Il était très attendu par l'écosystème Tech, le voici : le rapport Villani, commandé par Édouard Philippe pour faire le point sur les forces et faiblesses de la France en matière d'intelligence artificielle et dessiner une feuille de route, a été remis ce mercredi soir au premier ministre. Il préfigure les annonces qui doivent être faites ce jeudi par Emmanuel Macron sur la stratégie de l'Hexagone dans le domaine.
Celle-ci s'appuiera sur deux axes majeurs : la facilitation de l'accès aux données pour permettre aux intelligences artificielles de se développer et la création d'instituts de recherche hébergeant chercheurs français et étrangers pour approfondir les connaissances dans le domaine. Cédric Villani se dit ainsi partisan d'"une politique de la donnée offensive qui vise à favoriser son accès, son partage et sa circulation", valable non seulement pour les données publiques mais aussi privées. Quitte à ce que la "puissance publique" doive "imposer l’ouverture s’agissant de certaines données d’intérêt général". Le rapport évoque notamment les données de santé, pour lesquelles il souhaiterait voir se créer "une plate-forme d’accès et de mutualisation des données pertinentes pour la recherche et l’innovation".
La santé fait d'ailleurs partie des secteurs prioritaires pour la recherche, au même titre que la mobilité, l'écologie, la défense et la sécurité et dans lesquels "notre industrie peut sérieusement envisager jouer un rôle de premier plan au niveau mondial et concurrencer les géants extraeuropéens". Ce qui ne veut pas dire que d'autres secteurs seraient laissés pour compte, comme l'explique l'auteur du rapport dans une interview au Monde : "des activités comme la finance et la banque n’ont pas besoin d’une telle impulsion, car elles se débrouillent très bien toutes seules". Pour espérer briller sur la scène internationale, Cédric Villani souhaite tripler le nombre de personnes formées à l'IA d'ici deux ans, à la fois en accordant davantage de bourses pour encourager la recherche mais aussi en doublant les salaires en début de carrière pour susciter des vocations. Dans un tweet rageur, le chercheur Laurent Alexandre s'est ainsi offusqué qu'un chercheur public bac+11 gagne "moins de 3000 euros brut par mois, soit 2500 net, c'est-à-dire moins que le Smic horaire puisqu'il travaille plus de 50 heures par semaine à ce niveau-là".
Tenir la comparaison avec les États-Unis et la Chine
Ces mesures ont été saluées par les professionnels du secteur, le Hub France IA, créé il y a quelques mois à peine, en tête. "Le gouvernement adresse un message d'espoir fort aux acteurs de l'IA française [...], s'est enthousiasmé Patrick Albert, son président. Nous travaillerons à ce que la France et l'Europe réussissent avec l'IA ce qui a été raté avec le Web, inventé par des chercheurs européens, mais industrialisé aux USA et en Chine."
"L'Europe, qui a su résister aux grands lobbies du numérique, va changer la donne internationale en promouvant avec le RGPD une gestion des données personnelles inédite et compatible avec les valeurs européennes, héritées des Lumières. L'IA est l'étape suivante, gageons que la France prendra le leadership de la reconquête."
Patrick Albert, président du Hub France IA
"Pour faire face à la domination industrielle des États-Unis et à l'essor considérable de la Chine, les investissements financiers annoncés en France devront passer à l'échelle au niveau Européen avec par exemple l'appui de la Banque Européenne d'Investissement ou du Fonds Européen d'Investissement", avance de son côté Nathanaël Ackerman, directeur du Hub France IA. Et c'est bien là que le bât blesse : aucune des mesures présentées dans le rapport Villani n'est chiffrée. Du moins... pas publiquement, comme il l'a expliqué au Monde. Une façon de rappeler que l'intelligence artificielle ne doit pas être l'apanage des pouvoirs publics : "[l’État] n’a pas vocation à supplanter les investissements privés. […] Il faut que le venture capital se développe de plus en plus", a-t-il ainsi souligné. Un appel du pied que les investisseurs semblent déjà avoir saisi au vol au vu des montants investis ces derniers mois dans les technologies utilisant l'intelligence artificielle.
Un comité pour travailler sur l'éthique de l'IA ?C'est une des grandes questions autour de l'intelligence artificielle : comment garantir son intégrité éthique ? Cédric Villani ne propose pas de réponse clé-en-main mais évoque la création d’un comité d’éthique de l’IA, chargé d'évaluer les conséquences de l'IA sur le marché du travail, d'organiser le débat public et de fournir avis et recommandations. France Stratégie, à qui Muriel Pénicaud avait confié une mission parallèle à celle de Cédric Villani, est d'ailleurs arrivé au même constat, proposant notamment de "conduire, à l’échelle de la branche ou de la filière, des travaux de prospective sur le potentiel de l’intelligence artificielle, pour assurer un bon niveau d’information et d’anticipation des acteurs". Les pouvoirs publics devraient également pouvoir auditer les algorithmes d'intelligence artificielle et, par exemple sur saisine du Défenseur des Droits, pouvoir demander l'accès à leur architecture afin de comprendre comment ils sont calibrés. Enfin, "l'IA ne peut pas être une nouvelle machine à exclure", martèle Cédric Villani. Pour éviter que les intelligences artificielles ne reproduisent les biais humains, le mathématicien recommande par exemple d'inciter les filles à s'orienter vers les filières d'étude de l'IA pour qu'on y compte 40% d'étudiantes d'ici 2020. |