L’e-santé a du mal à s’imposer en France, malgré le volontarisme de l’État et un écosystème favorable. En cause : des startups qui peinent à se saisir des enjeux de la médecine numérique. Et à répondre aux besoins réels des patients. Andréa Bensaid, CEO d'Eskimoz, fait le point sur les enjeux du développement de l'e-santé en France.
Le marché de l’e-santé ne cesse de grandir. En 2022, il pourrait peser quelque 400 milliards de dollars à l’échelle de la planète ! Et pourtant, les technologies médicales connectées peinent encore à s’imposer auprès des patients, pourtant en première ligne. Entre suivi à distance, gestion des données personnelles et annuaire de médecins, les startups de la médecine numérique devront répondre à plusieurs défis majeurs pour trouver leur place au chevet des malades.
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Croire en l’e-santé tout en se méfiant de ses effets négatifs : tel est le paradoxe français vis-à-vis de la transformation numérique de la médecine. Selon une étude Harris Interactive, nos compatriotes sont majoritairement favorables au développement de cette discipline (à 78%). Ils sont également nombreux à penser que les progrès de la médecine permettront de vivre plus longtemps (73%). Mais, dans l’ensemble, ils restent prudents quant à l’utilisation qui est faite de leurs données personnelles (à 64%). Précisément parce que ces données tombent entre les mains d’entreprises privées, dont les objectifs à long terme sont incompatibles avec le besoin de confidentialité des patients. Même si l’État français semble disposé à accélérer les chantiers de l’e-santé, c’est donc un défi de taille qui l’attend.
Prise en charge à distance et données personnelles : l’avenir de l’e-santé
Quand on lui parle d’e-santé, le grand public pense "applications mobiles". Celles-ci ont connu une progression exponentielle, avec 100 000 nouveautés lancées en 2016 pour un total de quelque 260 000 applis mobiles touchant de près ou de loin à la santé. Ces outils prennent de nombreuses formes : coachs santé, coachs sportifs/bien-être, solutions pour des diagnostics rapides, aide à la prise de rendez-vous, accompagnement pour une meilleure prise en charge, réseau social médical pour recommander des médecins à ses proches, etc. Et ce ne sont là que des échantillons d’applications réservées aux particuliers. Dans le domaine de l’e-santé professionnelle, les choses bougent encore plus vite, notamment avec l’aide précieuse de l’intelligence artificielle.
Globalement, outils et appareils connectés permettent aux patients de bénéficier d’un meilleur suivi ou d’obtenir des informations en temps réel sur leur état de santé. Ce qui suppose, en retour, de fournir aux applications un certain nombre de données ou de leur laisser collecter celles-ci comme prix de leurs bons et loyaux services. C’est donc dans la gestion et la protection de cette data que réside le principal enjeu de l’e-santé et sa capacité future à s’imposer naturellement dans le paysage. Pour cela, des cadres commencent à se dessiner pour encourager startups et entreprises à mieux gérer les informations de leurs utilisateurs :
- La Haute autorité de santé, en association avec la Cnil, a mis à disposition des acteurs de l’e-santé un référentiel listant les bonnes pratiques à adopter en matière de qualité des données émises et de confidentialité des données reçues.
- Le RGPD (Règlement général sur la protection des données personnelles), dont la mise en œuvre a été fixée au mois de mai 2018 au niveau européen, concerne également les données de santé. Une fiche en ce sens a été élaborée par l’Agence française de la santé numérique. Les entreprises seront contraintes de mieux protéger les données collectées, après obtention du consentement des utilisateurs.
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En attendant, la question de la sécurité des données continue de se poser. Et les Français restent prudents : si 43% d’entre eux déclaraient avoir déjà utilisé des solutions e-santé en 2016, seule une petite portion (13%) affirmait le faire de façon régulière. Sans cadre réglementaire efficace, les solutions proposées par les startups du secteur, même innovantes et disruptives, peineront à trouver leur public.
Rapprocher professionnels et patients : un défi majeur
Parmi les précieux renseignements apportés par l’enquête Harris Interactive déjà citée, il en est un qui attire particulièrement l’attention. Si les Français se méfient de l’utilisation qui est faite de leurs données médicales, ils se montrent par contre réceptifs à l’idée de les partager avec leur médecin de famille et leur pharmacien (respectivement pour 91% et 71% d’entre eux). En outre, selon le baromètre Groupe Pasteur Mutualité/ViaVoice, 91% des Français font confiance à leur généraliste et à leur pharmacien, tandis que les infirmiers jouissent d’une cote de confiance de 93% !
Quel enseignement faut-il tirer de ces chiffres au regard de l’e-santé ? Tout simplement le fait que l’avenir de la médecine connectée réside dans une meilleure articulation entre les technologies (dont les patients se méfient encore) et les professionnels (auxquels les patients font totalement confiance). C’est là que se dessine le défi majeur de la discipline pour les décennies à venir. Car il ne peut y avoir d’e-santé que si elle est incarnée, c’est-à-dire si elle améliore les interactions entre les professionnels et leurs patients. Tel doit être le champ d’action privilégié des startups du secteur.
Il est possible de formuler cette idée comme une question : pourquoi proposer des solutions complexes quand on peut donner aux patients ce qu’ils veulent vraiment, à savoir une meilleure interaction avec les professionnels ? Plutôt que de se démener avec une application qui trie les symptômes pour suggérer une liste de pathologies probables, un patient aura surtout envie de trouver un médecin plus rapidement. Rien ne vaut le contact humain – et la dose de confiance qui l’accompagne. C’est ce que proposent notamment les plateformes de mise en relation entre professionnels et patients, dont le but n’est pas de gérer des données personnelles ou d’accompagner l’utilisateur à distance, mais tout bonnement de lui permettre de dénicher un médecin sans attendre (un exemple sur ce lien). Ici, la révolution e-santé adopte donc une forme plus tangible.
À ce titre, les chiffres sont parlants. Une étude Innovergne de 2017 révèle que 32% des Français ont déjà eu recours à un service Internet de prise de rendez-vous avec un médecin. Leur but n’était pas de bénéficier d’une consultation en ligne (seulement 3% des personnes interrogées ont déjà expérimenté la téléconsultation) mais de faciliter leur interaction physique avec un professionnel de santé. Un levier précieux, donc, à une époque où 78% des Français jugent difficile ou très difficile d’accéder à un spécialiste (enquête Harris Interactive, février 2017).
En conclusion, voilà une bonne leçon à méditer pour les startups de la médecine numérique : la réussite de l’e-santé dans le paysage hexagonal pourrait dépendre non pas du taux d’innovation des acteurs mais de leur capacité à simplifier l’accès aux services de base !