Article initialement publié en septembre 2016
Pourquoi avoir créé Sophia Genetics ?
Dans notre industrie, les tests génétiques ont longtemps été réalisés pour les maladies héréditaires, en utilisant des techniques très ciblées qui analysaient seulement quelques régions de notre code génétique. Cette approche est un peu biaisée dans la mesure où si l’on veut comprendre un phénomène il ne faut pas regarder ces régions qui sont déjà bien définies mais plusieurs pages qui peuvent par exemple être associées à un cancer du sein.
En 2003, le premier génome humain a été séquencé, c’est-à-dire entièrement décodé grâce à une technologie appelée le séquençage à haut débit. C’est la technologie qui a sûrement été la plus révolutionnaire dans le secteur et qui aura le plus d’impact dans le monde de la santé, après la découverte des antibiotiques. Cette technologie, qui permet d’analyser le code génétique et de comprendre ainsi l’origine du cancer, le tout de manière très rapide ( en 2002, cette analyse a pris 13 ans et à couté 3 milliards de dollars, aujourd’hui elle prend une journée et coûte 1 000 euros) et peu coûteuse, a rapidement intéressé les hôpitaux, qui ont tous voulu l'acquérir et l’utiliser pour diagnostiquer des patients dans des domaines tels que le cancer du sein, le cancer du colon, les maladies cardiaques, ou encore la mucovicidose.
Ils ont cependant été confrontés à un énorme challenge : les données produites avec ces machines ne permettent pas une véritable fiabilité, dans un contexte de diagnostic. Et si le médecin n’a pas un diagnostic fiable, il ne peut pas évaluer le traitement adéquat. C'est à ce problème que répond Sophia Genetics, en analysant ces données et en permettant aux hôpitaux de fournir à leurs patients des diagnostics extrêmement fiables.
En travaillant avec 180 hôpitaux européens, Sophia Genetics a ainsi du faire face à la plus grande complexité de production de données dans un contexte de diagnostic clinique. En utilisant des techniques issues du big data, on a appris à notre rythme à laver les données, analyser les résultats, pour les rendre fiables et petit à petit, c’est devenu une intelligence artificielle.
Pourquoi est-ce une intelligence artificielle ?
C’est un système qui lui-même, lorsqu’il reçoit des données, va être capable de savoir comment les exploiter et qui va, comme le cerveau le ferait, lancer des tests et les analyser pour poser son propre diagnostic. Cette intelligence artificielle apprend cependant de nous, on ne lui laisse pas réaliser de commande avant d’avoir validé nous-mêmes qu’elle soit bonne. Chaque intelligence artificielle a besoin d’être assistée afin de corriger d’éventuelles petites erreurs.
L’intérêt de l’intelligence artificielle, c’est surtout que ces systèmes, dans certains cas, vont vous faire des propositions auxquelles vous n’aviez pas pensé. C’est un peu comme dans les jeux d’échecs, où les ordinateurs sont plus performants que leurs maîtres, notamment parce qu’ils peuvent calculer plus de possibilités.
Donc l’intelligence artificielle pourra, un jour, se passer des médecins ?
Non, certainement pas. L’intuition humaine est une chose que l’ordinateur n’a pas, et qui permet à l’homme de réaliser certaines choses que la technologie ne peut pas encore faire. Certains courants de pensées affirment aujourd’hui que les ordinateurs remplaceront les médecins, moi je pense qu’au contraire on va rendre la médecine encore plus humaine grâce à l’intelligence artificielle.
Aujourd’hui, les médecins sont confrontés à une technologie très complexe et qu’ils doivent systématiquement comprendre. Le mystère de la technologie va être quelque part simplifié par l’intelligence artificielle, qui offrira ainsi plus de temps au personnel traitant pour échanger avec les patients, comprendre leurs parcours, et utiliser leur intuition, soit tout ce qui ne peut pas être assimilé par ce type de système. Dans la chirurgie c’est le même modèle, les robots aident les hommes à réaliser des actions plus précises, mais c’est toujours le médecin qui va agir et prendre des décisions.
Comment devrait évoluer la médecine ces prochaines années ?
Contrairement à la majorité de l'e-santé, Sophia Genetics évolue vraiment dans un contexte de diagnostic dont le bénéfice est incontestable pour les patients. Par exemple, dans le cas d’un cancer, on va pouvoir identifier ses mutations, et donc son origine. Avec le diagnostic moléculaire et le séquençage ADN, on peut comprendre que chaque cancer est différent, et qu’un cancer du cerveau peut par exemple être quasiment similaire à un cancer du poumon, car ce qui compte, c’est de savoir ce qui ne fonctionne pas au niveau moléculaire.
Avec ces technologies, on va assister à l’ouverture de nouvelles perspectives. Mais pour cela, il va falloir connecter les hôpitaux, mutualiser les données, et partager le savoir, avant d’utiliser le big data pour mieux diagnostiquer les patients, c’est-à-dire pour que l’expérience d’un patient puisse servir à un autre.
À terme, pourra-t-on diagnostiquer un cancer en amont grâce à l'analyse des données ?
Aujourd'hui, on assiste à une évolution dans le monde de l'oncologie, et très bientôt, on pourra diagnostiquer le cancer à partir du sang. Chaque tumeur relâche dans le sang ce que l'on appelle de l'ADN circulant. Grâce au séquençage d'ADN, et grâce à de l'analytique performante, on pourra détecter qu'il y a un cancer en cours de développement par une simple prise de sang.
Et cette évolution devrait être rapide, car on estime pouvoir, d'ici les 10 prochaines années, détecter de manière très fiable un certain nombre de cancers en stade précoce avec la prise de sang. C'est l'un des domaines les plus chauds, avec l'immunothérapie, dans le domaine de la bio.
Les hôpitaux sont-ils vraiment prêts à supporter ce changement ?
Au niveau institutionnel, c'est en effet difficile car la médecine est une pratique ancestrale et conservatrice. Changer les mentalités est compliqué mais l'adoption des technologies digitales, les bénéfices que ça nous apporte et l'arrivée de cette nouvelle génération de médecins, plus connectés, permettent de penser qu'on est sur la bonne voie.
Pour faire tomber ces barrières, il faut également apporter des bénéfices qui sont supérieurs aux craintes, et c’est ce sur quoi on travaille chaque jour avec Sophia Genetics et notre intelligence artificielle. On a réussi à démocratiser cette approche, à faire que même un tout petit hôpital de province puisse en bénéficier autant qu’un grand centre. On est alors passé de 150 patients analysés chaque mois en 2014, à 1 200 en 2015, et à 6 000 en 2016.
Ces chiffres, c'est le résultats d'un véritable challenge : connecter beaucoup d'hôpitaux, et faire en sorte que chacun d'entre eux adopte de nouveaux test afin de créer une intelligence artificielle collecte. C'est un vrai effet boule de neige, plus vous avez connecté d'hôpitaux, plus vous avez de données, plus vous apportez de bénéfices aux patients.
L'idée, au final, ce sera de profiter de toutes les données analyser pour pouvoir comparer les différents cancers, et dire que tel cancer d'un patient correspond à 10 000 autres cas de cancers analysés, parmi lesquels 10% ont reçu un traitement adéquat qui a entrainé une rémission totale de la maladie. Chaque cancer pourra être traité avec un traitement lui correspondant exactement, et c'est vers cette médecine qu'il faut aller.