C'est officiel : Rachel Delacour remplace Olivier Mathiot à la présidence de France Digitale, en binôme avec Jean-David Chamboredon. Fondatrice de BIME Analytics, qu'elle a revendu en 2015 à l'Américain Zendesk, l'entrepreneure est sur tous les fronts. Interview de cette figure de proue de l'entrepreneuriat à la française.
Maddyness : Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre la présidence de France Digitale ?
Rachel Delacour : J'étais très investie au sein de France Digitale. J'étais membre de l'association quand j'était à la tête de BIME Analytics et je me rappelle le temps que les autres membres m'avaient fait gagner, sur des questions fiscales par exemple. J'ai eu envie de redonner de ce temps. Je suis d'abord entrée au board en novembre 2016 en tant que vice-présidente et j'ai beaucoup apprécié les chantiers qui étaient alors portés par l'association. C'est pour cela que me suis porté candidate pour la vice-présidence quand Olivier Mathiot a cédé sa place.
Plusieurs nouveaux membres sont entrés au board ces dernières semaines. Cela indique-t-il une nouvelle impulsion pour France Digitale ?
C'est une bonne nouvelle pour France Digitale, qui cherche la "fraîcheur éternelle". L'association est connectée à la réalité : nous sommes des entrepreneurs, des investisseurs qui avons des métiers à côté de notre engagement bénévole dans France Digitale. C'est ce qui assure à l'association d'être toujours mobilisée sur des problématiques d'actualité, comme les ICO en ce moment. Pour bien servir l'écosystème, il faut une bonne matière grise au bon endroit au bon moment.
Comment se positionne France Digitale par rapport à d'autres associations d'entrepreneurs ?
Nous voulons porter la révolution startup dans son ensemble : nous associons des entrepreneurs et des investisseurs, ce qui nous permet d'avoir une représentation très forte de l'écosystème. Tout notre cadre légal, réglementaire, fiscal est pensé à travers le prisme du CAC40. Si on veut que les startups françaises donnent le meilleur pour notre société, en contribuant à réduire le chômage et à mieux partager la richesse, alors on doit entendre la voix de cet écosystème.
Quelles seront vos priorités pour 2018 ?
L'année 2017 a vu la production du "manifeste des startups", pour mettre le sujet sur le radar des candidats à la présidentielle. 2018 sera l'année de l'exécution de ces idées, en les portant auprès du gouvernement. Nous voulons ainsi créer une branche startups pour mieux traiter les problématiques liées aux nouvelles formes de travail. Nous continuons également de militer pour que l'épargne concentrée dans l'assurance vie soit investie dans le capital-risque investissement. France Digitale est résolument tourné vers l'avenir et il y a un leadership à prendre en Europe mais aussi à l'international.
Le manifeste avait été conçu après, notamment, une consultation des startups en région. Vous aviez fondé votre startup à Montpellier. Est-ce que porter la voix des startups créées en région vous tient à coeur ?
Il y a énormément de startups en région qui, dès le premier jour, s'adresse au marché international. Nous nous appelons France Digitale, pas Île-de-France Digitale, il nous faut donc aller capter des membres en région. Notre force vient des territoires, dans notre capacité a fédérer les écosystèmes régionaux. Les startups ne sont pas un phénomène de mode venu de Paris, c'est une révolution qui touche toute la société. Il n'y a qu'en jouant collectif que nous pourrons devenir plus forts.
Après Marie Ekeland, une autre femme prend la présidence de France Digitale. L'entrepreneuriat féminin est-il une autre des causes que vous souhaitez défendre ?
Nous avons besoin de soutenir l'entrepreneuriat féminin, d'autant que la Tech connaît ce qu'on appelle le "chômage zéro", c'est-à-dire que le secteur est toujours en recherche de nouveaux talents. Plus on ouvre les portes du secteur à la diversité, plus on alimente les rangs des startups françaises. C'est pour cela que France Digitale milite pour un bac numérique et soutient une réforme de la formation. Cela permettra de faire émerger des profils défavorisés ou moins représentés.
Vous voyez-vous comme un role model ?
J'assume d'être un symbole de la parité. En France, nous sommes en déficit de role models en matière d'entrepreneuriat féminin. C'est pour cela que chaque fois que je peux en parler, je le fais. Mais il ne faut pas faire de différence entre entrepreneurs féminins et masculins : l'ambition et la réussite n'ont pas de genre !
Emmanuel Macron vante la startup nation. Est-ce que vous y croyez ?
Bien sûr que l'on y croit ! La France a tout pour réussir. Mais je crois qu'au-delà des déclarations, ce dont nous avons besoin, c'est de preuves d'amour. Plus qu'une startup nation, nous avons surtout besoin d'un scale-up continent. Nous devons faire éclore des champions du numérique en Europe. Alors, oui, les startups ont une communication, des business models qui leur sont propres. Mais il faut surtout un cadre réglementaire propice et unifié qui leur permet d'émerger. N'importe où dans le monde peut se cacher un géant en devenir : sa destinée dépend de ce que le territoire sur lequel il croît est capable de lui offrir. En France, nous avons des mathématiciens brillants, des ingénieurs de qualité et des jeunes qui en veulent. Mais il nous faut encore acculturer des profils numériques pour que les entrepreneurs ne soient pas seulement des jeunes hommes blancs avec un bac +5 en poche. C'est pour cela que nous militons pour un bac numérique : pour démultiplier les possibilités. Les métiers du numérique ne sont pas réservés à une élite et l'écosystème startup n'est pas un club fermé.
2018 sera-t-elle l'année d'un marché numérique commun à l'échelle européenne ?
France Digitale est de plus en plus appelée à prendre ses responsabilités après le Brexit et assumer un leadership en Europe pour y faire entendre la voix des startups. Nous avons pris ainsi l'initiative de fédérer une coordination européenne des startups, "Allied for Startups". La Commission Européenne a lancé il y a trois ans le "Digital Single Market" et a proposé plusieurs régulations pour unifier le marché. Certaines sont des avancées, comme la fin du roaming en Europe, mais d'autres sont des aberrations technocratiques. C'est pour cela que la voix des startups doit être entendue. Par exemple, la stratégie du "Digital single market " a été écrite sans les mots "intelligence artificielle" et "blockchain" : il est temps d'y remédier et de faire des propositions. C'est ce que nous ferons au mois de juin avec un manifeste pour le scale-up continent.