(Cet article a été initialement publié dans le magazine édité par Maddyness à l’occasion de la Maddykeynote)
Chauffage, éclairage, électroménager… Si la facture d’électricité des Français avait connu une légère et exceptionnelle baisse de 0,5% en 2016, le retour de bâton aura été rapide puisque celle-ci a connu un rebond de près de 2% en 2017. Les tarifs réglementés du gaz, appliqués par Engie à 5,8 millions de foyers en France, ne sont pas en reste : en 2017, ceux-ci ont subi une augmentation moyenne de 2,3%, due, en partie, à la hausse des coûts d'approvisionnement (Source : Commission de Régulation de L’Énergie).
Au revoir énergie nucléaire, bonjour énergies renouvelables ?
Dans le même temps, face aux défis climatiques actuels, la France n’a eu d’autre choix que de se pencher sur une véritable stratégie de transition énergétique. Depuis 2015 et la création de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (Publiée au Journal Officiel du 18 août 2015), l’Hexagone tente ainsi d’encourager l’adoption de sources d’énergie alternatives, le gaz naturel (énergie fossile qui émet le moins de CO2) et le photovoltaïque en tête. Un objectif majeur pour la France, qui, pour le réaliser, compte notamment simplifier les règles régissant les auto-consommateurs.
“Le schéma classique jusqu'à aujourd'hui, pour les personnes qui produisaient leur propre énergie, consistait à vendre toute leur production à EDF, qui la refacturait à l’ensemble des consommateurs. Depuis février 2017, ceux-ci peuvent consommer directement ce qu’ils produisent, et réinjecter un éventuel excédant à EDF“, expliquait alors Daniel Bour, président d’Enerplan, le syndicat des professionnels de l'énergie solaire, lors du 2e colloque national dédié à l'auto-consommation photovoltaïque.
Un changement de paradigme qui semble avoir fait l’effet d’un détonateur : si l’on ne comptait que 14 000 foyers auto-consommateurs en 2017, 47% des Français seraient désormais prêts à générer et consommer leur propre énergie. Et la demande pour la connexion indépendante est en croissance. “En 2016, un tiers des demandes de connexion pour le photovoltaïque était dédié à l’auto-consommation. Début 2017, on est passé à plus de la moitié”, expliquait Virginie Schwarz, directrice de l'énergie au ministère français de la transition écologique, lors de cette même table ronde.
Une évolution qui s’explique également par la baisse, depuis une quarantaine d’années, des prix de production de l’électricité d’origine renouvelable, principalement grâce aux progrès de l’éolien mais surtout du solaire, tandis que les tarifs de l’électricité augmentent. Alors qu’il a été, pendant longtemps, plus rentable de vendre 100% de l’énergie produite que de l’utiliser sur place, l’auto-consommation est ainsi devenue rentable depuis 2016. “De plus, nous avons actuellement un coup de pouce de l’Etat qui offre un bouquet d’avantages fiscaux qui peuvent réduire jusqu’à 30% le montant à payer. Pour le moment le retour sur investissement est de l’ordre de 6 à 8 ans, alors que le matériel est garanti 25 ans, cela laisse la place pour de confortables bénéfices”, précise Grégory Lamotte, président de la startup Comwatt, qui conçoit, produit et commercialise des solutions complètes pour la gestion de l’auto-consommation et l’efficacité énergétique.
Mais l’intérêt économique de l’auto-consommation n’est pas la seule motivation des Français. Portés par une tendance de fond de consommation locale et durable, ceux-ci disent également vouloir prendre leur indépendance vis-à-vis du réseau global, en consommant directement l’électricité produite par leurs panneaux. La possibilité, également, de valoriser leur patrimoine en étant propriétaire d’une maison productrice d’électricité propre et inépuisable, est également alléchante. “On voit que c’est une véritable valeur ajoutée pour la collectivité, ça accentue le rôle du citoyen, l’incite à utiliser ses propres installations, tout en réduisant sa facture d’énergie”, se réjouit Daniel Bour.
L’État et les acteurs de l’industrie, eux aussi, devraient profiter du rayonnement de l’auto-consommation. Les fournisseurs d’énergie ont, par exemple, déjà commencé à proposer des solutions dédiées à leurs clients, à l’image de Direct Énergie, qui voit l’arrivée de l’auto-consommation comme une opportunité de développer de nouveaux usages, et d’accompagner ses clients dans cette transition énergétique. “On accueille ça de manière totalement favorable. Le rôle du fournisseur d’énergie, demain, ne va pas juste être de poser des panneaux solaires sur les toits des maisons. Ça va être de proposer des dispositifs de maîtrise de la demande en énergie et de coupler ces services-là avec la production décentralisée”, déclare Louis Duperry, directeur de l’innovation du groupe. EDF, au travers de sa filiale spécialisée dans les énergies vertes EDF EN, lançait de son côté en juin 2016 “Mon Soleil et Moi“, une offre destinée aux particuliers, tandis qu’Engie a développé une offre réservée aux particuliers : “My Power”.
Quelques startups françaises se sont également déjà lancées sur le créneau de la production et la consommation d’énergie grand public. C’est par exemple le cas de MyLight Systems et Comwatt, toutes deux spécialisées dans la gestion d’énergie. Cette dernière, qui a déjà équipé plus de 5 000 sites en France en 4 ans, prévoit d’atteindre les 80 000 d’ici les quatre prochaines années, puis 1,7 million dans 10 ans. Des objectifs qu’elle compte atteindre grâce au soutien de l’ADEME, des régions, et de l’État : “Le marché est vraiment très vaste et tous les voyants sont au vert”, rassure son fondateur Grégory Lamotte. Un constat partagé par Xavier Barbaro, PDG de Neoen, société spécialisée dans le solaire et l'éolien : "La clé est d'être compétitif et de ne pas survivre grâce aux subventions. Les économies d'échelle sont vitales pour cela.“, expliquait-il lors du débat Euractiv “ la France, championne d'un futur décarboné? Quel rôle pour l'énergie solaire ? ”, le 5 octobre dernier.
Derrière l’utopie, quelle réalité ?
Mais pour que les ambitions des acteurs du secteur deviennent réalité, l'Europe doit prendre les devants, en commençant, notamment, par aider des projets de production d'énergies renouvelables à atteindre une masse critique. “Nous devons arriver à un point où les cellules photovoltaïques deviennent un revêtement standard pour les bâtiments”, ajoute Xavier Barbaro.
Pourtant, depuis la loi sur la transition énergétique, peu de choses semblent avancer. Le chantier semblerait même presque insurmontable pour l’Etat. “La réglementation est ainsi faite qu’aujourd’hui il est plus rentable de brûler du fioul lourd dans les îles plutôt que d’y développer les énergies renouvelables, tout comme utiliser le réseau électrique pour vendre de l’électricité à votre voisin qui habite à deux mètres de chez vous vous coûtera aussi cher que d’utiliser le réseau pour la vendre à l’autre bout de la France, et ça, ça n’est pas normal”, s’insurge Grégory Lamotte.
Les investissements importants réalisés ces dernières années par la France dans des projets nucléaires comme celui de Hinkley Point au Royaume-Uni, plutôt que dans l’énergie solaire, en sont le triste exemple. Et si les institutionnels comme l’ADEME et les collectivités tentent aujourd’hui de créer un contexte favorable aux côtés des entreprises innovantes, leurs projets sont encore fortement ralentis par de fortes pressions des acteurs en place pour que rien ne change.
Pourtant, l’auto-consommation, bien réglementée et accompagnée, pourrait voir apparaître d’ici peu de “ formidables innovations”, comme aime le rappeler Daniel Bour : “On pourra, par exemple, recharger sa maison avec sa voiture, et vice versa. Tout ça pourrait arriver dans 10 ans, demain en somme”, se félicite le président d’Enerplan. Un futur proche qui passera, notamment, par quatre grandes étapes de développement, parmi lesquelles la réglementation de l’auto-consommation collective. “Pour y arriver, nous avons besoin d’un déblocage réglementaire, ou que les lobbyistes des énergéticiens du passé partent en vacances”, conclut Grégory Lamotte.