A-t-on vraiment besoin de produits toxiques dont on ne sait pas se débarrasser pour lutter contre le cancer ? Pas systématiquement estime Torskal. Cette entreprise réunionnaise a découvert une façon de tuer les cellules tumorales en utilisant les plantes endémiques de La Réunion, de l’or et la nano-thérapie.
Créée en 2015 à la Réunion, Torskal vise à produire des nanoparticules naturelles, des éléments 1 000 millions de fois plus petits qu’un mètre, trouvant des applications en santé et en chimie fine. Et sa première activité : lutter contre le cancer.
Nanothéranostic, c’est le nom de cette application, traite le cancer en détruisant les cellules tumorales par la chaleur. Par ailleurs, l’action circonscrite à l’échelle de la cellule (du fait de la taille des nanoparticules) permet une action ciblée contrairement aux traitements existants (chimiothérapies et radiothérapies) qui ont un impact sur l’organisme au-delà de la zone à traiter.
La solution ne se substituera pas à ces traitements conventionnels mais viendra compléter ou renforcer l’action de ces derniers, ou intervenir dans des zones difficilement accessibles par la chirurgie.
Trois sociétés sont aussi en train de développer des anticancéreux à partir de nanoparticules comme Nanospectra aux Etats-Unis et Nanobiotix en France mais Torskal se distingue par son utilisation exclusive de composants naturels.
Torskal est en train de finir ses tests pré-cliniques, sur des animaux, au Cyroi de St Denis à la Réunion, une plateforme de dédiée aux biotechnologies, qui compte un laboratoire, une animalerie et un incubateur d’entreprises.
La nano-chimie, un secteur difficile
Toutes les aides sont à prendre dans ce secteur. « Il y a énormément d'équipes dans le monde qui travaillent sur les nanosciences, explique Anne-Laure Morel, la fondatrice. Mais peu de startups arrivent à faire aboutir leurs produits. » Il faut dire que les barrières sont nombreuses : il faut ajouter à la difficulté technique, l’interdisciplinaire du sujet, le manque de personnel qualifié et passionné, et la frilosité des fonds d’investissements, ajoute-t-elle.
La situation est encore plus compliquée pour Torskal puisqu’aucune infrastructure à la Réunion ne dispose d’appareil adéquat. « J’arrive à produire des nanoparticules mais je n’ai aucun appareil qui me permet de caractériser les nanoparticules » explique l’entrepreneuse. Pour développer la nano-chimie sur l’île, la docteur a donc noué des partenariats avec l'Université de l'île Maurice et l’Université de Paris 13 pour pouvoir utiliser les équipements nécessaires.
Un bout d’Europe entre la Chine et l’Afrique
C’est en dehors de l’île encore que Anne-Laure est allée chercher un partenaire pour les essais cliniques. Elle est sur le point de créer une joint-venture avec un hôpital militaire chinois, dont elle ne souhaite pas dévoiler le nom, dans le but de poursuivre les essais cliniques.
Travailler avec la Chine c’est fait naturellement. « La médecine chinoise millénaire utilise des plantes et est donc sensible à cet aspect là » ajoute-t-elle. D’autre part, la Réunion se trouve sur la route de la soie qui favorise les échanges entre l'Afrique et la Chine. « On est au carrefour de la médecine orientale et occidentale » estime-t-elle.
Travailler à la Réunion a ses avantages. « La Réunion c'est l'Europe au coeur de l'Océan indien. On est pile poil au rendez-vous de [l’Afrique et l’Asie] donc on est tourné vers l'avenir » dit-elle avec enthousiasme.
La Réunion bénéficie de nombreuses aides. Un Crédit Recherche Impôt de 50% au lieu de 30%, plus d'1,1 milliard d'euros d’aides de FEDER, le fonds structurel européen, sur 2014-2020, ce qui est en fait la région française la plus aidée par l’Europe.
Mais trouver du financement y est plus difficile qu’en France hexagonale. « La plus part du temps, les investisseurs considèrent que les startups à la Réunion ne sont pas très dynamiques, qu'il n'y a rien de solide » constate l’entrepreneuse.
Si BPI France fournit bien des subventions aux sociétés qui sont localisées en dehors de la métropole, elle n'investit pas dedans. « Il faut avoir un bureau parisien et son activité principale à Paris pour pouvoir solliciter les fonds d'investissement européens et français » explique Anne-Laure Morel.
Une levée de fonds pour permettre la commercialisation
La levée de fonds est un sujet clé pour la société qui a besoin de 2,5 millions d’euros pour passer à l’étape de production à l'échelle industrielle et d’essais clinique de phase un et deux chez l'homme, au travers de sa joint-venture.
Jusqu’à présent, Torskal avait pu financer sa R&D grâce à un prêt d’honneur de 25 000 euros de l’initiative Réunion Entreprendre, à un prix de 25 000 euros dans le cadre du concours i-Lab de BPI France 2015, un prêt sous forme d'avance remboursable de 320 000 euros, à un emprunt personnel de la fondatrice, et aux aides en prestation du Technopole de la Réunion et de l’Agence régionale de développement Nexa. L’entreprise est aussi soutenue par le Cyroi.
Pour obtenir plus de financement, l’entreprise, qui compte quatre employé·es, tous et toutes chercheurs ou chercheuses en biochimie, chimie-physique et phyto-chimie, se rapproche de Paris. Anne-Laure Morel était invitée par la BPI à son événement Inno Génération pour défendre l’île au près des fonds d’investissement et est actuellement en discussion avec plus incubateurs parisiens de renoms.
Si tout se passe bien, l’entreprise pourrait commencer à concéder des licences à l'industrie pharmaceutique dès 2022 pour une commercialisation en 2025.