Outils et conseils par Gonzague Lefebvre
9 juillet 2018
9 juillet 2018
Temps de lecture : 6 minutes
6 min
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L'intelligence artificielle appliquée aux vidéos de recrutement : la nouvelle illusion technologique ?

"Nous ferons des machines qui raisonnent, pensent et font les choses mieux que nous le pouvons" déclare Sergey Brin, fondateur de Google. Et Daniel Balavoine de répondre : « Je ne suis pas un robot… ». Pour Maddyness, le cofondateur de Meteojob-Visiotalent revient sur le réel intérêt de l'IA dans le recrutement vidéo.
Temps de lecture : 6 minutes

Il y a 5 ans, on ne parlait que de machine-learning. Puis le Big Data a mobilisé les technophiles et la communauté scientifique, cédant ensuite le terrain au Deep Learning. Le nouveau buzzword aujourd'hui c'est l'IA. Elle préoccupe, interroge, passionne et nourrit autant de fantasmes que de papiers de recherche, au point de s’inviter au cœur du vaste plan d’investissement du gouvernement Macron et de provoquer le twitto-clash du siècle entre Elon Musk et Mark Zuckerberg.

On nous annonce l’ubérisation du tertiaire, l’éclatement du modèle bancaire, la disparition des métiers (comptables, traders, chauffeurs, vendeurs…). Que l’IA va sauver des vies et qu’elle va améliorer la vie dans certains domaines, selon Yann Lecun, chef de l'intelligence artificielle chez Facebook.  " Nous ferons des machines qui raisonnent, pensent et font les choses mieux que nous le pouvons " surenchérissait Sergey Brin, le cofondateur de Google aux déclarations de Ray Kurzweil, l’ingénieur en chef de Google : " Une IA dotée d’une conscience est un milliard de fois plus puissante que la réunion de tous les cerveaux et devrait écraser l’intelligence humaine dès 2045 ".

Mais ces machines, aussi intelligentes soient-elles, sont-elles capables de juger et d’évaluer les hommes ? Qu’en sera-t-il alors des recruteurs ? Vont-ils disparaître au profit de millions d’algorithmes ?

La valeur de l’IA est avérée dans le matching entre offres et candidats...

En tant qu’acteur engagé dans le monde des HR Tech, nous croyons dur comme fer aux bienfaits de l’IA, et à son utilité dans le cadre d’un processus de recrutement. Le cœur de notre métier est celui de facilitateur du recrutement : grâce à l’IA qui nous simplifie désormais la vie et nous aide dans nos tâches de tous les jours, nous avons mis au point un algorithme de matching qui permet aux chercheurs d’emploi de trouver les offres les plus adaptées à leur profil. Notre souhait le plus cher est de contribuer, grâce aux nouvelles solutions technologiques que nous développons, et grâce à l’investissement – nécessaire – que nous réalisons depuis des années en R&D, à faire baisser le chômage. Nous avons également la volonté d’accompagner au mieux les recruteurs pour qu’ils puissent déceler les talents qui leur correspondent -même ceux qu’ils n’auraient pas spontanément identifiés.

Nos recherches et nos investissements sont stratégiquement pensés dans l’objectif de répondre aux attentes du marché et des professionnels RH. Nous voulons utiliser les innovations et plus particulièrement l’IA à bon escient en conservant la dimension humaine, capitale au recrutement. Nous pensons néanmoins qu’il est important de faciliter la tâche des recruteurs, et également celle des candidats dans leur démarche de recherche d’emploi, qui peut être un véritable parcours d’obstacles. Nous n’aurons jamais la volonté de remplacer l’humain, bien au contraire.

...Mais l’est beaucoup moins dans l'interprétation des vidéos

C’est justement pour cela que nous avons des réserves concernant l'application de l'IA à la vidéo pour juger la performance d'un candidat.

L’usage de l’IA en termes de reconnaissance d’images est très large : la lecture sur les lèvres comme Lipnet (avec environ 50% de réussite), la reconnaissance des émotions comme la joie, la peine, la colère, la sécurité, l’identification de l’âge, du sexe et bien d’autres critères.

Sur le marché de l’entretien vidéo, certains acteurs proposent une interprétation automatisée pour juger la performance et les émotions des candidats.

Cette interprétation repose généralement sur 3 composantes :

-  L’analyse du contenu lexical

L’IA se traduit ici par la capacité de transcrire les paroles du candidat en texte (technologie appelée Speech-to-text). C’est ensuite le contenu du texte qui est analysé, notamment le nombre de mots utilisés et le nombre de mots par minute.

-  L’analyse de la tonalité de la voix

Appelée scientifiquement prosodie, cela consiste à analyser les variations dans le rythme de la voix et dans son intensité.

-  L’analyse de micro-expressions faciales

En supposant que les vidéos soient de qualité suffisante, il est possible de dégager certaines expressions du visage telles que la peur, le dégoût ou la joie.

Mais quels enseignements tirer de ces analyses ? Un candidat qui utilise 140 mots par minute est-il plus dynamique qu’un autre qui ne dépasse pas les 100 mots par minutes ? Ou est-il simplement plus stressé ? A-t-il plus de choses à dire ? Sait-il écouter ? Un candidat qui parle plus fort qu’un autre a-t-il plus d’assurance ? Impossible pour l’IA d’apporter une réponse scientifique à ces questions.

Concernant la richesse du vocabulaire, nous émettons également quelques doutes. L’étude de la richesse du vocabulaire (que ce soit par un humain ou par un robot) n’est fiable que sur une base de 1000 mots et plus. Or lors d’un entretien vidéo, il a été prouvé que le candidat, contraint par le temps, utilise en moyenne 500 mots. Difficile alors d’en tirer des enseignements.

Enfin, sur l’analyse des expressions faciales : n’oublions pas qu’un algorithme a besoin de 10 à 15 millions d’images pour parvenir à différencier un chat d’un chien, quand il faut seulement 3 images à un enfant de 3 ans. Si les émotions fortes comme la joie, la peur ou le dégoût peuvent être détectées - sachant qu’elles apparaissent en principe assez rarement lors d’un entretien d’embauche - qu’en est-il des émotions plus subtiles ? A ce sujet, Gwennaël Gâté, cofondateur d’Angus.ai, une startup spécialisée dans les traitements d’IA sur les images et le son, rappelle : " Les vraies émotions sont fines : par exemple, la satisfaction, le doute. Elles ne sont pas simples à détecter pour les humains, et encore moins pour les algorithmes, qui détectent les francs sourires, ou une surprise très marquée. Et, troisièmement, elles peuvent se tromper. "

Néanmoins, au-delà des interrogations sur la pertinence des conclusions tirées d’une analyse automatique des vidéos, se pose une question purement éthique. Les candidats devraient-ils être informés que leur entretien vidéo sera analysé automatiquement avant d’être visionné par un recruteur - le savent-ils toujours ? S’ils le savaient, qu’en penseraient-ils ?

A l’heure où beaucoup de Français s’inquiètent encore des potentielles conséquences négatives de l’IA, nous pensons que les candidats ne sont pas encore prêts à être triés par des algorithmes et que ce genre de procédé aurait des conséquences néfastes sur la marque employeur des entreprises.  Notre volonté en tant qu’acteur responsable du monde des RH numériques est de laisser les personnalités et les émotions s'exprimer à travers la vidéo et de remettre l’humain au cœur du recrutement

L’intelligence artificielle est un moyen extraordinaire d’augmenter les chances, les opportunités, de rationaliser les choix de recrutement et de prédire la performance. À condition d’avoir une approche humaine et consciente des limites technologiques.

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