Presse, réseaux sociaux, les startups s’affichent partout. Le CES de Las Vegas met une fois de plus à l'honneur ces jeunes pousses qui font rêver. Mais si 45% des Français se déclarent prêts à devenir entrepreneurs, peu sont ceux qui sautent effectivement le pas. Fonder une startup, c’est en effet cumuler les risques : professionnel, financier et même familial. Alors, que risque vraiment un startupper en se lançant dans une aventure entrepreneuriale ?
Attention à bien évaluer le risque financier
Comme pour toute création d’entreprise, l’un des premiers risques à envisager est celui lié aux finances. Pour autant, faut-il forcément disposer de revenus confortables – ou d’un entourage prêt à mettre la main à la poche – pour pouvoir lancer sa startup ? Pas forcément, si l'on sait vers qui se tourner. Encore étudiant dans le domaine de la santé, Romain envisage de lancer une première boîte avec un associé : "on avait chacun investi 400 euros". Le projet n’aboutit pas mais l’entrepreneur ne se décourage pas et récidive en 2014. Là encore, il veille à limiter le risque financier : "entre les subventions octroyées par le CNRS (Centre Nationale de la Recherche Scientifique), la BPI (Banque Publique d’Investissement) et un prêt d’honneur de 100 000 euros accordé par le Réseau Entreprendre Paris et Scientipôle Initiative, mon apport personnel a été minimisé", explique-t-il.
Sachant qu'une vaste majorité des startups échouent, vous redoutez de perdre beaucoup d’argent ? Le risque existe, mais il varie fortement selon la nature du projet. Andréa, 30 ans, se rappelle avec émotion la création de sa première entreprise, BebeZen, un espace balnéo-spa pour bébés. "J’avais très peur, car travailler avec des bébés implique un cadre juridique compliqué. En souscrivant un bail commercial, mon associée et moi avons dû nous porter caution personnelle à hauteur de 50 000 euros." Recalée au dernier moment par la banque, la structure des jeunes filles n’a finalement pas été lancée. L’entrepreneure affirme toutefois avoir eu "beaucoup de chance", car le bailleur a accepté de ne pas encaisser la caution. L’échec a tout de même eu un prix : "nous avions avancé 6 000 euros de frais d’agence, ainsi que 4 500 euros de frais annexes comme l’enregistrement au tribunal de commerce, nos formations, l’assurance...".
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Il arrive même que d’anciens fondateurs de startups continuent longtemps à supporter les frais engagés des années auparavant. Benoît, père de deux enfants et qui a fermé sa startup de cosmétiques il y a 10 ans, rembourse encore le solde de son prêt d’honneur. "Les mensualités sont très faibles, nuance-t-il, car à l’époque, je ne souhaitais pas que mon investissement ait un impact sur le budget de ma famille."
Le chômage, un filet de sécurité ?
Néanmoins, une grande majorité d’entrepreneurs trouvent la parade en se lançant dans l’aventure alors qu’ils perçoivent des allocations chômage. "Le chômage me permet d’assumer mes dépenses quotidiennes. Du coup, je peux réinvestir tout l’argent que je gagne dans ma startup", explique Cynthia, 28 ans, fondatrice de la startup Homeleo. Emmanuel, cofondateur d’une startup en RSE, bénéficie également du statut de chômeur. Il incite néanmoins à rester prudent : "la période du chômage touche vite à sa fin. Avec mon associé, nous nous fixons des objectifs chiffrés tous les 6 mois, avec des ‘‘go/no go’’, ce qui nous permet d’assurer nos arrières".
Ne pouvant compter sur des allocations, certains entrepreneurs font le choix de se lancer tout en gardant une activité à temps partiel. Julien, fondateur de plusieurs entreprises, a ainsi choisi de conserver son activité de consulting lors du lancement de sa dernière startup, Quatre Épingles. Il n’est pas non plus farfelu d’imaginer associer son employeur actuel à son projet : certaines entreprises acceptent ainsi de donner un coup de pouce financier au salarié qui envisage de les quitter, pour peu que son initiative les intéresse. Le projet de réforme de l'assurance-chômage, qui prévoit de pouvoir être indemnisé après une démission (une fois tous les 5 ans au maximum), devrait également inciter un certain nombre de salariés à sortir du bois.
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Reste que pour bien se lancer, des règles de prudence minimales sont nécessaires : "il ne faut pas s’engager sans avoir soldé au préalable ses dettes personnelles", conseille ainsi l’un des entrepreneurs. Enfin, quitte à économiser plusieurs années, mettre de côté un capital de départ - de 5 000 à 10 000 euros - est une précaution de base. Comme le confirme Erwin, entrepreneur de 51 ans : "je n’ai jamais misé ce que je n’avais pas !".
Le risque familial, souvent sous-estimé
En famille ou célibataire, les conséquences de l’aventure dans la sphère privée sont l’un des risques qu’il faut le moins prendre à la légère, de l’avis unanime des entrepreneurs interrogés. Julien, 36 ans, cofondateur d’une startup de conciergerie pour entreprises, assure qu’il existe une "très grosse pression pour le conjoint qui ne prend pas de décisions mais en subit les effets". D’où l’importance de "savoir relâcher la pression de temps en temps". Cynthia, qui a fondé sa startup de chasseurs immobiliers à 28 ans, se souvient que, surtout dans les premiers temps, "un entrepreneur a vraiment besoin de parler, encore plus s’il n’a pas d’associé. D’où la tentation de déverser toute son angoisse sur son couple". La discussion est donc le mot d’ordre pour minimiser les risques conjugaux.
Concernant les enfants, chaque entrepreneur atténue le risque à sa façon : Erwin, père de 6 enfants a attendu que "tous soient sur les rails" avant de monter sa startup Mobile R2D2 avec son épouse. De son côté, Romain, qui se définit comme une personne "prenant très peu de risques" a médité pendant longtemps avant de lancer Alzohis en 2014. Mais une fois lancée, il n’a pas hésité à devenir père, qui plus est de jumeaux, dans la foulée !
Savoir (bien) s'entourer
Enfin, l’entourage familial au sens large peut parfois jouer les trouble-fête. "Mon père a essayé de me dissuader de devenir créatrice d’entreprise", se rappelle Victoria, fondatrice d’une startup dans le domaine de la santé dès la sortie de son école de commerce. Elle est aujourd’hui à la tête d’une seconde entreprise. Se sentir incompris est une expérience commune à de nombreux néo-entrepreneurs, comme l’explique Emmanuel : "au début de Wenabi, je n’en pouvais plus de la question : ‘‘alors ça avance ?’’. Or une startup, ça avance doucement, et c’est difficile de partager une progression chaque semaine avec ses potes". Propos confirmés par le fondateur de Quatre Épingles, qui se remémore des réflexions comme "tu ne veux pas trouver un vrai boulot maintenant ?" ou - encore plus agaçant - "quand est-ce que tu te verseras un salaire ?". Ce dernier met en garde contre le "risque d’isolement personnel" quand un entrepreneur a le sentiment de ne plus être sur la même longueur d’ondes que son entourage. À noter que ce risque peut être atténué par l’hébergement de la structure dans un incubateur ou l’adhésion à un réseau d’entrepreneurs.
Quant au risque psychologique, il n’est pas à sous-estimer. Victoria, qui s’était lancée dès sa sortie d’école à 24 ans, a connu un burn out après l’échec de sa première startup. L’échec est en effet une situation encore trop peu acceptée en France, même si les mentalités évoluent. "Lorsque ton projet n’avance pas, cela peut se traduire par des crises d’angoisse et beaucoup de stress. Et quand tu échoues, c’est pire", se rappelle Benoit, qui n’a pas réussi à trouver de financement pour développer son entreprise, il y a une dizaine d’années. Continuer à faire du sport, être attentif aux signaux d’alerte (insomnies, irritabilité…) : autant de facteurs qui aident à conserver un équilibre personnel.
Après un échec, comment rebondir ?
Y a-t-il une vie professionnelle après la startup ? Et quid de son employabilité en cas d’échec ? Le plus surprenant, lorsqu’on interroge les startuppers, est non pas la peur de ne pas retrouver un boulot mais… celle de ne pas réussir à trouver un job dans lequel ils s’épanouiront autant.
Leurs témoignages sont éloquents : "depuis que j’ai goûté à l’entrepreneuriat, j’ai peur de ne plus jamais réussir à réintégrer un système plus classique", confesse Romain. "Ma plus grande peur aujourd’hui n’est pas que ma boîte échoue, mais qu'aucun autre métier ne puisse m’apporter autant de satisfaction. Et peu de boîtes peuvent m’offrir le poste de PDG !", confirme Cynthia. D’autres, comme Julien, s’inquiètent de la valorisation à terme de leur expérience : "je ne pense pas être entrepreneur toute ma vie et je me demande si le marché pourra valoriser à sa juste valeur mon expérience en entrepreneuriat. J’ai la crainte d’être ‘‘hors cadre’’…".
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Fait significatif : parmi ceux qui reviennent à un système salarial classique, beaucoup s’arrangent pour rester en contact avec des entrepreneurs. "J’ai eu la chance de rejoindre une chambre de commerce qui embauchait d’anciens fondateurs de startups. J’étais extrêmement triste de quitter ma liberté, mais j’ai pu faire une analyse complète de ce qui était arrivée à ma boîte", témoigne Benoit. Âgé de 42 ans aujourd’hui, il reste toujours au plus près des entrepreneurs en ayant rejoint l’équipe du Village by CA à Paris. Andréa, de son côté, a aussi retrouvé un travail au contact de jeunes pousses dans une structure d’accompagnement pour startups. "Au début, je n’ai pas du tout vécu mon échec comme un atout, j’avais très peur que ma carrière professionnelle soit fichue, se souvient-elle. Mais les personnes dans le milieu des incubateurs sont plus sensibles à cette notion d’échec. Je pense même que c’est cela qui a fait la différence lors de mon entretien d’embauche !"
Et si c’était à refaire ?
On pourrait encore allonger la liste des risques qui menacent les fondateurs de startups – à l’instar de tous les créateurs d’entreprise –, notamment sur la plan juridique (devoir se porter caution personnelle en SARL, affronter les réclamations de clients, voire le tribunal de commerce...). Pourtant, chaque startupper le reconnaît : qu’importent les risques pris ou les erreurs commises, ces expériences intenses les ont rendus plus forts.
Romain s’est vu proposer (au début de sa carrière) un poste de chercheur qu’il a refusé et "aujourd’hui, je sais que j’ai eu raison. Je suis extrêmement heureux et épanoui. Et puis, quand tu entreprends, tu ne regardes plus jamais derrière toi". Quant à Andréa, dont l’aventure entrepreneuriale a pris fin, elle n’a pas dit son dernier mot : "il me faut encore quelque s temps pour digérer l’échec de BebeZen. Les trois premières semaines ont été difficiles à vivre, mais je pense que je finirai par refonder une startup. Car je n’ai jamais autant appris sur moi".