié de la planète.
Les colonies avaient été imaginées pour encourager les échanges et permettre à chacun des foyers qui la composait de se concentrer sur la production de quelques fruits et légumes, l’équilibre étant vite atteint entre voisins. Chaque jour, la vie était rythmée par les va-et-vient des corbeilles de vivres d’une maison à l’autre, reliées entre elles par des chemins de verre et de glace. Toutes les maisons avaient la même architecture : une fine coque extérieure de fe imprimé en 3D, pensée pour protéger ses habitants d’éventuels objets et débris, renfermait une membrane d’eau, qui repoussait les rayons cosmiques nocifs pour la santé.
Construites sur plusieurs étages, les maisons bulles avaient été pensées pour être autonomes en énergie : alimentées en énergie par des panneaux photovoltaïques surpuissants, l’eau potable leur était apportée par un système de pompe individuelle qui puisait dans les couches de permafrost (les nappes phréatiques martiennes, de glace) pour alimenter la maison en eau et créer le matelas isolant de la structure de chaque habitation.
À l’intérieur, tout était créé par les imprimantes 3D à partir de l’élément indigène le plus prolifique sur la planète rouge : le fer. Certains voyageurs avaient gardé un petit souvenir de la Terre : comme une lampe, un coussin ou tout autre élément qui leur rappelait leur foyer initial, anticipant le fait que sur Mars il faudrait faire une croix sur les matériaux nobles utilisés sur Terre. Tout y était synthétique et réalisé à partir des ressources disponibles. Sauf chez quelques débrouillards, comme Mila, qui avait décidé de prendre dans ses maigres bagages des vers à soie. Depuis son arrivée, elle récoltait régulièrement leur production pour tisser la précieuse matière et utiliser l’étoffe pour adoucir le quotidien de sa famille et créer un cocon, si ce n’est aussi douillet, au moins aussi accueillant que sur Terre. Bien sûr, ni Ziko ni Lilo ne savaient ce qu’était le bois ou le coton, mais l’ingéniosité de leur mère, et leur contact quotidien via télépathie vidéo avec leur grand-mère restée sur Terre leur permettait de combler petit à petit leurs lacunes sur ce que pouvait être la vie terrestre.